Retour vers le passé - Partie 4

La journée s'était poursuivie tant bien que mal. Max faisait semblant au possible d'avoir le niveau d'un collégien moyen, voir cancre vu son passif. Ce n'était guère difficile en cours de maths... Il n'avait jamais su résoudre des équations aussi bien à 14 ans qu'à 24 ans alors le prof de maths n'y avait vu que du feu.


Ils quittaient enfin la pris... le collège à la fin de la journée, avec Léa. Max était perdu dans ses pensées, les mêmes pensée qui l'obsédaient depuis le matin. Est-ce qu'il était devenu fou ? Etait-il un de ces gamins accrocs aux jeux-vidéos et au bouquin de science-fiction qui sombraient dans la folie comme le disait si bien Famille de France à l'époque ?


Non... Impossible qu'il puisse inventer tout ce qu'il savait. Non seulement ses connaissances scolaires et universitaires mais aussi son expérience de la vie... Quel gamin de 14 ans savait remplir une déclaration d'impôts ? Déclarer ses revenus à la Caisse d'Allocations Familiales ? Payer des factures, gérer un budget, toutes ces choses de la vie d'un adulte ?


Et les femmes ? Certes, un homme ne pouvait pas comprendre entièrement une femme, même Freud avait échoué après tout, mais il en savait bien plus qu'un gosse de 14 piges...

- A quoi tu penses ?

Comme à son habitude, Léa l'interrompait dans ses pensées alors même qu'il avait oublié sa présence.

- Hmmm... A rien de bien intéressant... Tu connais Freud ?
- Fred qui ?
- Non, rien...

Max poussa un long soupir, à fendre l'âme et la banquise. Ses pensées revinrent sur Léa. Il n'arrivait pas à se rappeler pourquoi ils s'étaient perdus de vue alors qu'il se souvenait très bien qu'elle était sa meilleure amie... Une chape de brume s'abattait sur cette partie de sa mémoire. Mais il n'arrivait pas à décider si c'était ce petit saut dans le passé qui lui avait retourné les neurones façon shaker ou si c'était simplement sa mémoire qui lui faisait défaut.


- Et merde !

Tiens ? Il avait pensé à voix haute ? Il jeta un regard à Léa et se rendit compte qu'elle s'était arrêtée et fixait quelque chose par delà la grille du collège. Apparemment, ce n'était pas lui qui avait juré à voix haute. Il suivit son regard et ses yeux se posèrent sur un homme de quarante ans, habillé d'un costume gris anthracite et à la mine passablement renfrognée. Il était assis contre la portière d'une vieille Ford noire.

*BOM*

Max hoqueta, autant à la vision de l'homme qu'au saute d'humeur de son coeur.

- C'est... ton père ?
- Ouais...

*BOM BOM*

- J'dois te laisser Max, désolée... On se revoit demain, d'acc' ?
- D'acc...

Il finit sa phrase en serrant les dents, son coeur semblant pris d'une soudaine envie d'aller gambader dans la toundra glacée de la cour de récréation.

*BOM BOM BOM*

D'une vision qui commençait à se troubler, Max regarda Léa baisser la tête devant son père et monter en silence dans la voiture. Son père lui dit quelque chose. A voir son visage, cela ne devait pas être un compliment.

*BOM BOM*

Max n'arrivait plus à mettre un pied devant l'autre et avait l'impression que sa poitrine allait s'ouvrir en deux. Il leva les yeux vers Léa qui croisa son regard alors qu'il tombait à genoux. Il vit les yeux de Léa s'arrondir, sa bouche s'ouvrir et crier son nom en tapant à la vitre tandis que la voiture démarrait.

*BOM*

Quant à Max, lui, tout ce qu'il vit après ça, c'est un voile noir. Il ne sentit même pas la morsure du froid bitume tandis qu'il s'écroulait au sol.

Catharsis poétique

Rêveur sur le pont, au dessus de la scène
Contemple ses songes dans la nuit d'ébène
Paysage mystérieux aux limites de passion
Lové, endormi, au cœur de l'imagination.

Rêveur à la petite boite en bois
En bois de cerisier, de guingois
Sorti d'une poche imaginaire.
Il la regarde, la tient en l'air.

Rêveur qui fait jouer dans la serrure
Une clé de raison, vieille, pleine de rayures
Faisant sauter le couvercle, dans une mélodie
Une mélopée aux douces notes assourdies.

Rêveur qui attrape les songes éthérées
Et souffle dessus, en poussière de Morphée
Pour les glisser, cendres et souvenirs
D'un moment passé, sans rire, sans ire.

Rêveur referme la boîte à malice
Ferme les yeux, doucement se glisse,
Dans le fleuve d'une vie apaisée
Où songes et rêveries sont passé.

Retour vers le passé - Partie 3

Le collège. Ses murs gris, ses colonnes grises, ses pions à la grise mine, sa CPE à la moustache grise... Lorsqu'il franchit les grilles d'entrée, il se fait l'effet d'un évadé d'Alcatraz qui retourne en cellule après une cavale de plusieurs années. Il aurait bien trainé les pieds pour manifester sa désapprobation, mais c'aurait été là le comportement d'un gosse de quatorze ans. Et peu importe ce que sa mère, Léa ou même son miroir lui disaient, il-n'avait-pas-quatorze-ans !


- Qu'est ce que t'as à regarder tous les murs comme si tu les voyais pour la première fois ? Lui lança Léa.

Max sursaute en se rappelant qu'il avait à coté de lui une amie qu'il n'avait pas vu depuis... et bien près de dix ans. D'ailleurs, il ne parvenait pas à se rappeler pourquoi ils s'étaient perdus de vue cette année là.


- C'est rien... chuis mal réveillé, lui maugréé-t-il dans sa barbe qu'il n'a pas encore.

Mais alors sacrément pas réveillé, pense-t-il pour lui-même.

Ils rentrent dans la cour de récréation. Mon dieu, je suis dans un cour de récré... mais merde quoi... j'ai vingt-quatre ans, et je suis dans un cour de récré. C'est une blague cosmique, on me fait une super caméra cachée de là-haut, ça doit bien se marrer chez les anges...


Il suit Léa dans les dédales de couloirs car, avouons-le, qui serait capable de se rappeler de l'emplacement de sa salle de français dix ans après s'y être assis pour la dernière fois ? Ils arrivent devant la porte de la salle, y rentrent et...

- Aaaaah mais c'est monsieur Maximilien qui nous fait l'honneur de sa présence... Pas trop pressé monsieur Maximilien ? On s'est mal réveillé monsieur Maximilien ?

Les poils de Max se hérissent à entendre cette voix nasillarde qui l'a tant moqué durant toute son adolescence. Il regarde Mathas, son prof de français d'un oeil vitreux, voir bovin. Dans un soupir :


- Vous n'avez pas idée...
- Et bien si votre modeste personne veut bien s'assoir, nous allons peut-être pouvoir commencer le cours.

Il suit Léa en espérant de tout coeur que sa place soit à coté de la sienne parce que dans le cas contraire, il n'a foutrement aucune idée d'où elle peut bien se trouver dans la salle aux néons blafards.
Il s'assoit à coté d'elle, personne ne semble réagir... il a peut-être vu juste.

- Bien, fait la voix horripilante de Mathas, vous êtes tous censés avoir lu entièrement l'oeuvre au programme désormais... Il est temps maintenant de vérifier qui a bien fait son travail... et qui ne l'a pas fait.


Prenant sa liste de classe, il la parcourt en se demandant qui sera sa première victime. Par réflexe, du à des années de conditionnement de la torture Mathassienne, le coeur de Max s'emballe autant que la langue du chien de Pavlov pouvait saliver... Il se penche vers Léa tandis que le doigt de Mathas descend et remonte le long de la liste :

- Euh dis... c'est quoi l'oeuvre au programme ?

Les yeux de Léa s'arrondissent.

- Toi, tu vas te faire descendre en flèche... t'as pas lu le bouquin ?
- Je vais me faire descendre en flèche si tu ne me dis pas ce que c'est...
- Et l'heureux élu est... Monsieur Maximilien ! Claironne la voix de Mathas, sous les rires peu surpris de ses camarades, habitués aussi de voir Max être la cible privilégiée du prof.
- L'illusion comique, lui souffle doucement Léa, l'air mortifié, persuadée que Max va déguster pour pas un rond.
- Monsieur Maximilien aurait-il l'immense obligeance de nous faire part de ce qu'il a retiré de l'Illusion Comique, hormis une source inépuisable de boulettes en papier pour ses sarbacanes ?

Max, pour la première fois de la matinée, se permet un sourire.

- Bien sûr monsieur... L'Illusion Comique, la dernière comédie de Corneille, met en scène tout d'abord Pridamant, père de Clindor, qui se désespérant de la disparition de son fils va demander de l'aide à Alcandre, un magicien. Alcandre lui fait alors apparaître une vision de son fils en mauvaise posture. Au service de Matamore, un pseudo-héros au verbe aussi haut que ses prouesses sont basses, Clindor est amoureux d'Isabelle, dont Matamore est lui-même amoureux. S'ensuit sur plusieurs actes rebondissements et nouages d'intrigues Permettez le raccourci que je fais, mais on n'a pas toute la nuit. Clindor finit abattu et Isabelle amenée éplorée devant le roi. Pridamant se desespère de la mort de son fils jusqu'à ce qu'Alcandre lui montre une nouvelle scène où son fils et les autres personnages se partagent l'argent de la représentation. Car ce que Pridamant a vu depuis le début n'était qu'une pièce dans laquelle jouait Clindor. On voit ici un méta-théâtre, une pièce de théâtre incluse dans une pièce de théâtre elle même incluse dans une pièce de théâtre. Comme des poupées russes, l'Illusion Comique, qui porte alors bien son nom, met en scène une première pièce avec Alcandre et Pridamant qui vont alors voir une autre pièce, celle de Clindor et ses compères qui jouent leurs rôles. C'est là que se ressent l'imprégnation baroque de l'époque, la vie n'est qu'un théâtre tout comme nous le montre Corneille avec ses illusions. C'est assez précis pour vous ou bien voulez-vous que je vous parle du découpage selon Corneille où l'acte I n'est qu'un prologue pastorale, les trois actes suivant une comédie imparfaite qui se mue en tragi-comédie et le dernier acte une tragédie parfaite, le tout formant une comédie ?

Silence dans la salle. Max garde les yeux rivés dans ceux de Mathas mais il sent le regard de toute la classé tourné vers lui. Son professeur de français le fixe comme s'il venait de voir apparaître un petit bonhomme vert avec beaucoup trop de bras qui lui aurait demandé son chemin pour Vénus.

- Monsieur, si vous restez comme ça, vous allez commencer à baver...

La classe se met à rire tandis que la mâchoire de Mathas se referme dans un claquement sec... et certainement la perte d'une ou deux molaires. D'un air plus qu'embarassé, Mathas lâche du bout des lèvres :

- Ravi de voir que vous avez appris à lire monsieur Maximilien. Passons à la suite.

Et tandis qu'il se retourne pour écrire au tableau avec des gestes nerveux, Léa se penche vers lui et lui demande :

- Mais où t'as été cherché tout ça ? J'pensais que t'avais pas lu le bouquin...

Max a un haussement d'épaules. Si, il a bien lu le bouquin. Pas au collège, non. Mais en tant qu'agrégé de Lettres Modernes, ce qui représente cinq ou six ans de lectures de tout le panorama littéraire français, il avait lu l'Illusion Comique à l'université parmi la bonne centaine d'oeuvres qu'il avait du ingurgiter.

