Ecrire...

Fleuve ravisseur qui effleure mes suaves douceurs
Tempête impétueuse qui torture mes tendres heures
Souffle sacré du silence inspirateur qui me susurre
A l'oreille ces mots sans pareil, à l'odeur si pure
Qui élève mes rêves jusqu'aux vergers vertigineux
D'un monde sans contrefaçon fait de monts merveilleux
Où chaque colline est une véritable île maligne
Sans mensonge sur laquelle je m'allonge, m'aligne
Comme une vérité de verre immuable et vitale
Car c'est ma création, de passion et d'impression
Mes sept jours de sensation et d'imagination
Ma Terre, mon monde, mon oeuvre littérale...

NY Sin - Dernière partie

Je suis assis à la table de mon salon… Là où Kate avait l’habitude de toujours s’asseoir pour travailler ses articles…

Cela fait environ une heure que je suis rentré. Et depuis, j’écris sans relâche, pour que les gens sachent ce qu’il s’est passé… Qu’ils sachent qu’en l’espace d’une nuit, des vies ont été brisées, qu’en l’espace d’une nuit, une innocente a perdu la vie… La folie m’a emmené dans les abysses de la haine, et j’y ai sombré avec délectation. Je regarde la balle en argent que je tiens dans la paume de ma main…

Pourquoi vivre désormais ? Elle seule rendait mes journées heureuses et vivantes, elle seule était la lumière de ma vie… Sans elle, plus de lumière… Sans elle, la partie ne vaut plus la peine d’être jouée…

La vie n’est qu’un simple jeu

Où le destin est votre adversaire

Où les cartes valent bien peu

Quand le casino vous fout en l’air.

As de pique qui perd As de coeur

As de trèfle éliminé par As de carreau

Brelan, carré et full sont à l’honneur !

A la fin, la quinte flush arrive et vous fait la peau !

Le croupier avide rafle la mise

Le joueur réalise que dans la nuit

Désormais, passé, présent et avenir gisent

Sur ce tapis vert, face aux visages sans vie

Larme de cœur, j’ai versé

Haine de pique, j’ai enlacé

Sang de carreau, j’ai fait couler

Mort du trèfle, j’ai savouré

Cœur brisé

Par Pique de colère

Sur le Carreau il est resté

Emmenant le Trèfle six pieds sous terre…

La vie n’est qu’un simple jeu…

Et moi, je ne joue plus…

***********************

Alex reposa le stylo et prit son arme. Comme à peine plus tôt dans la nuit, il y engagea la balle en argent et arma le pistolet. Puis, d’un geste ample, précis, il plaça le pistolet contre sa tempe. A peine le métal froid était-il entré en contact avec la peau que le coup partait, la gâchette pressée sans aucune hésitation… Alex s’affala sans vie sur la table, un filet de sang coulant vers les feuilles remplies de son écriture. Un peu de sang fut absorbé par le bas de la dernière page, là où Alex avait signé, et où une dernière phrase écrite d’une main hâtive, comme pressée d’en finir mettait un point final au drame, à la folie et au désespoir :

Ici se termine mon histoire, sur cette page que vous tenez entre vos mains…

NY Sin - Cinquième Partie

Le temps d’arriver sur le lieu du rendez-vous et une véritable tempête de neige s’attaquait à New York. Je garais ma voiture à quelques rues du lieu où je trouverai mon tueur à gages. Je rentrais ma tête dans mes épaules, tentant vainement de me protéger du souffle glacé qui me frappait de face, comme pour m’empêcher d’aller là où je voulais aller. Hors de question de rebrousser chemin…

J’arrivais à la ruelle indiquée par le Don. Mal éclairée, envahie par des ordures et des clodos… Le lieu typique pour vous faire piquer votre portefeuille… Et aussi pour vous faire égorger, pour peu que vous soyez du genre à vous rebeller contre vos détrousseurs… Au fond de la ruelle, une porte en bois, rongée en certains endroits par l’humidité et le temps…

Je m’avançais dans la ruelle sous les bourrasques de neige qui parvenaient à s’infiltrer entre les deux bâtiments qui faisaient de cette ruelle une gorge inquiétante. Le Don m’avait dit de frapper deux coups sur la porte, d’attendre une seconde et d’ensuite retaper trois fois… Le code de la mafia que reconnaîtrait Bloody Silver. Il viendrait alors m’ouvrir…

Ma main droite se resserra sur le revolver que j’avais dans la poche de mon blouson et mon poing gauche se leva pour frapper à la porte… Mais un mauvais pressentiment m’étreignit, comme une main glacée qui serait venue caresser ma nuque…

J’avais failli faire une erreur, et oublier une règle importante du jeu de cartes préféré de l’américain moyen. Au poker, il est de coutume de savoir bluffer… Et si cette raclure de Don m’avait bluffé ? Si tout ça n’était qu’un foutu piège ?

Un raclement de gorge à ma droite attira mon attention. Un clodo, une outre pleine de vin remuait dans ses cartons, cherchant sûrement la position la plus confortable pour dormir… Je me dirigeais vers lui et le réveillais en le tapotant du bout de ma chaussure. Il me jeta un regard éteint et entrouvrit la bouche, révélant une belle collection de dents pourries jusqu’à la racine. Je me baissais vers lui et lui murmurait à l’oreille :

- Ça te dirait de gagner cinquante billets mon vieux ?



***********************


TOC TOC

TOC TOC TOC

Deux secondes de silence. Et ce fut ensuite un vacarme d’une violence inouïe. La porte en bois éclata comme si un géant l’avait enfoncé du pied, des échardes de bois volèrent dans tous les sens… Des langues de feu apparaissaient parfois entre les morceaux de bois qui traversaient les airs… Puis d’un coup, les armes à feu se turent. Deux hommes apparurent sur le seuil de la porte, costume taillé sur mesure, chaussures cirées… Chacun tenait un pistolet mitrailleur, le genre de trucs capable de vous cracher une centaine de balles en quelques secondes. Derrière eux venait un homme que je ne connaissais que trop bien… Ce foutu Don était là, un sourire vainqueur sur le visage… Il jeta un regard derrière lui, à un homme qui le suivait lentement. Albinos, des cheveux longs, un imperméable de cuir dans lequel il se tenait voûté, des gants de la même matière protégeant des doigts qui s’agitaient dans le vide, comme s’il mourait d’envie d’étrangler quelqu’un : Bloody Silver, sans nul doute…

La voix du Don perça la nuit :

- Je crois que cette petite merde a eu son compte… dit-il en contemplant la silhouette sans vie qui se tenait à deux mètres sur lui, gisant face contre terre, un amas de détritus de bois sur le dos. Il est maintenant parti rejoindre sa bien aimée… Tout s’est déroulé comme prévu mon cher O’Connely…
- N’utilisez pas mon nom, répondit l’albinos d’une voix rocailleuse et posée.
- Allons, allons, vous ne craignez tout de même pas qu’il vous entende ?

Et le Don partit d’un rire gras, à mi chemin entre le hennissement et la quinte de toux d’un asthmatique.

- Votre plan s’est déroulé comme prévu Don Matti. Je pense qu’il est temps que je reçoive l’autre moitié du versement.
- Oh oui, bien évidemment… Ah ces Irlandais, toujours aussi suspicieux ! rajouta-t-il dans une nouvelle quinte de rire. Vous aurez votre argent dans quelques minutes, laissez moi donc apprécier ce moment ! Je l’ai attendu pendant trois longues années. Ce fils de pute m’a trahi, et m’a fait foutre en cabane pendant trois ans… On ne s’attaque pas à Don Matti sans risque…
- Cela ne me regarde pas… Mais pourquoi m’avoir demandé de tuer sa femme ? J’aurais pu simplement l’abattre lui…
- Trop simple, mon cher ami, beaucoup trop simple. Je voulais qu’il ressente cette perte, je voulais qu’il souffre autrement que physiquement avant de mourir. Sentir ce vide en lui, savoir qu’il avait perdu ce qu’il avait de plus cher… Oooooh, O’Connely, vous l’auriez vu dans la voiture hier… Il a fait tout ce que j’avais prévu. Quel abruti, avec sa mine pathétique de paumé… Bien évidemment qu’il allait venir me voir dès qu’il aurait compris que Bloody Silver avait liquidé sa petite femme… Et bien évidemment que j’allais lui donner les informations qu’il voulait… Oh, avec un petit oubli… C’est que c’est MOI et moi seul qui avais ordonné à Bloody Silver de buter sa petite pouffe de femme…

Le Don s’avança dans la neige, bousculant les deux gorilles, et s’approcha du cadavre qu’il roua de coups de pieds :

- Hein connard ? Trois ans, j’ai attendu ce moment ! Trois ans où j’ai attendu pour enfin te voir crever devant moi… Trois ans pendant lesquels j’ai eu le plaisir de penser à cette petite farce… Un joli cadeau pour le jour de ma sortie… Haha ! Alors, l’as de pique a perdu face au roi de trèfle ? Alors, ça fait quoi d’être mort et d’avoir paumé sur toute la ligne ?
- Ça chatouille…

Don eut à peine le temps de se retourner que deux coups de feu éclataient, éclairs lumineux qui strièrent les bourrasques de neige. Une demi seconde plus tard, les deux gorilles s’effondraient, une balle dans la tête de chacun. Le sang se mêla à la neige, teintant des auréoles rougeâtres autour de leur tête…
Le sang… As de carreau… Le carré était bientôt complet…

- Gardez les mains bien en vue tous les deux…

Quel plaisir jouissif de voir le regard terrorisé du Don en me voyant apparaître, visage fantomatique surgissant des ombres de la ruelle. Il jeta un œil vers le cadavre du clochard que j’avais payé pour aller frapper à la porte à ma place…

- Un joli coup de bluff, Matti. J’ai failli me laisser prendre… Dommage pour le vieux clodo. Mais cette diversion m’aura au moins permis d’apprendre la vérité sur tout ça…

Mes yeux ne devaient plus être que deux abysses de haine pure, abysses dont les ténèbres étaient faites de détermination. Je savais ce qu’il me restait à faire… Pas de choix, pas de doute, il n’y avait plus qu’une route à suivre.