Ma foi, ça pouvait avoir ses avantages de revenir à l'âge de quatorze ans avec dix ans d'expérience en plus...

Retour vers le passé - Partie 2

Max marche dans des rues qu'il n'a pas visité depuis des années. Il fait froid, il n'a pas bu son café, il est à peine 8h du matin... et pour couronner le tout, il a rajeunit.
Non, il doit rêver. Il se repince le bras.

AIE !

Bon, il va arrêter avant de se bleuir le bras d'hématomes. Déjà qu'on le prend pour un gamin de quatorze ans, il ne manquerait plus qu'on le prenne pour un gamin battu pour couronner le tout. Il essaye tant bien que mal de remettre les évènements dans le cours normal des choses... mais voilà, le cours normal des choses semble avoir décidé de décrire une superbe boucle. La vie est un long fleuve tranquille, hein ? Ben son fleuve à lui vient d'avoir l'idée saugrenue de retourner en amont... Ses pensées sont soudain interrompues, ce qui n'est pas un mal vu qu'il se préparait à se repincer.

- Ben alors, tu te mutiles dès le matin maintenant ?

Il sursaute, trois fois rien, deux ou trois mètres sur le coté. Il regarde l'adolescente qui vient de lui parler. Elle le regarde, l'air amusé. Elle a un bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles, avec des cheveux blonds qui en sortent et tombent sur ses épaules.

- Pardon ?
- Je disais, tu te... Hey, ferme la bouche, tu vas commencer à baver.

Dans un claquement sonore et la perte de quelques molaires, Max referme sa mâchoire.

- On... se... connait ?
- Ah oué, t'es vraiment pas réveillé toi ce matin...

Les rouages en manque de caféine se mettent doucement à tourner... Il remet en place des bribes de son passé et reconstruit le monde de ses quatorze ans.

- Léa... c'est toi ?
- C'est bien Max, tu te rappelles de mon prénom une demi-journée après notre dernière rencontre, le prof de maths ne pourra plus jamais se moquer de ta mémoire à trous...

Max se pince l'arête du nez et soupire.

- Si tu savais les tours que me joue ma mémoire...

Léa le regarde, un sourcil réhaussé jusqu'à à son bonnet.

- T'as vraiment du passer une sale nuit toi...
- Surtout un sale réveil en fait...
- Ta mère t'as encore fait des misères en te trainant hors du lit ?
- Non... non, pas vraiment...

Max soupire et regarde autour de lui. Peu à peu, les brumes de ses souvenirs s'estompent. Il reconnaît le café du coin qui avait fermé l'année de son bac, la station essence qui venait juste d'être construite. Le grand centre commercial n'existait pas encore, c'étaient encore des terrains vagues qui encadraient le chemin qui menaient au collège. Sa ville natale n'avait pas encore connu le boum économique qui quelques années plus tard allait provoquer la construction de bâtiments, d'immeubles ou de pavillons sur chaque terrain vague disponible.

- Bon, on y va ? Sinon on va encore être à la bourre et Mathas va se défouler sur toi...
- Mathas... Mathas... le prof de français ?
- Non, le vendeur de kebabs du coin de la rue... Bien sûr Mathas le prof de français, t'en connais énormément toi ?

Mathas... le prof qui était persuadé que Max finirait chômeur sans avoir jamais réussi à lire un livre en entier de sa courte vie de parasite de la société... Mathas, le prof qui lui avait pourri ses quatre années de collège... Sa Némésis, sa bête noire, son Achab...

- Putain de bordel de merde...
- Quoi ?
- J'ai vraiment besoin d'un café...


Retour vers le passé

Maximilien, Max pour les intimes, se réveille. D'un pas alerte, il roule hors de son lit dans une imitation de baleine échouée sur une plage. Il n'a jamais vraiment été du matin. Disons même que tant qu'il n'a pas bu son café, il ne sert à rien de lui fournir un environnement, il ne le remarquera pas.

Max, donc, se dirige d'un pas toujours alerte, et hésitant, vers la cuisine. La main contre le mur du couloir, les yeux encore mi-clos, il se guide ainsi jusqu'au graal caféiné.

Arrivé devant la cafetière, il appuie distraitement sur le bouton. Il prépare toujours son café la veille, sachant pertinemment qu'il est incapable de le faire au réveil. Il attend le bruit habituel du café en train de passer, le coude posé sur le plan de travail. Il croit entendre un bruit dans le salon. Max vivant seul, il se dit qu'il a du rêver. Après tout, il n'est pas ce qu'on pourrait appeler sans mensonge « réveillé ».


- Il en met du temps à passer ce café... maugréé-t-il.

Il entrouvre un oeil pour regarder la machine. Qui n'est pas la sienne. Il ouvre les deux yeux.


- Putain, c'est quoi ce délire ?
- Ne jure pas dès le matin Max !
- NOM DE DIEU ! hurle-t-il en se retournant.

Face à lui, une femme le regarde avec des yeux grands comme des soucoupes.

- Je t'ai fait peur ? Et arrête de jurer !
- M... Maman ?!
- Non, c'est la factrice, andouille...
- Mais... Qu'est ce que tu fais chez moi ?!
- Je te rappelle que c'est toi qui es chez moi...
- Hein ?
- Et depuis quand tu bois du café ?
- M... mais ça fait des années que j'en bois !
- Ah oui ? Tu as commencé jeune dis donc... et je n'ai jamais rien vu ? Arrête ton char...
- Mais qu'est ce que tu fais chez m...

Les yeux enfin grand ouvert, Max regarde autour de lui.

- Mais c'est pas ma cuisine !
- Ah non, c'est aussi la mienne...
- C'est quoi ce délire ?
- Bon, t'as fini tes idioties dès le matin, oui ? Active-toi un peu, tu vas être en retard à l'école sinon.
- A l'école ? Comment ça l'école ?
- Le collège... tu te souviens ?
- Mais je ne bosse pas dans un collège, tu le sais bien !
- Je sais surtout que tu as intérêt à aller prendre ton petit-déjeuner et ta douche fissa si tu ne veux pas que je t'envoie en cours en pyjama ! Allez, ouste, hors de ma cuisine.

Et la mère de Max de le jeter sans ménagement hors de la pièce. Max, hagard, tente de comprendre. Il regarde le salon. Il le connait. C'est celui de l'ancien appartement de ses parents. Celui de son enfance.


- D'accord... je suis encore endormi, je dois être en train de rêver... qu'est-ce que je fous ici ?
- TA DOUCHE ! hurle sa mère.
Max, ne sachant pas trop quoi faire, se pince. Et se fait mal. Donc il n'est pas en train de rêver. Il court vers la salle de bain.

- Ah ben tu vois quand tu veux, lâche sa mère, goguenarde.

Arrivé dans la salle de bain, Max allume la lumière et se fixe dans la glace.

- Putain de bordel de merde...

Le reflet qu'il a en face de lui... il le connait... mais... c'est impossible. Il voit sa mère passer la tête par l'entrebâillement de la porte.

- Il faut aussi que je te jette sous la douche ?
- Maman... J'ai quel âge ?
- Tu es trop vieux pour que je fasse prendre ta douche, si c'est ta question.
- Quel âge j'ai ?

Long soupir maternel.

- Tu as quatorze ans, Max.
- Non...
- Si... je t'assure que si. Et l'état civil fera de même.

Il regarde, ahuri, ce reflet qu'il ne connait que trop bien. C'est bien lui... mais à quatorze ans. Le seul souci, c'est que Maximilien a vingt-quatre ans, qu'il devrait se réveiller dans son studio parisien pour aller au boulot... et que sa mère l'admoneste pour qu'il aille au collège. En cours...

- J'ai rajeuni de dix ans...
- Ben tiens... si t'as la recette, je suis preneuse...

Sa mère s'en va, le laissant seul face aux milles questions qui lui tournent en tête. Il réfléchit, il cogite, il a l'impression que son cerveau va exploser... Comment peut-il s'être endormi à vingt-quatre ans... et se réveiller à quatorze ? Mais tout ce qu'il trouve à dire, c'est :

- Putain de bordel de merde...

Les visages du métro - I

15/07/2008

Ligne 12

23h15


C'est la chanson d'un homme triste dans le métro. Pas besoin de notes ni de paroles, le regarder suffit à lire la partition triste qui se joue derrière ses yeux..
Son soupir est un violon qui se meurt, son coeur, un piano aux notes assourdies... Quant à son esprit, c'est une voix de Piaf, vibrante et touchante, qui murmure à l'oreille de sa raison avec des accents de passion.

Amoureux éconduit, amant délaissé, rêveur déçu ? Qui es-tu donc, petit homme à l'air triste dans les entrailles de Paris ? La tristesse sourd de ton regard qui se perd dans les fenêtres obscures du métro et éveille ma curiosité... Les vibratos de tes soupirs me paraissent des mélopées dans la fausse nuit du tunnel.

Comme pour répondre à ton humeur, les lumières de la rame clignotent puis s'éteignent. Le monde est plongé dans des ténèbres déchirées à intervalles régulières par les éclairs blafards des néons au dehors.

Ton regard ne bouge pas, tu reste perdu dans la contemplation de quelque chose que tu sembles le seul à voir et peut-être... à regretter...

Parmi les vallées

Il y a quelque part dans la proche banlieue parisienne une place, à cheval entre deux villes. Au milieu de ses petits commerces de quartier, nichée entre un fleuriste et un bureau de poste, on peut y voir une vieille porte, de fer forgé et de verre, surmontée par une licorne.


Entrez-y, et vous arriverez dans un petit hall d'un ancien hôtel. Le sol carrelé a été foulé par des millions de pied, les dessins esquissés par les carreaux ont vu passer tant de gens... Combien d'épaules ont effleuré la colonne centrale, combien de mains se sont posés sur elle, une valise à la main ? Avancez de quelques mètres, suivez le chemin que prenaient les grooms lorsqu'ils se chargeaient des bagages et vous guidaient jusqu'à l'accueil. Là, vous verrez une grande double porte en bois qui remplace l'ancien comptoir. Une sonnette devait trôner dessus et derrière, un homme au sourire affable vous accueillait. Derrière lui devait se trouver le tableau avec les dizaines de clés des différentes chambres.


A gauche, un vieil ascenseur, minuscule, juste assez grand pour deux personnes. Aujourd'hui encore lorsque l'ascenseur tombe en panne, on y accroche un petit panneau de bois à la calligraphie sinueuse qui annonce « Appareil en panne », un panneau abîmé par le temps mais d'un charme indéniable.


Délaissez l'ascenseur et posez votre main sur la rampe en bois qui lui fait face. Montez les marches et rendez-vous à l'étage, en vous essuyant les pieds comme le demande le petit panneau accroché sous une marche il y a plusieurs dizaines d'années. Grimpez au premier étage en laissant votre main glisser sur le bois de la rampe, lissé par les années de main qui ont fait de même Passez devant la chiche lumière qui point des vitraux aux fenêtres.

Arrivé au premier étage, on peut voir trois couloirs, menant aux plus petits appartements de l'immeuble. Sans doute les chambres les moins chères. Avec un peu d'imagination, on pourrait y voir les traces des hommes et femmes qui y sont passés. Un jeune provincial qui venait visiter la capitale et qui n'avait pas les moyens de se payer une chambre à Paris même. Un couple d'amants vivant un amour interdit par leurs familles. Un artiste, peut-être écrivain, venant tenter sa chance dans la capitale.

Montez les deux étages suivants, et vous trouverez le même schéma de couloirs. Des chambres pour hommes d'affaire de passage. Foulez le linoléum qui était peut-être de la moquette autrefois, étouffant les pas des femmes de ménages venant nettoyer les chambres. Au-dessus du troisième étage, les appartements sont moins nombreux mais plus spacieux. Les suites.


Combien de maitresse ont attendu ici le retour de leur homme marié, venant les rejoindre le temps d'un week-end adultère ? Imaginez le groom menant les valises de la demoiselle jusqu'à sa suite, recueillant un billet de cent francs pour sa discrétion et partant avec un sourire entendu.


Avec un brin d'imagination, cet ancien hôtel regorge de souvenirs, de fantômes du passé, fragments éthérés d'un temps qui fut. En fermant les yeux, on entendrait presque les pas sourds d'un majordome sur la moquette, les rires étouffés ou les éclats d'une dispute se glissant sous le pas d'une porte.


Continuez votre visite si vous le désirez, et imaginez le passé. En ce qui me concerne, je m'arrêterai au troisième étage, dans une de ses petites chambres transformées en studio. Un jour, je partirai d'ici. Et ce jour-là, ce ne sont pas les souvenirs d'un groom, d'une femme délaissée ou d'un serviteur que je verrais. J'entendrais les rires qui s'échappent de la chambre 24, les soupirs amoureux ou le silence paisible de moments heureux. J'aurais un petit soupir en fermant cette porte en bois pour la dernière fois.

Car c'est dans ce petit studio que j'aurais vécu de bien belles années de ma vie d'étudiant. Et là, nul besoin d'imagination pour se souvenir. Il me suffira de fermer les yeux et de penser à ceux qui ont partagés des moments avec moi dans cette appartement.

Je pense que ce jour là, je sourirai.

Le choix

Il l'attendait sur les marches du Sacré-Coeur, le regard perdu vers Paris. Comme souvent sur la butte Montmartre, un vent ébouriffait les cheveux des touristes, des couples enlacés et des guitaristes qui égayaient la nuit. Un sourire au coin des lèvres, il l'attend. Elle est en retard, comme d'habitude... mais cela ne l'étonne plus. En attendant il rêvasse, son esprit se perdant dans le dédale des rues parisiennes qui s'étendent à ses pieds, tapis rouge pour un rêveur comme lui. Il regarde autour de lui et sourit intérieurement de voir ce haut lieu du massacre des Communes être devenu l'un des endroits élus par les romantiques de tout genre. Une juste revanche du destin, tout du moins c'est ce qu'il aime à croire.


Le vent tourne soudain, comme un soupir venant du Sacré-Coeur. Et dans ce souffle, une fragrance qu'il reconnait, comme un murmure à son coeur.

Elle est arrivée.

Elle s'assoit à coté de lui, dans un froissement de jupes.


- Bonsoir toi, dit-elle en l'embrassant sur la joue.
- Salut mademoiselle...

Il tourne légèrement son visage et la regarde. Elle ne sourit pas en lui rendant son regard. Elle s'inquiète. Ce qui n'a rien d'étonnant... Quand on dit « Il faut qu'on parle » à sa compagne, il est de coutume que cela n'augure rien de bien bon...


- Pourquoi m'as-tu fait venir ici ce soir ?
- Pour clôturer notre histoire là où elle a commencé.

Il se tourne entièrement vers elle et sourit tristement.

- Pour te quitter...

Clair, précis, sans appel. Il a tourné mille et une phrases dans sa tête mais il a choisi celle-ci. Autant être clair dès le début.


Comme il s'y attendait, elle ne réagit pas. Masque marmoréen sous la chevelure de feu. Seule une légère tension sur sa joue trahit le fait qu'elle serre les dents.

- Pourquoi ? Tu ne m'aimes plus ?

La voix est froide, dure, comme un pic à glace.

- Si.
- Donc tu m'aimes mais tu me quittes.
- Oui.

Elle inspire et bloque son souffle. Elle se contient. Il apprécie le geste étant donné son comportement habituellement emporté. Il inspire à son tour et dit :

- Pour être précis, je t'aime mais je te laisse partir.
- Ah, parce que j'ai envie de partir ?

- Tu ne te l'avoues pas... mais oui, tu serais mieux sans moi.
- Tu joues à Caliméro là ou quoi ?

- Oh non, je ne joue plus... au contraire. Ce soir, pour la première fois depuis que nous sommes ensemble, je vais être moi-même.

Elle lui jette un regard noir, son regard si particulier qui a tendance à faire taire les gens. Mais ce soir, il ne pourra pas se taire.

- C'est quoi aimer pour toi ?
- Ah, on joue aux devinettes maintenant ?

Sarcastique...

- Non. On ne joue plus. Réponds-moi.
- Alors je vais te répondre, monsieur le lyrique... Aimer, c'est avancer à deux dans la même direction, affronter les problèmes de front et faire face aux difficultés de la vie.
- Orphée et Eurydice...
- Quoi ?
- Non, rien... continue s'il te plait.
- Je ne vois rien à ajouter.
- C'est ça pour toi l'amour ? Et comment ça se traduit au quotidien alors ?
- Aimer au quotidien ? Mais j'en sais rien moi, t'en as de ces questions !
- Alors je vais te répondre... Pour moi, aimer c'est vivre avec un sourire en permanence sur les lèvres. Aimer c'est être prêt à décrocher la lune pour l'autre, juste pour le voir sourire. Aimer, c'est être prêt à danser à n'importe quel instant, juste pour vibrer et rire avec l'autre. Aimer ne doit pas être un devoir mais un plaisir...
- Conneries de fleur bleue...
- Tout à fait... Tu mets le point sur le noeud du problème.
- Ben voyons... tu m'expliques ?
- Je t'offre des fleurs, tu te demandes ce que j'essaie de me faire pardonner. Et quand je t'avoue qu'il n'y a rien, tu hausses les épaules. Quand je t'enlace, tu me demandes ce que je veux. Quand je t'embrasse dans la rue, tu crains le regard des autres. A la Saint-Valentin, je me mets en quatre pour te préparer des surprises. Et tu m'offres un nécessaire à cuisine.
- Tu ne comprends rien à l'amour des femmes...
- Non, je nie le fait que l'amour puisse être celui des femmes...
- Ah, les femmes ne peuvent pas aimer selon toi ? Le coupe-t-elle.
- Tu vois, tu te jettes sur la première raison sans chercher à comprendre... Non, je ne nie pas que les femmes peuvent aimer. Je nie le fait qu'elles aient une façon d'aimer et les hommes une autre. Pourquoi devrait-il y avoir un amour féminin et un amour masculin, avec leurs règles et leurs codes ? Car c'est ce que tu penses, non ?
- Les hommes et les femmes n'aiment pas de la même manière.
- Donc je devrais t'aimer comme un homme et accepter que tu m'aimes comme une femme ?
- Oui ! C'est comme ça que les choses marchent, que les couples marchent.
- Alors plutôt être cul-de-jatte, car je ne veux pas d'un amour comme ça. Pour moi l'amour, c'est pareil pour tout le monde. Vivre avec des paillettes dans les yeux. Ce n'est pas accueillir l'autre à son retour du boulot pour qu'il mette les pieds sous la table en regardant le journal télé. L'amour ne devrait pas être une affaire d'union de forces face à la dureté de la vie...
- Tu es trop romantique...
- Peut-on l'être trop ?
- Oui ! Quand on attend la princesse en se prenant pour un chevalier sur son blanc destrier ! Ouvre donc les yeux, ce n'est pas ça la vie !
- Ah non ? Et qui en a décidé ainsi ?
- Mais ! C'est comme ça et puis c'est tout ! Tout le monde vit comme ça !
- Et sous prétexte que la majorité des couples fonctionnent comme ça, je devrais renier ce que je pense pour me conformer au moule ? A ce moule qui provoque deux divorces pour trois mariages ?
- Ah voilà, on arrive au fond du problème... Tu ne veux pas t'engager, comme la plupart des enfants de divorcés.
- Tu n'as qu'à moitié raison. Oui, je réagis en enfant de divorcé. Mais cela ne veut pas dire que j'ai peur de m'engager.

- Tu cherches à me convaincre ou à te convaincre là ?
- Ni l'un ni l'autre. Je suis déjà convaincu et je ne chercherai pas à te convaincre. Je ne t'ai pas demandé de venir pour te faire changer ta vision des choses, je n'en ai aucun droit. Je t'énonce juste un état de fait. J'ai la tête dans les nuages quand toi tu as les pieds sur terre. Si je veux t'emmener quelque part pour te faire une surprise, tu refuses jusqu'à ce que je te dise où l'on va.
- Tes justifications sont foireuses... Si tu ne m'aimes plus, dis-le plutôt que de te chercher des excuses.
- Que tu me croies ou non, je t'aime. Et c'est pour ça que je te quitte.
- Logique implacable...
- Je te quitte parce qu'on ne pourra jamais s'aimer de la même manière... Je me change pour te faire plaisir, je me renie, je me transforme en une personne que je n'aime pas. Et ça, je le refuse...

Elle hoche la tête, serrant de nouveau les dents...

- Et si moi je changeais ?
- Je refuserai.
- Ben tiens...
- Te demander de changer, ce serait accepter ce que je refuse moi-même. De quel droit ferais-je ça ?
- Et si tu faisais une connerie en me quittant ? Si tu le regrettais dans deux jours, deux semaines ou deux mois ? Tu crois que je t'attendrai ?
- Non... Mais il y a parfois des erreurs que l'on doit commettre. Pour apprendre, pour avancer... pour grandir.
- Tout ça, ce ne sont que des conneries de pseudo-romantique... Tu te donnes un genre. C'est comme me quitter sur le lieu de notre premier rendez-vous, ça rime à quoi ?
- Tu vois ? C'est pour ça que ça ne peut pas marcher. Tu penses que je joue un beau rôle pour me glorifier alors que je ne fais qu'être enfin moi-même. Quant au lieu... Et bien appelle ça une énième connerie de romantique. Je trouvais ça plus juste de fermer la boucle là où on l'avait commencé.
- Je ne t'attendrai pas, tu le sais ça ?

Il se lève, ferme les yeux et laisse la brise l'embrasser.

- Je le sais. Et je ne te ledemande pas.
- Alors c'est fini ?
- Tu n'auras aucun mal à trouver un mec qui te convienne... Mais ce ne sera pas moi, ça ne peut pas être moi.
- Et tu ne comptes faire aucun effort ? Pour sauver ce qui peut l'être ?
- Le prix à payer serait de m'oublier et de me plier à tes canons. Et je m'y refuse. Je préfère endosser le rôle du méchant et tu t'empresseras de te jeter dessus et de me conspuer.
- Et si la femme de tes rêves n'existait pas, hein ? Celle qui sera aussi romantique et insouciante que toi ? Tu finiras vieil homme, seul ?

Il hausse les épaules.

- Si elle n'existe pas, j'aurais passé de bons moments à la chercher et à la rêver. C'est mieux que rien...
- Naïf... et idiot.
- Peut-être... mais moi. Et pouvoir regarder sa vie en songeant qu'on a suivi sa propre route et non celle des autres... ça mérite bien ça.