- Monsieur O’Connelly… Veuillez-vous mettre à genoux.
- Ecoute, va pas faire une connerie, je…
- Ta gueule…

Je n’avais pas élevé la voix, ne laissant aucune émotion transparaître. Mais le tueur avait compris à mon intonation que rien ne pouvait plus m’arrêter… Je suis persuadé d’avoir lu dans son regard, la compréhension… Le chasseur avait tué sa proie… Mais cette fois, la proie tuerait le chasseur…

- C’est la loi, dit Bloody Silver… Seuls les plus forts survivent…

Je plaquais mon arme contre son front :

- Et nous n’en faisons pas partie…

Mon doigt pressa la gâchette, sans hésitation, sans doute. Le projectile traversa le crâne de l’Irlandais, le traversant de part en part, la flamme expulsée par le canon de mon arme lécha la peau de l’homme quasiment en même temps que la balle, brûlant les chairs. Il s’effondra, sans vie. Il n’avait même pas entendu le coup de feu, la balle l’ayant tué avant.

Le Don poussa un petit cri plaintif… Il tremblait de tous ses membres. Contrairement à Bloody Silver, il ne semblait pas accepter la mort imminente avec détachement.

Je sortis de ma poche les deux balles en argent que Don avait voulu que je trouve, pour pouvoir tomber dans son piège.

- Deux balles Don…

J’expulsais le chargeur de mon arme et retirais toutes les balles… Je glissais à la place la balle en argent. Je remis le chargeur en place et armais le revolver.

- Non, non, non, gémissait le Don.

Je tendis le bras et pointait mon arme sur son cœur.

- C’est là que votre tueur a tiré pour tuer ma femme. Il lui a collé deux balles en plein cœur. Vous, vous n’aurez droit qu’à une balle, toute aussi mortelle. Cette balle en argent qui devait au final m’amener à la mort... C’est d’abord vous qu’elle emmènera.
- Pitié… Je…
- Savez-vous qu’une figure ne peut vaincre un as ? L’as est toujours plus fort que le valet, la dame ou le roi… Mais beaucoup de cartes peuvent vaincre un as… Un dix de trèfle par exemple… Un as, même de cœur, face à un dix n’est rien qu’un simple un, fragile et sans défense…
- Arrête… Je t’en prie…
- Et vous Don, vous n’êtes pas un roi de trèfle… Je vous ai sous-estimé… Là a été mon erreur…
- Au nom du Seigneur…
- As de pique… a vaincu dix de trèfle… et affronte as de trèfle…

La détonation salvatrice fut comme un chant divin pour moi… Le Don eut un court spasme et s’écroula au sol… Le sang s’écoulait abondamment sur la neige, colorant les cristaux, souillant la blancheur immaculée. Je regardais ma main qui tenait encore la seconde balle en argent… Levant la tête, j’admirais la neige tomber… Quel drôle de tableau cela devait représenter, un homme debout et qui regarde le ciel, une arme à la main, quatre cadavres encore chaud à ses pieds, sur un fond blanc teinté de rouge… l’As de pique qui a vengé l’as de cœur en faisant couler l’as de carreau et en abattant l’as de trèfle…

Cela aurait réellement fait un beau tableau…

NY Sin - Quatrième partie

De retour dans ma voiture… D’après le Don, je ne pouvais rencontrer Bloody Silver que la nuit tombée… Alors en attendant que l’iris chatoyant du ciel daigne se refermer, j’avalais l’asphalte en voiture. J’avais d’ores et déjà quitté la ville, errant sur les routes désertes autour de New York. Mon regard rivé sur les bandes blanches qui défilaient, je conduisais sans penser, l’esprit hagard et égaré.

Egaré dans les souvenirs… Egaré dans les rêves brisés.

Vivre et aimer quelqu’un. Vivre et être aimé de quelqu’un. N’est-ce pas là ce à quoi aspire chaque être vivant ?

Rentrer chez moi, voir la femme que j’aime, aussi fatiguée que moi par son travail mais avec le même sourire niais que celui que j’arbore au même moment… Ce sourire de l’amoureux…

Sentir battre mon cœur grâce à ce seul sourire, savoir que je me damnerais pour le voir chaque jour.

Aimer

Plonger mon regard dans ses yeux, sentir que je pourrais les contempler jusqu’à la fin des temps.

Caresser son visage, diamant que je voudrais éternellement protégé dans un écrin.

Entendre son rire cristallin et mélodieux qui me berce comme la plus douce des mélopées.

Sentir son cœur qui bat à l’unisson avec le mien.

Simplement aimer et être aimé.

C’est tout ce que je désirais. C’est tout ce à quoi j’aspirais. Garder précieusement, jalousement, ce bonheur, de peur qu’il ne soit qu’un éphémère dans le vent du matin.

La voir ouvrir les yeux chaque matin et les plonger dans les miens, sentir l’étincelle de joie derrière ses iris, savourer le contact de sa main sur ma nuque tandis qu’elle se serre contre moi.

Inspirer profondément pour sentir chaque effluve de sa chevelure, de sa peau…

La serrer dans mes bras, l’amenant au plus près de moi, ne serrant pas trop fort de peur de la briser…

Plus j’errais dans mes pensées, plus je serrais le volant. Bientôt les souvenirs se mélèrent aux espoirs de la revoir en rentrant à la maison, aux illusions d’un monde perdu à jamais. Elle ne serait pas là si je rentrais chez moi, elle ne porterait pas sa si séduisante nuisette de soie, m’attirant d’un regard coquin vers notre lit conjugal… Elle ne serait pas assise à la table de la salle à manger, en train de travailler sur un article de dernière minute…

Les flashs apparurent… La route disparaissant parfois, remplacée par une image de Kate assise à la table du petit déjeuner, le regard souriant par dessus son journal. La route revint pour mieux disparaître de ma vue, une nouvelle image de Kate prenant sa place : Elle s’habillait pour aller courir, nouait ses lacets et remettait sa longue chevelure vénitienne en place, attachée en queue de cheval. Elle me faisait un petit clin d’œil. La route revint, juste à temps pour que j’évite un panneau de signalisation sur la route déserte. Puis un flash revint : Un mur ensanglanté, des flashs d’appareils photo qui crépitaient… et le corps de Kate, affalé sur le sol, le poing droit serré. Sa chevelure en désordre sur la moquette de notre appartement, cette moquette que nous avions tant foulé de nos pieds nus, cette même moquette qui maintenant absorbait le sang de mon aimée…

Un hurlement inhumain jaillit de ma gorge, explosion de haine, d’incompréhension, de colère et de détresse… Un melting pot des sentiments qui tiraillaient mon âme… Je ne pouvais plus m’arrêter, je hurlais sans fin dans ma voiture… Pourquoi elle ? Qu’avait-elle fait pour mériter ça ? Elle, la douceur incarnée, la gentillesse faite femme… méritait-elle d’être abattu comme un vulgaire animal ? Non, non, non, non…

Mes hurlements s’atténuèrent lorsque je sentis le goüt salé des larmes dans ma bouche. Sans m’en rendre compte, je pleurais. Moi qui pensais avoir épuisé mes glandes lacrymales le jour de la mort de Kate…

Lentement, mes sanglots s’atténuèrent et mes larmes se tarirent. La haine qui m’avait servi de bouée le soir du meurtre me servait maintenant de compresses. Compresses amères épongeant le desespoir qui suintait de mon âme. Mais si le desespoir était attenué, ce n’était que pour mieux exacerber cette haine, feu dévorant et destructeur.

Le soleil commençait à se coucher… J’arrêtais la voiture et me garais sur le bas-coté. Il me fallait quelques heures de sommeil avant d’aller retrouver Bloody Silver… Cela faisait près de quarante-huit heures que je n’avais pas fermé l’œil… J’avais besoin de repos…

Mais j’avais peur de dormir… Une mauvaise fée me soufflait à l’oreille que le sommeil m’apporterait plus de cauchemars que de réconfort.

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Point de cauchemar. Simplement le néant d’un lourd sommeil, vide et opaque. C’est la lune qui me réveilla, me frappant les paupières closes de ses lueurs nocturnes. Je remuais mon corps endolori… Le sommeil n’avait pas été réparateur. Le regain d’énergie était certes présent, mais minime. Mon esprit était toujours embrumé… Petit à petit, je me faisais à l’idée que ce n’était pas un cauchemar que je vivais, mais la triste et sordide réalité… Cette réalité qui vous montre un monde pourri, gangréné de toutes parts, où personne n’est en sécurité. Ce monde où la loi du plus fort est une loi divine. Le bon est toujours celui qui tient le revolver. Il est le juge et bourreau de chaque personne qu’il peut croiser…

Folie d’une époque ou seulement de cette foutue Grosse Pomme ? Le monde était-il ainsi ?

Question inutile puisque je me fous du monde… Tout ce que je veux, c’est faire souffrir ceux qui ont été à l’origine de tout ça. Pour la première fois de ma vie, je veux blesser et tuer. Pour la première fois de ma vie, je veux faire le mal.

Mais puisque je serais celui qui tient le pistolet… Je serais celui qui fait finalement le bien… Non ?

Oui…

Je mis le contact et fonçai en direction d’un sombre quartier de New-York. J’avais rendez-vous avec Bloody Silver. Et lui risquait d’avoir rendez-vous avec la mort.

La neige commençait à tomber, sentant les prémices d’un drame qu’elle devrait rapidement recouvrir…

NY Sin - Troisième partie

La prison fédérale, sombre silhouette dans le soleil levant. J’arrêtais la voiture au parking visiteur. J’avais appellé Jack Corgan pour qu’il me dégotte une autorisation de visite au Don. Il m’avait appris que ce salaud allait être libéré ce matin même, pour un vice de procédure. Il avait passé trois ans en prison mais en ressortait blanc comme neige.

Pourriture de justice américaine.

La grille s’ouvrait dans un grincement sinistre. Le Don, en costume trois pièces, s’avançait d’un pas décidé, conquérant. Court sur pattes, il n’était qu’un amas de graisse avec deux jambes. Je m’étais toujours demandé comment il avait pu inspirer le respect et la crainte à tant d’hommes avec un physique si peu glorieux. Il regarda sa montre, puis la rue. Son taxi semblait être en retard. Une occasion en or, me dis-je.

J’avançais ma voiture et stoppait quelques mètres après la prison. Bingo, le Don pensa que j’étais son taxi. Il s’avançait vers moi, un fin sourire aux lèvres. Il baissa la tête et regarda par la fenetre du passager avant, que j’avais laissé ouverte. Il se retrouva face à face avec un canon de Glock 9mm. Il se figea instantanément.

Intelligent le Don.

- Un geste, un cri, une parole de travers et je vous fiche une balle dans le crâne. Compris Don ?