Et sa route il prit, descendant doucement les marches, solitaire dans la foule d'amoureux. Mieux vaut être seul que mal accompagné dit l'adage. Si on lui avait demandé son avis, il aurait dit qu'il vaut mieux vivre un rêve seul que de marcher à deux dans la grisaille du monde, des oeillères sur le coeur.

Sourire solitaire

Il était une fois un vieil homme...


C'est un homme qui n'était jamais malheureux. Il souriait toujours, qu'il soit seul ou en société. C'est ainsi que le définissait souvent les gens : « un sourire ». Il était un sourire ambulant, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige ou qu'il tonne, il souriait.


Il était tout le temps heureux, jamais triste. Il pleurait rarement, et souvent c'était face à une belle histoire qui le touchait. Il avait traversé les longues années de sa vie avec son sourire comme éternel compagnon. Souvent on lui demandait quel était son secret. Comment arrivait-il à garder son sourire face à la vie, parfois si morne et grise. Et alors, dans un énième sourire taquin, il répondait invariablement : « J'écris ! ». Et il ne s'expliquait pas plus.


C'était un écrivain. Depuis de bien longues années, il écrivait page après page. Des histoires mélancoliques, souvent tristes, qu'il espérait belles. Et elles l'étaient, à en croire ses lecteurs.


Et là était le secret de son éternel sourire. Il avait donné un nom à ses écrits : les larmes de plume.

Pleurer des larmes d'encre, là était la recette de son éternel sourire. A travers sa plume s'écoulait sa propre tristesse, ses maux et ses larmes salées. Il les offrait à la page blanche, sacrifice rituel d'une âme qui se débarassait de sa peine. C'était comme se libérer d'un poids, arracher une partie de soi, cette sombre partie emplie d'amertume, de tristesse et de misère, et la confier à l'immaculé de la page. Il offrait sa peine à l'encre, et la façonnait comme on taille un bloc de pierre pour en faire une sculpture.


Et une fois sculptée, la peine n'était plus sienne. Elle appartenait à l'écrit, à ce monde blanc strié de noir. Et il n'avait plus alors besoin de porter ce fardeau.

Et donc il pouvait sourire, toujours heureux, sincèrement heureux, sans trucage ni hypocrisie, sans se voiler ni mentir.

Mais si le vieil homme était toujours souriant, il finissait pourtant sa vie seul. Oh, avec moults amis qu'il chérissait. Mais le soir, devant sa cheminée, fumant sa pipe en noircissant les pages, il était seul. Nul enfant, nul petit-enfant pour émerveiller sa vieillesse. Car nul amour dont ils auraient été le fruit.

Car le vieille homme fit une erreur dans sa vie.


Il écrivit sur l'amour. Un soir de déception amoureuse, une nuit de coeur brisé, il confia à la fois sa peine mais aussi l'amour qui l'avait provoqué, à la page blanche.

Et la page blanche, vorace, dévora l'amour comme elle dévora la peine.
Et depuis ce triste jour, le vieil homme ne réussit plus à aimer. Il essaya, à maintes reprises. Mais l'amour l'avait quitté, son coeur ne savait plus.


Et l'homme souriait toujours, jusqu'au crépuscule de sa vie.
Mais il souriait seul... Et quand son sourire s'étiolait face à la solitude, il reprenait sa plume et emprisonnait le spleen dans les boucles de ses lettres.

Et sur la page blanche, amour et tristesse s'enlaçaient.
Et le vieil homme souriait...

Amici

J'ai cherché des poèmes sur l'amitié...
J'ai cherché des belles citations sur l'amitié...
Mais aucun mot emprunté à un autre n'exprimait ce que j'ai ressenti en ce jour... alors j'ai couché les miens sur le papier, pour cristalliser le sourire de mon être en cette journée passée à vos cotés.



Il est des journées tristes, grises, pluvieuses et sombres

Il est des périodes sombres, déprimantes, perdues dans l'ombre

Aujourd'hui, j'ai vu le soleil, si éblouissant que j'en plissais les yeux
Non pas celui qui illumine le monde et qui rend les autres joyeux

Mais celui que chacun de vos sourires et que chacun de vos rires

Allumait en moi, illuminant les pensées d'un humble sire

Qui accompagné et porté par ces agréables éclats

Se sentait le bonheur d'un roi...


Les mots, aussi poétiquement tournés qu'il puisse être

Ne peuvent retranscrire ce que ces sentiments sans maître

Ont fait naître et que je garderai pour les jours mordus par la nuit.
Le seul qui me vient à l'esprit, simple et pourtant important : « Merci ».

Métro boulot dodo

Un retour du taf, un vendredi soir comme les autres.

Je prends le bus en banlieue parisienne, direction la gare. En chemin, une belle brochette de wesh-wesh stéréotypés. « Hey mââmoizeeeelle, t'es célib' ? Allez, f'pas ta timide ! ».
C'aurait pu être un bon gag si ça n'avait été la réalité.
Le coeur un peu empli de misanthropie, je monte ensuite dans mon RER D, sacro-saint moyen de transport de la déprime, vraisemblablement construit sur le même principe que le train fantôme : plomber le moral des voyageurs afin de mieux leur faire savourer le retour aux Pénates.

Nouveaux exemples de stéréotypes avec les midinettes version wesh. « T'as vu, j'lui ai dit qu'il voulait juste me sauter quoi ! ».
Avouez que vous aussi vous trouvez les amours de mademoiselle follement passionnant. Puis racontées avec un tel lyrisme et un verbiage qui aurait fait rougir Baudelaire et rugir Bernard Pivot, qui dirait non ?

Fort heureusement un agréable fond sonore embellit le trajet. Un morceau de rap quelconque hurlé par le haut-parleur médiocre du dernier portable-MSN-Télé-l'addition-s'il-vous-plait d'un quelconque clampin qui tient à nous faire partager ses goûts musicaux.
Un jour j'achèterai un téléphone-MP3 aussi, juste pour avoir le plaisir de faire jouer une symphonie de Beethoven de façon tonitruante quand Kéké-boy étale les dernières bouses de la Star Ac' 28. P'tet même que j'y ajouterai un SoundBlasterDolbySurround, histoire de profiter à fond des accords magiques du compositeur.
Chatelet les Halles, tout le monde descend. Ou essaye, vu que tout le monde veut rentrer en même temps. La logique et le bon sens semblent être en RTT aux abords des portes de RER.Un soupir, on se faufile et on continue son chemin de croix.

La ligne 14 arrive, le « Meteor », nom poétique qui égaye un peu le métro parisien.
Trois ridicules stations avant d'arriver à Saint-Lazare. Il n'en faut pas plus à deux adultes pour manquer de se foutre sur la tronche parce que l'un a bousculé l'autre. Le civisme à l'état pur. L'intelligence aussi.
Saint-Lazare, terminus du métro. On est au courant, on nous le répète en trois langues différentes. Pourtant, face à moi, je vois courir une jeune femme qui se fend la foule à contre-courant, saumon des temps modernes, pour attraper le métro avant que les portes se referment. Si pressée que personne n'a le temps de la prévenir qu'elle risque un passage par la voie de garage, sans toucher vingt milles francs.

Quelques personnes, dont moi, s'arrêtent pour la regarder courir. Nos regards amusés se croisent. Nous nous sourions les uns aux autres, amusés par l'étourderie pas bien méchante de la demoiselle.

Mademoiselle, merci. Par votre petite gaffe sans conséquence, vous avez fait sourire des usagers à la mine triste et sombre. Vous m'avez fait sourire. Preuve que les gens peuvent encore s'amuser un peu dans les transports parisiens et cesser de faire une gueule de six pieds de long en regardant les leurs.

Mon pas était plus léger lorsque j'allais attraper mon train. Et ma misanthropie un peu diminuée.

Serendipity

Soie du soir, silence soudain

Frêle frisson d'un feu fané

Enlace les sensations secrètes

D'un fier et fieffé fripon

Qui dans la nuit, navré et navrant

S'emmêle dans une mélancolique mélopée

Nid notoire pour négation nocturne

D'une âme pleine d'amitié et vide d'amour.


Caresse si subtile, douceur si sourde

Rêve irréalisable d'un rêveur irrationnel

Souhaitant que quelqu'un songe à lui
Comme il rêve de songer à quelqu'un

Psyché

Promeneur assis au bord de la rive

Contemple le temps qui coule

Fleuve ravissant de sensations vives

Charriant en son sein, dans la houle

Les embarcations des bienheureux.


Rêveur assis au bord de la vie

Contemple les songes qui s'écoulent lentement

Tente d'en saisir les essences, sans jalousie

Qui bercent les navigateurs riant

Les esquifs aux fruits fuyant...


Témoin des sourires d'autrui

Sans ire, sans amertume et sans colère

Il écoute les éclats qui parviennent, sans bruit

Jusqu'aux rives des délaissés délétères

De ceux qui ne sont qu'un, à défaut d'être deux.


Observateur consciencieux, il s'étend

Dans l'herbe verte des bienheureux solitaires

Et se prend à rêver d'un jour prendre le vent

Sur le navire qu'il créent de ses vers

Marin d'eau douce ? Marin d'eau éthérée.


Il ferme les yeux et patiente au bruit

De l'eau qui doucement s'enfuit.
Dans l'air, une fragrance, tout proche

Enivre ses sens, réveille le coeur de roche.
Il garde les yeux fermés, craignant

Qu'à son réveil, au firmament

S'évanouisse à jamais

Celle qu'il attendait,

Celle qui l'attendait.


Défi de plume

A une plume qui passe parfois par ici, d'une langue (à) l'autre, d'une plume à l'autre, voici un petit défi du soir... Bouteille de vers, jetée à la mer, en attente d'une main qui la secouera et en récoltera le parchemin.

J'engage l'amical fer et dessine d'une volute le premier coup...

Plume du soir, oiseau d'encre, qui dans les astres s'élance

Gente damoiselle, à vous l'honneur...

Hommage vespéral...

A ceux qui ont enchanté...


A Sov, Osh-Osh, Mathilde, Elya, Richard, Toubib, Madame, Althéa, FitzChevalie, Fou, Ambre, Loredan, Frodon, Gandalf, Scapin, Figaro, Célimène, Argan, Monsieur Jourdain, Belgarath, Polgara, Belgarion, Vorkosigan, Ramsès, Nefertari, Ryo Saeba, Kaori, Jon Snow, la famille Stark, Aslan, Ce'nedra, Vivacia, Brashen, Sam Sagace, Figaro, Celestin Poux, Caracole, Vérité, Umbre, Elmo, Plume, Miyamoto Musashi, Takeo Otori, Rampa, Soda, Spirou, Eikichi Onizuka, Xiang-Ying, Chesterfield, Blutch, Calvin & Hobbes, Tintin, Haddock, Lapinot, Manu, Shinichi Kudo, Ran Môri, Docteur Temna, Gally, Lanfeust, Gaston Lagaffe...

Et à ceux qui les ont fait vivre...

A Arleston, Franquin, Damassio, Geiman, Pratchett, Eddings, Cook, Martin, Hobb, Molière, Jacques, Tolkien, Lewis, Japrisot, Barjavel, Gazzoti, Tom, Janry, Yoshikawa, Beaumarchais, Watterson, Hearn, Cauvin, Hergé, Aoyama, Hôjô, Larcenet, Sfar, Trondheim, Urasawa...

Et à tout ceux que j'oublie...