Sans un mot il ouvrit la portière et s’assit. J’enclenchais la fermeture centralisée et fermais la fenêtre. Je démarrais rapidement et me dirigeais vers l’autoroute. Tenant le volant d’une main et le revolver pointé sur le gros homme de l’autre, je fixais la route. C’est lui qui prit la parole en premier :

- Ainsi tu oses te présenter devant moi, fils.

C’est toujours ainsi qu’il m’avait appellé quand je bossais pour lui.

- Ravi de voir que vous vous souvenez de ma modeste personne, Matti.

- Comment oublier le pourri qui m’a trahi et jeté derrière ces barreaux. Je t’aimais comme un fils, et tu m’as poignardé dans le dos.

- Comment regretter d’avoir balancé une pourriture telle que vous en taule ? J’ai vu trop de gens passer l’arme à gauche à cause de vous pour pouvoir décemment pleurer sur votre sort… Vous m’en excuserez.

Le Don eut un petit rire rauque, à la limite de la quinte de toux. Dans un sourire mauvais, il me dit :

- Et comment va ta très chère Kate mon fils ? Est-elle en forme ?

Mes mains se contractèrent, sur le volant et sur le revolver. Je jetais un regard haineux à ce type assis à coté de moi, qui me regardait goguenard. Il savait.

- Comment ? dis-je dans un souffle.

- Disons que j’ai gardé des relations dans le milieu… Et, car je sais que tu y penses, je suis désolé de te dire que ce n’est pas moi qui ai commandité son assassinat. C’aurait été plutôt mesquin et banal comme vengeance que de tuer ta douce. Oh non, voir ton visage en ce moment, cela vaut toutes les vengeances du monde. Je sais pourquoi tu es venu me voir, fils. Tu sais qui a tué ta p’tite chérie, tu sais qu’il s’agit de Bloody. Et tu veux que je te rencarde sur lui, hein fils ? Te rends-tu compte que je détiens des réponses à tes questions ? Moi, l’un des hommes que te hais du plus profond de ton être ? Amusant, non ?

- Et je suppose que vous ne comptez pas me dire ce que vous savez…

- T’es pas con, fils. C’est ce que j’ai toujours apprécié chez toi. Allez, dépose moi à la prochaine rue, tu ne peux rien faire contre moi. Je suis un homme lavé de tous soupçons maintenant, libre comme l’air. Une vraie jeune vierge.

Plus je le regardais, et plus la tentation de presser la gâchette s’installait dans mon esprit. Lui enlever ce sourire du visage… Mais faisant ça, je perdais toutes les informations qu’il possédait. Je remis mon flingue à ma ceinture. Le sourire s’élargit de nouveau sur le visage du Don. Mais il s’élargit aussi sur le mien… Un sourire franc, enjoué… Un sourire qui ne cadrait pas avec la situation. Ce sourire heureux prenait une dimension horrible… Le Don le remarqua, sentit le malaise le gagner devant cette parodie de gaieté :

- Qu’est ce qui te fait rire, gamin ?

Mon regard se tourna vers lui, les yeux toujours rieurs :

- La vie n’est qu’un jeu, Don. Un putain de jeu de merde… Nous ne sommes que des cartes engagées dans une partie. Mais comme dans tout partie, les cartes s’affrontent… Que ce soit au poker, à la bataille ou à la belote, les cartes s’établissent dans une hiérarchie et sont là pour abattre les autres… Le dix de carreau prend le neuf de cœur, la dame de trèfle prend le dix de carreau… Un full élimine un brelan, un carré élimine le full… Tout n’est que combat. Et à la fin, la quinte flush remporte la mise… A la fin, on crève tous… On m’a pris mon as de cœur, Don.

Mon sourire disparut. Je plaçais mes deux mains sur le volant, le serrant jusqu’à avoir les jointures des doigts blanches. Mes yeux se firent deux trous noirs qui fixaient intensément le Don qui suait abondamment. Je repris d’une voix caverneuse, froide, qui claqua comme un fouet :

- Vous n’êtes qu’une carte vous aussi Don… Le roi de trèfle… Manque de bol, moi je suis l’as de pique…

- T’as perdu la raison, fiston… Laisse moi partir maintenant.
- Non Don… As de pique prend roi de trèfle…

A peine avais-je fini ma phrase que j’écrasais l’accélérateur. L’aiguille du compteur monta comme une flèche et la voiture s’élança sur l’asphalte. Le Don étouffa un juron et s’aggripa au tableau de bord. La voiture prenait encore de la vitesse. Elle déboucha dans une grande artère de la ville, remontant la file de voitures en slalomant.

- Alors Don, vous allez répondre à mes questions avant que nous n’ayons un regrettable accident…

- Pauvre fou… Tu mourrais aussi.

- Allons Don… Vous m’avez habitué à plus de jugeote. La femme que j’aimais a été assassinée cette nuit. Croyez-vous que je tienne réellement à la vie ?

- Tu n’oseras pas !

Pour seule réponse, j’écrasais un peu plus l’accélérateur et grillais un feu rouge dans un tonnerre de klaxonnements furieux. Le Don poussa un hurlement suraigu lorsque la Mustang frola un poids lourd.

- Qui a ordonné l’exécution de ma fiancée ?

- Espece de taré !

Nouveau frôlement de voitures, nouveau tintamarre mélant klaxons et insultes.

- Je sais pas qui a ordonné ça ! Tout ce que je sais c’est que le commanditaire a engagé Bloody Silver.

- Sans dec’ Don ? Dis-moi quelque chose que je ne sache pas déjà.

- Je peux te dire comment rencontrer Bloody Silver.

Je freinais à toute vitesse et me garais sur le bas-coté. Me tournant vers le bout de gras suant par tous les pores de sa peau :

- Accouche Don.

NY Sin - Deuxième partie

La même nuit au poste de police. J’étais assis, les yeux rougis par mes pleurs fixant le vide.

Face à moi se trouvait mon vieil ami Jack. Il me regardait, ne sachant pas comment s’y prendre pour me consoler. Déjà à l’école de police les cours de psycho n’étaient pas son truc. Et puis je ne l’aidais pas vraiment… Je fuyais son regard et examinais les lieux. Des bureaux aussi vieux que moi -- si ce n’est plus -- qui trônaient en divers endroit d’une grande pièce. La poussière qui semblait se déposer à vitesse ahurissante sur chaque parcelle de surface inoccupée. Un mélange d’odeurs aussi variées que possible, du café vieux de trois semaines jusqu’à la sueur de l’agent de police obèse, essoufflé d’avoir monté les escaliers. Ces effluves auraient pu réveiller un homme dans le coma mais elles ne me faisaient aucun effet… La douleur, le chagrin agissaient sur moi comme un anesthésiant. Rien du monde extérieur ne pouvait m’atteindre. Plus aucune sensation, plus aucune pensée… Rien. J’étais désormais branché sur mode automatique.

J’entendais vaguement Jack me parler de ce que les enquêteurs avaient retrouvé à mon appartement.

Rien, en fait. Ni cheveux, ni fibres, aucune empreinte digitale. Personne n’avait remarqué quelqu’un de suspect, personne n’avait entendu les coups de feu. Le corps avait été découvert par un voisin qui venait rendre visite à Kate. Trouvant la porte entrouverte il était rentré et avait découvert le cadavre de Kate. La seule chose que les enquêteurs avaient retrouvée était deux balles en argent, retrouvées dans la main de Kate.

A ces dernières paroles je sortis de ma léthargie.

- Des balles en argent ?

- Oui… Deux balles de revolver en argent … un Glock 9mm pour être exact. Ta… Hum… Ta fiancée les tenait serrées dans son poing.

J’étais alors complètement sorti de ma léthargie par la surprise. Je pensais que Kate avait été assassinéepar un voleur qu’elle aurait surpris. Mais des images me revinrent à l’esprit… Lorsque je m’étais précipité dans l’appartement… la porte était grande ouverte mais aucun cadenas ne manquait, aucun d’eux n’avait été forcé… Aucun voleur n’était jamais rentré chez moi. Je revis le mur sur lequel s’étalait le sang de Kate. Plus j’y repensais, plus j’avais l’impression que ma femme avait été exécutée. Placée contre le mur, elle avait été froidement abattue par quelqu’un. Mais pourquoi tenait-elle ces balles dans la main ? Et pourquoi vouloir tuer Kate ? Tout cela n’avait aucun sens… aucun… à moins que…

******************************

J’avais repris le volant de ma voiture, une vieille Mustang de couleur verte, qui avait avalé pas mal de kilomètres. Les mains crispées sur le volant, enfoncé dans mon siège en cuir, je regardais sans la voir la route qui défilait sous mes yeux.

Tristesse infinie qui s’était emparée de mon âme, haine éternelle qui s’était emparée de mon cœur… Si un Dieu regarde ce monde de haut, s’il se délecte de nos misérables vies, je lui poserais volontiers cette question : Pourquoi ?

Mais je ne veux plus croire en l’existence d’un Dieu depuis le jour où j’ai commencé à travailler chez les SWAT. Il y a trop de mal en ce monde pour permettre l’existance d’un être à la fois tout-puissant et bienveillant.

J’errais dans les rues de New-York, la lumière blafarde des lampadaires illuminant régulièrement mon visage marqué par cette soirée. Quelqu’un avait assassiné la femme que j’aimais. Pas un voleur, comme je l’avais d’abord cru. Mais un tueur à gages. La preuve ? Les deux balles en argent. Un message, une signature. Une signature peu connue des flics. Si je la connaissais moi, c’est parce que j’avais vécu dans le milieu de la mafia pendant près d’une année. J’avais infiltré une famille de New York et était devenu un homme de main apprécié du Patron de l’époque… Patron qui avait fini en taule, par mes bons soins.

Les deux balles d’argent, la signature du tueur à gage attitré de la pègre italienne qui avait fait main basse sur New-York. Les types de la famille l’avaient surnommé Bloody Silver. La police ignorait tout de ce type et peu nombreux étaient les mafiosi à connaître autre chose que son surnom… Seuls les grands de la famille savaient un peu plus de chose sur lui, bien qu’ils se montraient très évasifs sur le sujet.

Quelqu’un avait placé un contrat sur la tête de Kate. Quelqu’un avait commandité son assassinat. « Pourquoi ? » n’était pas la question qui me venait d’abord à l’esprit. « Qui ? » était bien plus important à mes yeux pour le moment…

Je savais qui allait pouvoir me renseigner… Don Matti… le Patron que j’avais fait coffrer voilà près de trois ans. Il saurait me mener à Bloody Silver. Et Bloody Silver me mènerait jusqu’au commanditaire.