Une pensée du soir, un remerciement encré, pour les heures passées, présentes, et futures qui muent le lecteur en rêveur, qui font du spectateur un acteur et qui laisse la main prendre la suite de l'oeil.

Tempus fugit...

Atelier d'écriture : Lecture à voix haute d'un poème de Raymond Queneau L'horloge. Après cette lecture, noter sur papier tous les mots dont on se souvient. Avec ces mots, écrire un nouveau poème.

Mots retenus : Horloge, jonquilles, trépidations, sphères, temps, balance, balancier, hommes assis qui pleurent.

***

Tendres trépidations délétères
Ignorantes du temps éphémères
Coupables, s'écoulent les sphères

Tonnant, roc contre roc, dans le sablier
Attentifs, hommes assis, sans pleurer
Criminels impavides, par le balancier exécutés.

Tombes qui pèsent sur la balance du temps
Ici, elles fleurissent par milliers dans les champs
Champs de jonquilles, témoins du temps fuyant.

Une bulle du passé...

Les rires que chaque nuit nous partageons
Les joies qu'ensemble nous fêtons
Le vent qui nous caresse dans la nuit
Et qui dans la passion nous unit


Mais aussi les larmes qui embrassent les yeux
Que nous essuyons lorsqu'elles sont de tristesse
Que nous chérissons quand elles sont d'allégresse.
Ce soir, je le sais, je n'ai plus besoin de faire de vœu…


Car je n'ai rien à réclamer, j'ai déjà été exaucé.
Ceux qui me tendent leur main dans les coups durs
Et à qui j'offre mon épaule pour pleurer, mon oreille pour écouter
Ceux qui m'offrent des éclats de rire si tendres et si purs


A vous qui avez exaucé un vœu que je ne connaissais
Et qui m'offrez chaque jour un peu plus de bonheur
Je ne sais comment vous remercier à jamais
Si ce n'est en vous offrant ces quelques vers du fond du cœur


Merci à vous de m'avoir fait découvrir cette saveur
Ce goût inaltérable et cette odeur pleine de douceur
Puisse cette délicate sensation perdurer jusqu'à l'infini
Maintenant, je connais le véritable sens du mot : ami…


Icy - 17/12/2005

La caresse

Doucement, je le caresse. Mes doigts passent, glissent, s’attardent sur chaque ride. Elles sont les marques du souvenir, les vestiges de ce que nous avons vécu tous les deux… Ces traces sont comme les bornes de notre chemin commun, chacune me rappelle des moments à deux… dans le métro, dans la rue sans regarder devant soi, dans le lit avant de s’endormir, devant un café, à une terrasse, dans l’herbe, par une belle journée d’été. Chaque fois que mon doigt glisse dans l’une de ces ridules, j’y associe un instant cristallisé dans le passé, figé à travers le temps et à jamais marqué par le sceau du souvenir.

Je les caresse toujours quand je m’en sépare, comme un dernier lien que je romps avec regret. C’est un au revoir, un merci, un peut-être-à-bientôt qui, nous le savons tous deux, n’a que de faibles chances d’arriver… Lorsque cela arrive, lorsque nous nous retrouvons, c’est que notre aventure a été assez puissante pour que nous rechutions le temps d’une histoire…

Je pousse un soupir lors de ce dernier frôlement. Je reste toujours quelques instants les yeux dans le vide, suspendus entre un passé encore très présent et un présent encore trop teinté du passé. Et dans ce court instant, juste le temps d’un souffle, d’un battement de mémoire, les souvenirs affluent dans un éclair, se mélangeant, se distinguant, se fondant les uns dans les autres, se démarquant les uns des autres. C’est une mosaïque riche de morceaux d’histoires, patchwork de scènes et de moments partagés.

Avec chacun d’eux, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai hoqueté de surprise, j’ai frissonné de plaisir, j’ai crié ma haine, j’ai larmoyé mon bonheur, j’ai vibré de rêve…

Autant de pages tournées à travers le temps, tentantes et tempérées, tentées et tempétueuses, teintées de tendres tremolos…

Ils ont été nombreux à passer entre mes mains, provenant de mille et un horizons différents, feutrés ou bien feulant, feu fier et pas peu fier, de faire rêver les fidèles comme moi.

Parfois quelques heures, aventure d’un soir, souvent quelques jours, voir quelques semaines, ça devient sérieux, rarement plusieurs mois, ou alors c’est que l’aventure en vaut le coup !

Mais toujours cela se termine et le point final du livre qui se referme entre mes mains est irrémédiablement suivi de cette caresse, cette dernière jonction entre lecteur et lecture, cette étincelle de complicité que je laisse s’évanouir à regret.

Mais toujours en moi je garde le souvenir de ces instants où, partagé entre rêve et illusion, je me suis laissé emporter au cœur des pages, à travers les mondes et les âges.

Et invariablement, sans que mes lèvres bougent et comme je l’ai murmuré intérieurement à Sov de La Horde du Contrevent, à Mathilde pendant Un long dimanche de fiançailles, à Eléa dans La nuit des temps, à ceux qui m’ont fait pleurer, rire, vibrer, rêver, frissonner, je glisse dans cette caresse un muet mais néanmoins sincère : merci.

Fleur bleue

Fragrance d'une floraison filée

Lisse comme la soyeuse suavité

Enlaçant les sons sussurés
Une explosion de pétales empourprées
Rêve est leur riche robe de soirée

Bourgeon d'un gens sans gêne
Liaison lyrique d'un lettré sans haine
Entre troubadour et tentantes calembredaines
Une jongle et une joute, jamais on ne freine
Echappée d'une épopée, promenade sans rêne


Palindrome d'un drôle de sire
Où rêve nourrit le vers, sans rire,
Une ambivalence où le vers, sans ire
Rassasie le rêveur et l'empêche de fuir

Ambiance feutrée et enfumée
Mouvements de volutes éclairées
Entre crépuscule et aube partagée

Ralenti des mots retranscrits
En une langue sans gangue, jaillit
Versification, douce scansion à la métrie
Enjôleuse et câline, de romantisme pétrie
Unie de songes, de mots et de morceaux de vie
Sillage d'une pétale qui jamais ne se fâne la nuit
Essouflée ? Jamais la fleur bleue ne s'endormit...

Les yeux azurs (III)

Ils me gardèrent deux jours en observation. Par pure conscience professionnelle je suppose puisque je ne souffrais d’aucune blessure. Mon médecin continuait de s’extasier sur ma chance hors norme. Sophie s’arrangea pour que j’aie une télévision dans ma chambre, histoire de m’occuper entre les horaires de visite. Elle semblait avoir oublié que j’exècre la télévision mais je ne lui en tins pas rigueur étant donné que je voulais avoir des nouvelles sur cet ahurissant tremblement de terre qui avait secoué Paris… De mémoire d’homme, jamais la capitale française n’avait été touchée par un séisme…

Fort heureusement, son amplitude avait été relativement faible… Deux métros, dont le mien, avaient déraillé dans un tunnel, dénombrant 234 morts. Un immeuble du 19e arrondissement avait commencé à s’ouvrir en deux comme un pain qu’on a rompu et de nombreux bâtiments présentaient des fissures qu’il faudrait surveiller. Certains quartiers avaient été privés d’eau et d’électricité mais les autorités avaient réagi assez rapidement et prodigué des aides et des secours en attendant la remise en marche des différentes installations. Hormis quelques cicatrices et les morts et blessés du métro, la ville panserait ses blessures assez vite et serait bientôt comme neuve.

Les scientifiques se perdaient en hypothèses, conjectures, projections et autres hypothèses… En un siècle, la France n’avait été touchée que par une petite douzaine de tremblements de terre dont le plus meurtrier fit 46 morts.


Record battu cette semaine…

234 morts, 455 blessés. 1 miraculé.


A ma demande mon nom avait été tenu secret par les autorités pour éviter que la presse ne me harcèle ou que des illuminés décident que j’étais un élu de Dieu ou je ne sais quelle autre bondieuserie à la con… Cette histoire de miraculé me troublait, je ne voulais surtout pas que les gens pensent que j’étais autre chose qu’un type très, mais alors vraiment très, chanceux.


A ma sortie d’hôpital, Sophie me ramena chez moi en voiture. Je restais perdu dans mes pensées pendant tout le trajet, laissant mon organisme et mon esprit évacuer les drogues et calmants qu’on m’avait donné à la sortie de mon coma. Acte préventif, paraissait-il. Mon regard errait sur les bâtiments parisiens, sur toute cette fourmilière humaine. Je notais quelques fissures sur les immeubles, traces du séisme incompréhensible qui avait frappé la ville… Hormis ça, les gens menaient une vie normale. Ça me choquait, me froissait quelque part. J’avais survécu à un évènement pour le moins horrible et, même si je n’en gardais que des bribes de souvenirs très éparses, je me sentais déçu que le monde ne se mettent pas au diapason de mon humeur et de ma vie.

Oui, c’était totalement idiot comme réflexion. Mais j’étais dans mon droit, j’étais un miraculé. Nous avons des prérogatives en tant que miraculés. Râler face au monde en est une. Ça ne sert strictement à rien mais ça soulage un peu.


- Ça va Johan ? me demanda Sophie.
- Hmmm… Oui, ça va, ne t’inquiète pas… je réfléchis, c’est tout.
- Tu penses à quoi ?
- J’essaye de me rappeler ce qui s’est passé dans le métro. Je n’ai que des souvenirs fragmentés tu sais… Des bruits, des cris. Des morceaux d’image. J’ai l’impression de regarder à travers un miroir brisé.
- Tu devrais éviter d’y repenser. Pour l’instant tout du moins… Pense à autre chose. Concentre-toi sur autre chose.
- Je ne peux pas…

Cette évidence, énoncée à voix haute, prenait toute son ampleur. Je ne pouvais pas arrêter de penser à l’accident. Il y avait quelque chose, un fragment du miroir qui échappait complètement à mon regard. Comme beaucoup d’autre fragments en fait, mais je ne savais pas pourquoi, ce fragment précis me turlupinait.

- Ne force pas trop Johan… Repose toi… Tu as beau ne pas avoir eu une seule égratignure, ça ne veut pas dire que tu es sorti indemne de tout ça.
- Comment ça se fait à ton avis ?
- De quoi ?

- Que je ne n’ai pas une égratignure…
- De la chance… beaucoup de chance…
- Tu crois qu’il n’y a que ça ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Je ne le sais pas moi-même… mais… une centaine de morts dans le même métro que moi… et je n’ai absolument rien… Même après des heures et des heures sous les décombres. J’ai beau être une quiche en maths, en terme de probabilités, tu avoueras qu’on est quand même vachement bas pour qu’une seule personne ressorte indemne avec des paramètres comme ceux là !
- Je ne sais pas quoi te dire… Peut-être qu’une chance sur un million… ben ça reste une chance. Si elle existe cette minuscule chance, c’est peut-être aussi pour qu’un jour, quelqu’un tombe dessus…

Pour seule réponse, je me contentais de continuer à laisser errer mon regard sur la ville. Un peu plus en avant, une affiche publicitaire me sauta aux yeux.


Rubéole, Rougeole, Oreillons : Réagissez !


Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé… Une lueur m’a vrillé le crâne de part en part. Avec un cri de douleur, j’ai fermé les yeux aussi fort que j’ai pu, comme si je pouvais me soustraire à la lumière aveuglante. Mais c’était peine perdue. J’avais beau serrer mes yeux aussi fort que je pouvais, j’étais toujours ébloui par cette lumière blanche.

Et moi qui pensais qu’on voyait ça quand on était sur le point de mourir… Une réflexion idiote me vint à l’esprit tandis que je combattais la douleur : la mort avait loupé son coche et était de retour, en retard, pour chopper le petit malin qui avait cru pouvoir passer entre les mailles du filet.
Quelque chose apparue au travers de la lumière, comme une ombre chinoise qui se découpait dans le halo. Quelque chose s’empara alors de mon cœur et de mon âme, une étrange sensation l’enveloppa. Et aussitôt, la douleur et la lueur disparurent en un claquement de doigts et je rebasculai manu militari dans la réalité.

Je restai haletant, les mains serrées sur le tableau de bord. De longues coulées de sueur froide me descendaient le long de la colonne vertébrale et mon visage était luisant de transpiration. Retrouvant pied petit à petit dans la réalité, je me rendis compte que la voiture était arrêtée sur le bas-côté et que Sophie hurlait tout ce qu’elle pouvait en me demandant si j’allais bien. Au moment où, devant mon absence de réponse, elle disait en redémarrant la voiture « Je te ramène à l’hôpital », je pus enfin ouvrir la bouche.

- Un… papier.
- Quoi ?
- Donne moi un papier. Et un crayon.

Je tentais de ralentir les battements de mon cœur et de calmer ma respiration tandis que Sophie ouvrait la boite à gants et me tendait un calepin et un stylo. Sans un mot je lui pris des mains et commençait à écrire, ou plutôt à dessiner, ce que j’avais vu ou cru voir… Cela ne me prit pas longtemps, ce n’était qu’une seule et unique lettre. Je retournai le calepin vers Sophie et lui montrait :




- Et bien quoi ? Tu hurles en te tenant la tête pendant trente secondes et ensuite tu me dessines un joli R gothique ? C’est supposé calmer mes nerfs ?
- Non Sophie… C’est ce que j’ai vu…
- Où ça ?
- Je ne sais pas… C’est… tu vas trouver ça idiot… mais j’ai eu un souvenir de cette lettre…

En le disant, je confirmais mes pensées. Je n’avais pas vu cette lettre… je m’en étais souvenu ! Et là était le point important… Je ne savais pas ce qu’elle signifiait ni même où j’avais bien pu la voir. Mais je la connaissais ! Et à regarder cette lettre, gribouillée sur un bout de papier, je ne pouvais retenir une étrange bouffée qui explosait en moi… Une sorte d’excitation que je ne pouvais pas définir… envie, bonheur, espoir ? Je sentais juste que cela me faisait plaisir de voir cette lettre sans que je parvienne à l’expliquer. Je déchirai soigneusement la feuille du calepin et la pliai tout aussi délicatement pour la ranger dans mon portefeuille.

Nous étions toujours arrêtés sur le bas-côté, je soupirai donc et dit :


- Allez Sandra, rentrons à la maison…
- Sophie.
- Quoi ?

Je tournai la tête pour la regarder droit dans les yeux, ces yeux noisettes qui étaient emplis à cet instant d’une lave en fusion qui menaçait de me carboniser sur place façon Pompéi.


- Mon prénom. C’est Sophie.
- Je sais bien !
- Alors pourquoi m’as-tu appelé Sandra ?

J’ouvrais la bouche pour répondre lorsque je me rendis compte qu’elle disait vrai. Je l’avais appelé Sandra, sans même me poser la question. C’était venu naturellement.

- Je… Je suis désolé…
- Qui est Sandra ?
- J’en sais rien Sophie…
- Ah oui ? Tu te trompes de prénom en parlant à ta petite amie et tu ne sais pas d’où peut venir ce mélange ? Tu te fous de moi ?
- Nom de Dieu Sophie, je sors d’un accident horrible, je me suis planté sur mon propre prénom, tu étais là non ?, à mon réveil. Tu as conscience de ça ? J’ai dit au docteur que je m’appelais Benjamin putain ! Et tu me fais une crise de jalousie parce que je t’ai appelé Sandra ? Mais je sais pas d’où vient ce foutu prénom ! Je ne connais pas de Sandra ! Maintenant que tu me croies ou pas, est-ce que tu veux bien démarrer cette foutue bagnole et me déposer chez moi que je puisse me reposer ?

Je ne comprenais pas… Je m’énervais contre Sophie alors que ce n’était pas dans mes habitudes. Je n’ai jamais été du genre à pousser des gueulantes comme ça. Je suis plutôt du genre conciliant à arrondir les angles. Mais là… Le ton était monté en deux syllabes dans la voiture, à tel point que Sophie baissa la tête, le visage cramoisi, et s’excusa.

- Tu as raison, je n’aurais pas du réagir comme ça… Tu viens de vivre quelque chose de très violent, je suis désolée… C’était complètement idiot.

Je soupirais. Je posais ma main sur son épaule et la caressait doucement.

- Je n’aurais pas du m’énerver comme ça moi non plus… Je suis claqué, mieux vaut rentrer…

Elle se pencha vers moi et m’embrassa.

- J’te ramène et j’te borde…
- Ça ne me dérange pas, du moment que tu es sous la couette aussi…

Et dans un rire, elle démarra la voiture et prit le chemin de la maison. Je me forçai à sourire pour la rassurer. Mais ce que je ne lui disais pas, c’est que ce prénom, Sandra, me faisait réagir comme la lettre gothique. Mais là où je ressentais une sorte d’excitation de gamin face à la lettre… je trouvais quelque chose de différent face à ce prénom. Il n’était rattaché pour moi à personne, à aucun visage, à aucune amie ni à aucune parente. Ce n’était qu’un prénom, un simple prénom sans lien.

Alors pourquoi à chaque fois que je roulais mentalement ce prénom sur mes lèvres, mon cœur se mettait à battre la chamade comme ça ?

Coeur ou vers

Jolis et subtiles carillons nocturnes qu'il aperçoit

Enveloppés de nuit, caressés du bout des doigts


Regard de glace, âme de feu

Ennivrés d'étoiles cachées des cieux

Virevoltantes, volages et mutines

Enrubannées d'illusions calines


Ah ! Soupir dans les bras de Nyx, mon amie


Lueur d'une comète dans sa robe fusant
Attendrie, calme mais fuyant...


D'où vient ce coeur de songes
Où avec délectation je plonge ?
Une illusion qui m'a piégé
Cercle lacté emprisonnant les pensées
Enlaçant en silence dans la nuit
Un rêveur qui s'endort sans bruit
Ruade ? Révolte ? Rebellion ?


D'un battement de cil, il les oublie.

Un battement de coeur, et c'est fini.
Niant d'un souffle rêves et illusions de minuit

Bonsoir Nyx, prends moi dans tes bras
Amène moi auprès de ton fils, je suis las
Ire sans fureur d'une âme qui se désabuse
Sans honte, je quitte toutes ces ruses
Espoir, lueur, espoir, pointe, espoir, lame
Recourbée qui pénètre mon être, mon âme

Vision fugace, éphémère sensation
Oublions la je te prie, sans oraison
Laissons la reposer, cette tendre chimère
Eternellement prisonnière de ces vers

La ligne de métro

On dit que l'artiste est celui dont le regard s'arrête là où celui des autres ne fait que passer...
Combien de fois sommes-nous passés devant ces affiches dans nos rames de métro, combien de milliers, de millions de fois les avons-nous lues pour trouver notre chemin ?

Et si, le temps d'un trajet, nous nous mettions à nous amuser avec les stations de métro ? Le chemin n'en serait-il pas moins gris ?

Voici ma ligne de métro à moi qui, si elle est réduite et parsemée de jeux de mots honteux ou de références obscures, aura au moins eu le mérite de me divertir le temps d'un trajet. Et rien que pour cela, je l'en remercie.



Citation du soir (II)

Si on ne peut avoir la réalité, le rêve vaut tout autant.

Ray Bradbury

L'ouroboros du soir

Atelier d'écriture

Contraintes : Utiliser les deux combinaisons (construites au hasard) "mot-phrase" suivantes pour inspiration :

- Soir. Dans la boîte à gants mon ange.
- Ouroboros. Quelques heures plus tard, à 75km de là.
Durée : 25 minutes.

***

Il aurait fallu que ce soit un soir de brume, aux longues et denses volutes blanchâtres telles qu'on en trouve dans la lande anglaise lorsque le frog abat sa chape. Mais Sophie n'avait droit qu'à une claire nuit d'été où la lune projetait de pâles rayons sur la route.

Un hangar d'où provenaient des notes assourdies la rassura : elle était sur la bonne route. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre : 3h00 du matin. Son zozo ne devrait plus être loin.

Une tâche claire au loin confirma ses espoirs. Un homme marchait sur le bord de la route, chemise blanche, pantalon à pinces et chaussures de ville. Il avait l'air d'avoir tout juste dix-huit ans. Le clubber rentrait de boîte... Comme prévu.

La voiture s'arrêta dans un léger crissement de freins :


- Besoin d'un taxi beau gosse ?

Surpris, il se baissa à la fenêtre et la regarda. Ou plutôt, il regarda son décolleté.

Poisson ferré, pensa-t-elle.

- Ouais... Ouais, ça serait cool !
- Allez, grimpe !

Une fois la portière fermée, elle redémarra la voiture. Elle le voyait du coin de l'oeil lorgner sur ses jambes et sa mini-jupe.

- Alors ? On rentre de boîte ? Lui demanda-t-elle.
- Ouais, petite soirée entre potes...
- On dirait que ça n'a pas choppé des masses ce soir, dit-elle avec un sourire en coin.

Il rit, d'un rire idiot qui la fait grincer des dents.

- Ben ouais, dur de chopper sans caisse pour ramener la nana !
- T'as pas de caisse ?
- Plus maintenant... Ma vieille veut plus que je prenne la voiture...
- Oh, toi t'as cartonné la voiture de maman !
- Ouais, l'an dernier.
- Pas trop grave ?

Il rit de nouveau, toujours de ce même rire gras et insupportable.

- Bof, j'avais un peu bu... Me rappelle plus trop... J'ai rien eu, c'est l'essentiel.

Elle rit à son tour... Mais si le jeune homme avait été moins attiré par les formes féminines de Sophie, peut-être aurait-il noté la différence de registre.

- Tu me plais Anthony... Tu me plais vraiment beaucoup...
- J'dois avouer que t'es pas mal non plus...
- Regarde dans la boîte à gants mon ange...
- Okay...

Il se pencha en avait, séduit par la voix pleine de promesses voilées, posa la main sur le loquet et l'ouvrit. Il plongea la main dedans tout en disant :

- Mais au fait... J't'avais donné mon prénom ? J'me souviens p...

La fin de sa phrase mourut sur ses lèvres tandis qu'il sortait une photo de la boite à gants. Dessus, une petite fille souriait de toutes ses dents. Ou presque. Elle en avait perdu une, gracieusement offerte à la petite souris la semaine précédente.

- C'est quoi ça ?

Sa voix a perdu toute son assurance graveleuse.

- Ça ? C'est une petite fille...
- J'le vois bien ça ! Qu'est ce qu'elle fout là cette photo ?
- Tu la reconnais ? C'est Emilie. Elle avait huit ans quand un petit con de dix-sept ans, ivre en plein après-midi, l'a renversée et a pris la fuite en la laissant crever au bord de la route... Mais comme il était mineur, il s'en est tiré avec un coup de règle sur les doigts. Ça te rappelle quelque chose Anthony ?