J’arrêtais la voiture devant mon immeuble et grimpait quatre à quatre les marches jusqu’à mon appartement. J’arrachais d’un geste presque rageur les scellés de la police et pénetrait dans ce lieu sordide, puant la mort et suintant la folie humaine par chaque centimètre cube d’air. Je me dirigeai vers ma chambre, fermant les yeux pour ne pas revoir les trainées sanglantes le long du mur. Dans ma penderie, j’ouvris une petite malette en duralumine. Dedans, j’y pris des objets que j’avais juré de ne plus jamais toucher… Mon arme de service et les munitions allant avec, ainsi que ma plaque d’officier. Je me dirigeais à grand pas vers la sortie, tentant de stopper mon imagination qui me faisait entendre les derniers cris de Kate.

Le Don serait sûrement réticent à me parler de Bloody Silver… Mais j’avais quelques atouts en main…

J’armais mon arme et mit le cran de sûreté.

Je saurais le faire parler.

Il était de relancer la partie… L’as de pique allait venger l’as de cœur…

NY Sin - Première partie

La vie n’est qu’un simple jeu…

Voulez-vous jouer ?

C’est fini. Pour vous ce n’est que le commencement mais pour moi c’est la fin… La fin de tout. Je regarde ma main. Il reste une balle en argent, sur les deux que j’ai toujours eu depuis le début de cette affaire. La première a été utilisée. La seconde ne va pas tarder à l’être. Mais avant je dois finir ceci. Je dois le finir afin qu’il reste une trace de ce qui s’est passé… de ce qui s’est réellement passé. Il faut que le monde sache… Il faut que les gens sachent pourquoi j’ai fait tout cela.

Dehors la tempête fait rage, recouvrant New York d’un épais manteau de neige. J’ai l’impression que les cieux envoient cette neige pour éponger tout le sang que j’ai fait couler, pour occulter tout ce qui s’est passé. Cela ne sert à rien… J’ai souillé la blancheur pure de ce manteau par le sang de nombreuses personnes. Rouge sur blanc… le sang s’écoulant, se mélangeant à la neige, la faisait fondre car il est encore chaud. La neige qui tente de cacher les cadavres qui jonchent les allées de la ville où je suis passé, linceul immaculé pour des gens à l’âme noircie. Ils ne méritent pas cet honneur, tout comme moi je ne le mérite pas.

Cette tempête a longtemps fait écho à mes pensées et à mes actes… tourbillonante, voulant se déplacer mais restant sur place, ravageant tout sur son passage. Suis-je une tempête ? Après tout… j’ai agi comme elle.

Ici commence mon histoire, sur cette page que vous tenez entre vos mains. C’est ici que commence la partie…

***********************

Mon nom est Alex… Alex Inley. Un nom banal comme on en entend tous les jours. Mais mon histoire n’est pas aussi banale que mon nom. Mon histoire a le goût du sang et des larmes, l’odeur de la poudre et de la mort. Mon histoire commence il y a trois jours. Trois jours seulement… J’ai l’impression que tout a commencé il y a des années.

J’étais journaliste d’investigation pour le journal NY News.Cela faisait deux ans que j’exerçais ce métier. Il me plaisait et me permettait d’oublier mon précédent travail : flic du département de police de New York, le fameux NYPD. La mort, la souffrance et l’horreur qui étaient liés à ce boulot m’écoeuraient. C’est pourquoi j’avais raccroché. J’avais laché ce job après une mission d’infiltration dans la mafia… Douce ironie… J’ai arrêté ce boulot parce que j’avais vu trop de sang et de morts… Et depuis deux jours j’étais retourné dans cette ambiance. Je tuais, le sang coulait, je tuais, le sang coulait, et caetera… Un cercle sans fin, une boucle infernale impossible à briser.

Restons concentrés. J’étais donc journaliste depuis deux ans. Je vivais avec ma fiancée, Kate, qui exerçait le même métier que moi. Nous avions un petit appartement sur la 8e avenue. C’était notre petit nid douillet, notre cocon où la folie de cette ville n’avait pas de prise. Jusqu’à ce soir-là.

Je rentrais du bureau. La nuit était avancée, j’avais dû rester au journal jusque tard pour boucler un article. Dans ces moments-là, Kate mangeait seule puis allait se coucher. Elle faisait souvent semblant de dormir lorsque je rentrais mais je savais qu’elle ne s’endormait que lorsque j’étais couché auprès d’elle, quand elle pouvait sentir ma chaleur contre elle.

J’arrivais en vue de notre immeuble. Je compris immédiatement qu’il s’était passé quelque chose. Plusieurs voitures de police étaient garées en travers de la rue. Leurs gyrophares illuminaient l’entrée de mon immeuble, tout comme ceux des ambulances. Les policiers avaient établi un cordon de sécurité. Mon cœur cessa de battre. Je sortis de ma voiture et me dirigeais en courant vers l’entrée de l’immeuble. Arrivé au cordon de sécurité, un policier me stoppa :

- Désolé monsieur, mais vous ne pouvez pas passer !

- Mais j’habite ici !! Que s’est-il passé ?? Je vous en prie, laissez moi passer !!

Parmi les policiers j’aperçus un homme que je reconnus immédiatement. Il s’agissait de l’inspecteur Jack Corgan. Nous avions fait nos classes ensemble à l’école de police. Je hurlais son nom :

- JAAACK !! JACK !!!