- Qui t'es ?! Qu'est ce que tu veux ?

La panique, elle arrivait, envahissait sa voix, étranglait ses cordes vocales comme un serpent. Sophie glissa la main gauche dans le vide poche de sa portière tout en freinant et en arrêtant la voiture et pointa un revolver sur le jeune homme :

- Juste rééquilibrer la balance Anthony... Oeil pour oeil...

Deux coups de feu, deux éclairs lumineux dans la nuit. Deux fleurs rouges s'épanouissant sur la poitrine.

- Dent pour dent...

Elle ouvrit la portière et fit rouler le cadavre hors de la voiture, l'abandonnant au milieu de nul part. Un coup d'oeil à sa montre : 3h15. Elle avait encore le temps...



Quelques heures plus tard, à soixante-quinze kilomètres de là, une voiture s'arrête sur une route déserte à coté d'un homme passablement éméché :

- Besoin d'un taxi beau gosse ?

Citation du soir

"How happy is the blameless Vestal's lot!
The world forgetting, by the world forgot.
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray'r accepted, and each wish resign'd..."

Alexander Pope

Les yeux azurs (II)

Tout était entièrement blanc. La lumière était vive, artificielle et me faisait mal aux yeux. Je plissais les yeux le temps de m'habituer à la lumière.

- Appelez le docteur, il se réveille...

Je tournais la tête en direction de la voix et découvrais le décor autour de moi. Une chambre d'hôpital. La femme qui venait de parler était une infirmière. Elle me sourit et me dit :

- Ne vous inquiétez pas, le médecin arrive...

J'étais si fatigué que je n'avais pas la force de répondre. Je repris ma contemplation du plafond en soupirant. Les souvenirs de l'accident me revenaient petit à petit en mémoire. Les cris, le bruit, la peur... Je tentais de les tenir écartés de moi, je commençais à entendre de nouveau tout ce qui s'était passé un peu plus tôt.


Le docteur vint à ma rescousse et me permit de me concentrer sur autre chose. Il entra dans la chambre, suivit d'une jeune femme ravissante si ce n'est les cernes qu'elle avait sous les yeux.

- Sophie ! dis-je, soulagé de voir un visage connu.

Le docteur ne lui laissa pas le temps de parler :

- Comment vous sentez-vous ? Savez-vous où vous êtes ?

Il tint mes paupières ouvertes le temps d'y jeter un coup de lampe torche.

- A l'hôpital je suppose...
- Pouvez-vous me dire votre prénom ?
- Benjamin...

Le médecin se redressa, surpris. Je le vis regarder Sophie du coin de l'oeil. Je me rendis alors compte que je n'avais pas donné le bon prénom.

- Désolé, je voulais dire Johan... Je ne sais pas pourquoi j'ai dit Benjamin...
- Ce n'est rien, après ce qui vous est arrivé une légère confusion est toute à fait compréhensible et normale...
- Qu'est ce qui s'est passé ?

Sophie s'assit sur le bord du lit. Je cherchais sa main et la serrai, heureux de retrouver ma petite amie.

- Un accident de métro c'est ça ? Les wagons ont déraillé ?
- Oui Johan, répondit-elle. Mais ce n'était pas un accident... Il y a eu un tremblement de terre... Ton métro a déraillé...
- Un tremblement de terre ? A Paris ?
- Oui...
- Merde...
- Vous avez très chanceux jeune homme... Très très chanceux...

Il y avait quelque chose d'étrange dans sa voix... et dans son regard posé sur moi.

- Il y a eu beaucoup de blessés ?

Je vis le médecin regarder Sophie sans répondre. Elle serra ma main plus fort.

- Johan... Tu es le seul survivant...
- ... Merde...

Je reposais ma tête contre l'oreiller... Le seul survivant sur la centaine de personnes présentes dans le métro ?

- Les secours ont mis plusieurs heures à atteindre les décombres, une partie du tunnel s'est effondré sur la carcasse du métro. Ils ont mis plus de dix heures à accéder à la rame et à t'en extraire. Tu es resté inconscient depuis.
- Combien de temps ?
- Sept jours...
- Merde...

A croire que ma vie allait se résumer à un enchainement de « merde » pour les prochaines heures. J'avais l'impression de ne pouvoir dire que ça...

- Tu as vraiment eu de la chance mon chéri...
- Je ne sais pas si on peut parler de chance ou de miracle divin l'interrompit le médecin.
- Comment ça ?

Il poussa un long soupir.

- Jeune homme, vous avez été pris dans une catastrophe de grande ampleur, vous êtes restés de très longues heures inconscient parmi les décombres, tous les autres passagers sont décédés... Mais vous...

Je n'aimais vraiment pas le ton de sa voix.

- Moi quoi ?

Il y avait plus de hargne dans mes propos que je ne l'aurais voulu mais quelque chose chez ce médecin me tapait sur le système.

- Regardez-vous jeune homme...

Je baissai les yeux sur mon corps alité. Mes bras semblaient aller bien, je soulevai la couverture. Rien aux jambes ni au ventre...

- J'ai l'air d'aller bien, non ?
- Justement... Vous avez survécu à un horrible accident... Et vous n'avez pas une égratignure.

Je réalisai alors qu'il disait vrai. Je n'avais pas un bleu, pas une fracture, pas même une éraflure...

- Pas une seule, rajouta le médecin, visiblement dépité.

- Merde...





à suivre...

Les promeneurs

Prenez ma main, n'ayez pas peur... Je vous emmène pour une promenade dans Paris. Oubliez les monuments, effacez de votre mémoire les clichés parisiens qui l'encombrent. Faites moi confiance et laissez vous emporter.

Prenons cette petite ruelle pavée, là, en face de nous. Il fait nuit, mais la lumière des lampions dispensent une lueur mordorée qui tombent sur la vieille pierre comme une étoffe de soie, s'évanouissant, épousant, se languissant sur notre chemin. Caressez la en passant, allez-y... Elle est douce n'est-ce pas ? Vous ne sentez pas ? Faites un effort... Ne regardez pas avec vos yeux, ne touchez pas avec vos doigts...

Allons, fermez les yeux, laissez votre main voler dans les airs, comme quand vous sortiez votre bras de la voiture sur l'autoroute quand vous étiez gamin. Maintenant, regardez, sentez. Non, gardez les yeux fermés. Voilà... Vous sentez la douceur de la lumière, vous voyez ces courbes rouges et orangées se coucher sur les pavés ?

Vous commencez à comprendre...

Continuons notre chemin, tenez bien ma main. Tenez, allons voir cette petite place, là bas... Oui, je sais, vous ne la connaissiez pas. Elle est bien cachée. C'est justement ce qui fait sa valeur, son secret... Soyons discrets et respectons les larmes de la dame... Oui, des larmes... D'où croyez-vous que vient toute cette eau ? La dame pleure... Ce qu'elle pleure ? Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir. Peut-être un amant perdu à la guerre... Ou bien un enfant parti loin d'elle... Ou tout simplement sa propre vie ? Il est bien plus agréable d'imaginer que de savoir vous savez...

Mais ne nous attardons pas trop ce soir, j'ai bien d'autres choses à vous montrer... Il va falloir nous dépêcher, retenez bien ce que je vous montre ce soir...

Hop hop, nous voilà au-dessus des quais... Sous les ponts, coule la Seine... Et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne ? Haha, pardonnez cette digression, je suis d'humeur poétique ce soir... Ah, d'ailleurs, regardez cette femme là, assise à califourchon sur le muret, qui sussure des mots à l'oreille de ce jeune homme avec un cahier... C'est Poésie, une habituée de la ville... Vous n'arriverez peut-être pas à comprendre tout ce qu'elle vous dit si vous lui parlez, mais c'est normal, c'est dans sa nature...

Et si nous descendions sur les quais ? Allez, prenons cette escalier... Prenez garde, il est glissant, la pierre n'est plus toute jeune... Traitons la avec respect. Une légère caresse sur la rampe de pierre pour la remercier d'être là. Vous sentez la rugosité ? Ce sont les rides de l'âge...

Ah, arrêtez-vous... Vous voyez ces deux personnes là-bas, non loin du couple qui se disputent ? Hein ? Non il n'y a pas qu'une femme, regardez dans l'arbre... Vous voyez l'homme ? Et bien ce sont Rêve et Réalité... Ils ne veulent pas l'admettre mais ils sont plus proches qu'ils ne le laissent paraître... N'allez pas leur dire que j'ai dis ça hein, ils le prendraient mal... Ils sont un peu caractériels...

Ne lâchez pas ma main, continuons de marcher un peu... Profitons un peu de l'air qu'apporte la Seine, les nuits sont chaudes en cette saison... Allez, petit saut de puce, remontons sur les boulevards... Et si nous allions vers la Rue de Rivoli ? Oh ? Mais nous y voilà déjà... Et oui, il y a quelques avantages à se promener en ma compagnie...

Ecoutez donc l'écho de nos pas sur les carreaux qui résonne dans les arcades... C'est envoûtant non ? On dirait une sérénade... Ou un métronome... Clac, clac, clac... C'est lancinant, c'est hypnotisant... Ah, regardez ce couple devant nous... Premier rendez-vous je parie... Ça se voit à la manière dont il la tient par la taille, un peu gauchement, attiré par cette proximité mais effrayé à l'idée de la déranger. Notez qu'elle n'a pas l'air de s'en plaindre. Vous voyez l'homme qui les précède et qui tourne des boutons sur les colonnes de pierre ? C'est Romantisme... Regardez comme les lumières se tamisent au-dessus du couple, à chaque fois qu'il règle un variateur. C'est son boulot ici, favorisez ces petits moments qui peuvent aboutir à ce premier baiser... Ah, la douceur du premier baiser, le frisson qui vous fait trembler lorsque votre visage se rapproche, votre respiration qui se ralentit involontairement, qui se bloque parfois. Qu'il serait bon de cristalliser cet éphémère instant de la demi-seconde avant le baiser, quand les lèvres ne sont qu'à quelques millimètres l'une de l'autre... On a hésité, on s'est lancés, on se rend compte de la réciprocité... On attend, on savoure, on vibre, on anticipe la douceur de ce premier baiser... Mais non, il ne faut pas le cristalliser... C'est ce qu'il la rend si belle cette demi-seconde, c'est cet instant évanescent qui nait et mue en un instant et qui devient le baiser...

Et si vous regardez bien, à ce moment là, vous apercevrez une ombre, cachée dans un recoin. Vous ne verrez que rarement son visage, et quand bien même, vous seriez incapable de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme... Il ou elle est timide et se cache souvent... Tout le monde cherche Amour, quelques-uns trouvent Amour... Amour est timide et ne fait son office que discrètement, pas à pas... Parfois cependant, il ou elle agit un peu plus violemment... Je crois que vous appelez ça le coup de foudre... Encore une idée de Poésie ça, « coup de foudre »... Pourquoi pas « vague de typhon » ou « éboulement de séisme », hein ? J'vous le demande... Bref...

Ah... Regardez dans le parc là bas... Vous voyez le jeune homme assis sur un banc, seul, occupé à écrire sans relâche dans son cahier ? Hein ? Ah non, ce n'est pas l'un des nôtres... Regardez son visage, ses cheveux courts, son cuir usé... Vous le reconnaissez ? Attendez, le voilà qui lève la tête et regarde vers nous...

Vous comprenez maintenant ?
Qui je suis ?

Hahaha... Mais jeune homme, je pensais que vous l'auriez compris... Une femme qui vous emmène dans les coeurs de Paris, vous fait découvrir les secrets de la ville... Vous ne voyez pas ? Aaaah, je sens une lueur de compréhension dans votre regard... Oui, c'est bien ça... Je suis Inspiration... Allez donc vous retrouver sur ce banc, il est temps de vous réunir avec vous même, les balades comme ce soir doivent se savourer... Et n'oubliez pas : Paris n'a qu'une âme, mais la dame a de nombreux coeurs... Ce sont eux qui font battre son sang, ce sont eux qui enchantent sans qu'ils s'en rendent compte ceux qui savent tendre l'oreille...

Allez... Bonne nuit jeune homme... A bientôt peut-être...



Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire

Pot-pourri

- Tu veux pas descendre de cet arbre un peu ?

- Pourquoi ? Chuis bien là haut...
- Oui mais les gens te regardent bizarrement.
- Ben voyons... On est sur les quais, un samedi soir... Les gens pique-niquent dans tous les sens... Tu penses vraiment que quelqu'un a quoi que ce soit à faire d'un type assis sur une branche dans un arbre ? A fortiori dans Paris...
- Ouais mais quand même !
- Je note l'argumentation en béton armé... Arrête d'être si terre à terre...
- C'est un peu dans ma nature, tu le sais bien.
- Ta nature est chiante à mourir ma bonne amie...
- Et la tienne est exaspérante, mon bon ami.
- Pas du tout ! Je mets un peu de piment dans ce monde triste et gris...
- Tu les berces d'illusions, c'est tout.
- Pfff... Regarde ce couple là bas, en train de discuter...
- Ceux qui se disputent ? Celui où la femme a un bouquet de roses à la main ?
- Ouais... Qu'est ce qu'elle lui dit à ton avis ?
- Ils parlent de leurs problèmes de couple... Apparemment mademoiselle est une je-m'en-foutiste de la vie...
- J'aurais dis une épicurienne mais soit... Et lui ?
- Il est plus... pragmatique.
- J'aurais dit plus « chiant », mais ça n'engage que moi...
- Tu es de parti pris.
- Tout comme toi...
- A ton avis, qui a raison de ces deux là ?
- Tu sais aussi bien que moi qu'aucun n'a raison et qu'aucun n'a tort...
- Et si on inversait un peu les rôles ?
- Hmmm... pourquoi pas... tu commences.
- D'accord. Elle lui dit qu'elle a besoin de lui, qu'il est une ancre dans son monde de rêveries.
- * grognement *
- Quoi ? Tu n'es pas d'accord ?
- Tu rends les choses si ennuyeuses... Il lui répond qu'il aimerait bien partager ses rêves... S'inviter dans son monde...
- Peuh, mièvre... Elle lui demande ce qu'il serait prêt à faire par amour ?
- Il serait prêt à peindre de rose les murs gris de Paris...
- Et si elle le quittait ce soir ?
- Alors il se poignarderait avec les roses, pour mourir d'amour...
- Hmmm... Un point pour toi, pour la poésie.
- Oh, merci ! Et il lui demande à son tour ce qu'elle ferait s'ils se quittaient ce soir...
- Elle trouverait la réalité bien dure et regretterait d'avoir trop rêvé à leur histoire.
- Hmmm...
- Comme tu dis...
- On les laisse comme ça ?
- Qu'as-tu en tête ?
- Et si on équilibrait la balance ?
- Okay... je commence... Elle lui promet d'être un peu plus raisonnable, plus ancrée dans la réalité... Et lui ?
- Les mots auront moins d'impact que les actes...

Il la regarde du haut de son arbre, un sourire aux lèvres. Au loin sur les quais, un cri retentit :

- AVIS A LA POPULATION PARISIENNE ! J'AIME CETTE FEMME ! JE L'AIMAIS HIER, JE L'AIME AUJOURD'HUI ET JE L'AIMERAI DEMAIN !

Et l'homme de prendre la femme dans ses bras en la faisant tournoyer sous les rires et les quelques applaudissements des parisiens noctambules.


- On dirait qu'ils ne vont pas se séparer ce soir...
- On dirait bien...
- Allez, j'ai fini mon boulot alors... Je te laisse à ton arbre pour ce soir...

Elle commence à s'en aller, ses sandales claquant sur les pavés parisiens.

- Réalité ?

Elle s'arrête et se retourne vers l'homme perché dans son arbre :

- Oui ?
- On devrait mêler nos influences un peu plus souvent, tu ne crois pas?

Elle regarde le couple en train de s'embrasser et sourit en coin.

- J'en ai bien l'impression... On remettra ça alors ?
- Avec grand plaisir... Bonne soirée Réalité...
- Bonne nuit à toi Rêve. A très vite...

Life coin

Je demande la Lune, on m'offre le Soleil.
Je rêve aux étoiles, quelqu'un allume la lumière.
Je songe à la tendresse, je trouve l'érotisme.

J'ai soif, on me tend de la nourriture.

Je vagabonde, on me donne une boussole.

Je trouve l'amitié quand je cherche l'amour.


On m'offre un mouchoir quand je ris.
On éteint la lumière quand je veux lire.
On me parle de prose quand je songe en vers

On me tend un parapluie quand il fait beau.

On me donne des lunettes noires en plein jour.

Je trouve l'amour quand je cherche l'amitié.

Je suis le coté pile, perdu sur la face du monde.

Un café. Noir s'il vous plait...


Il est assis à la terrasse d'un café près de la fontaine Saint-Michel. Le temps est menaçant, ce qui fait qu'il n'y a pas foule. En fait, il est seul à la terrasse, hormis une femme à la table d'à coté. Il boit un café, lentement, laissant de longues minutes entre deux gorgées. Entre chaque, il soupire à fendre l'âme. Ce qui est assez ironique trouve-t-il.

Il regarde les passants vaquer à leurs occupations comme un enfant regarde un fourmilière en pleine activité.


- Excusez-moi, vous auriez du feu s'il vous plait ?

Il regarde la femme qui se penche vers lui, ses longs cheveux bruns tombant entre leur deux tables.


- Bien sûr...


Il tend un briquet et allume la cigarette qu'elle porte à ses lèvres.

- Merci !
- Je vous en prie...
- Ces trucs là me tueront...

Il la regarde droit dans les yeux.

- Je ne pense pas non...

Il se remet à sa contemplation, de nouveau dans un soupir.

- Dure journée ?

Il tourne la tête et la regarde. Elle lui rend son regard, une lueur de curiosité dans l'oeil. Il pourrait lui répondre d'un grognement, pour couper court à toute conversation. C'est ce qu'il fait d'habitude, il n'a pas pour habitude de papoter aux terrasses des cafés. Ceci dit, il n'a pas pour habitude non plus de rester assis à une terrasse de café.

- Dure vie plutôt...
- Ah ça... ce n'est pas rose tous les jours...
- En ce qui me concerne, ce serait plutôt noir tous les jours...
- Ah oui ? Sale boulot ?
- Vous pouvez le dire...
- Que faites-vous dans la vie ?
- Hmmm... Disons que je travaille avec les morts...
- Pompes funèbres ?
- En quelque sorte.
- En effet, ça ne doit pas être marrant tous les jours...
- Rarement en fait... et ça commence à me peser.
- La joie d'aller au travail à reculons hein ?

- Exactement... Alors aujourd'hui, j'ai décidé de me mettre en grève.

- Votre employeur ne risque pas de le remarquer ?
- Je suis mon propre patron.
- Vos clients alors ?
- Ils ne l'ont pas encore remarqué... Notez, je pense qu'ils vont très vite s'en rendre compte et ça risque de faire du bruit...
- Pourquoi avez-vous décidé d'arrêter maintenant ?
- Je fais ce travail depuis trop longtemps je suppose... C'était intéressant, voir amusant au début... Mais au bout d'un certain temps, on se lasse de tout.
- Allons, ne vous découragez pas... Il ne faut pas se laisser abattre dans la vie.
- Ou dans la mort, rétorque-t-il goguenard.

Elle rit doucement à la boutade.

- Il n'y a pas de sot métier parait-il... Le vôtre est aussi utile que tous les autres. Il arrive un moment dans la vie de chacun où l'on doit faire appel à vos services. Et là, on est bien heureux de vous trouver, non ?
- Les gens sont rarement heureux de me trouver, vous comprendrez aisément pourquoi... Mais il est vrai que tout le monde finit par passer chez moi un jour. C'est peut être pour ça que je me lasse. C'est toujours la même rengaine, à peu de choses près... Il n'y a plus de surprise.
- On ne sait jamais ce que demain nous réserve... Votre prochain client pourrait bien être plus intéressant que les autres, sait-on jamais ?
- Hmmmm... Peut-être bien...
- Essayez une approche différente de d'habitude avec votre prochain client... C'est ce que je fais au boulot quand je me commence à me lasser, j'essaye de réinventer ma manière de travailler...

Il se tourne sur sa chaise pour lui faire face, intéressé.

- Et ça marche ?
- Jusqu'à ce que cette nouvelle approche me lasse à son tour... et là j'en essaye une nouvelle.
- Vous croyez que ça pourrait marcher dans mon travail ?
- Pourquoi pas ? La mort est un métier comme un autre.
- Vous avez peut-être raison...

Elle dépose quelques pièces sur la table pour régler sa note et se lève.

- La vie est trop courte pour se laisser aller à la déprime...
- Je trouve la mienne bien longue parfois... mais vous avez raison ! Je vais essayer une nouvelle approche !

Il règle sa note et se lève à son tour.

- Merci mademoiselle... Je crois que vous venez de relancer mon intérêt pour le travail.
- Mais c'est avec plaisir, dit-elle en riant. Bonne journée.
- A très vite, lache-t-il.

Elle s'avance pour traverser le boulevard au passage piéton en jetant un regard en arrière pour lui dire au revoir. Son geste est interrompu par le klaxon tonitruant d'un bus. Elle voit le bus foncer sur elle et ferme les yeux une demi-seconde, apeurée. Quand elle les rouvre, elle voit le bus la frôler.
Tétanisée, elle se rend compte qu'elle a arrêté de respirer. Le bus freine bruyamment, faisant crisser ses pneus.
Debout à ses cotés, l'homme la regarde sans mot dire.

- Nom de dieu, soupire-t-elle... C'était moins une !
- Vous aviez raison. Une approche différente rend le travail plus intéressant...
- Que voulez-vous dire ?

Ils sont interrompus par des cris. Quelqu'un dans la foule lance un « Appelez les pompiers ! ». Elle se tourne vers l'endroit d'où semble provenir ce cri pour rassurer les gens, leur dire qu'elle n'a rien. C'est alors que son regard tombe vers l'avant du bus, où une silhouette étrangement familière git, la tête ensanglantée et les yeux grands ouverts fixés sur elle. Elle s'arrête de nouveau de respirer en voyant la chevelure brune auréolée d'une flaque de sang qui ne cesse de s'étendre.


La main de l'homme se pose sur son épaule...

- Et si nous y allions Sarah ? Vous êtes ma première cliente de la journée et j'ai pris un retard monstrueux. Je vais continuer de suivre votre conseil, le travail est nettement plus intéressant avec cette méthode.

Elle le regarde avec des yeux arrondis par l'effroi.

- Allons, ne soyez pas étonnée comme ça. La Mort est un homme comme les autres. Il lui arrive de se lasser aussi...