Il se retourna et me vit dans la foule, toujours retenu par le policier. Il se dirigea vers moi à grands pas et dit au policier :

- Laissez, il est avec moi.

- Merci Jack… Je t’en prie dis moi ce qui se passe… Est ce que ma fiancée va bien ?

- Tu habites ici Alex ? dit-il surpris.

- Oui… C’est vrai que cela fait un bail qu’on ne s’est pas vu…

- Quel appartement ?

- 5A…

- Seigneur…

Mon sang se glaça dans mes veines. Jack avait un visage décomposé. Il ne me regardait plus dans les yeux. Je m’élançai vers l’entrée de l’immeuble, bousculant les divers agents de police présents sur les lieux. Je priai de toutes mes forces pour que mon instinct se trompe. Il n’avait rien pu arriver à Kate, le Seigneur ne l’aurait pas permis… pas elle ! Mes pas résonnaient sur les escaliers, frappant le sol au rythme des battements de mon cœur.

BOM BOM BOM BOM…

Arrivé au cinquième étage je m’arrêtais. Il y avait des policiers plein le couloir. Non… Ce n’était pas possible… Ils se trouvaient tous en face de mon appartement. Je m’y précipitais, ne me préoccuppant ni des voisins qui essayaient d’apercevoir quelque chose, ni des policiers qui se demandaient pourquoi on m’avait laissé passer au bas de l’immeuble. Je rentrais dans mon appartement. Un flash crépita. Des hommes relevaient des indices aux quatres coins de l’appartement. Mais je ne vis rien de tout ça. La seule chose que je vis fut la trainée de sang sur le mur. Puis en baissant les yeux, au bas de cette trainée, je vis Kate. Elle avait les yeux grands ouverts, le visage crispé dans une expression de surprise. Deux trous rouges sur sa poitrine. Les deux impacts de balles.

Je pleurais. Je ne hurlais pas, je ne bougeais pas… je pleurais c’est tout. Que pouvais-je faire d’autre ? Elle était là, sous mes yeux… morte. J’aurais beau hurler ça ne la ramènerait pas.

Lentement mes jambes flanchèrent, je tombais à genoux. Tout était noir autour de moi. Je ne voyais plus que cette horrible trainée de sang et le corps de mon amour. Plus rien d’autre n’existait. Je ne ressentais rien, si ce n’est le chagrin, un chagrin si profond que j’aurais pu y tomber et m’y noyer à tout jamais si un autre sentiment ne m’avait servi de bouée.

La haine.

Trop jeune pour mourir

Les balles fusaient, déchiquètant les troncs d’arbres et faisant voler des échardes. Les mitrailleuses vomissaient leur flot meurtrier de balles, rafale après rafale. Jean courait, tentant d’echapper à cet essaim de balles. Le souffle court et du sang coulant d’une blessure à l’épaule, il tentait de s’enfoncer dans les bois. Mais les Allemands continuaient de le poursuivre. Il pouvait entendre les aboiements des chiens entre deux rafales. Les Allemands ne stopperaient la chasse qu’une fois Jean mort. Il savait ce qui l’attendait si jamais il était capturé… Après ce qu’il avait fait, les Allemands l’abattraient sur place, sans autre forme de procès.

Jean se rappella les instants de cette journée… tout ce qui s’était passé, tous les éléments qui, une fois imbriqués les uns dans les autres, l’avaient conduit à cette course effrénée dans les bois. Tout avait commencé la veille…

*********

Cela faisait maintenant deux ans que Jean s’était engagé dans la résistance. Il avait effectué toutes sortes de missions : sabotages de lignes de chemin de fer, transport d’armes… Mais ce que cet homme lui demandait, laissait Jean dans l'étonnement.

Le voulait-il ? Jean se battait depuis déjà deux ans contre cette vermine qui gangrénait
son pays. Il ne révait que d’actes héroiques pour sauver son pays. Il se voyait eliminant les Allemands comme on écrase un insecte, la volonté de repousser l’ennemi lui donnant une energie nouvelle.

Quel idiot il avait été ! A lui seul il ne pouvait pas renverser la machine nazie… La cruauté humaine ne peut être vaincue par un seul homme. Jean l’avait compris cette nuit là… mais trop tard… Il avait déjà dit oui à l’homme.

*********

L’homme lui avait donné les consignes ainsi que le matériel. Les batteries anti-aériennes n’étaient pas sous une garde très importante. La zone étant relativement calme, les Allemands n’avaient pas jugé bon d’augmenter la surveillance. Grande erreur. Il agit le lendemain de sa rencontre avec cet homme.

A la nuit tombée, Jean se trouvait à la lisière de la forêt. Dans son sac : une paire de cisailles, des explosifs et un détonateur. Il attendit que le garde fasse sa ronde avec son chien. Une fois la voie libre il s’était faufilé en rampant jusqu’au grillage. Là il s’était servi des cisailles pour découper le grillage.

Une boule d’angoisse grossissait dans sa gorge. Il avait de plus en plus de mal à respirer. Il s’arrêta quelques instants et resta couché sur le dos à regarder les étoiles. Le printemps était bien installé mais les nuits restaient encore froides. Il pouvait voir son souffle former de légères volutes blanches. La nuit parée de sa robe de diamants l’enveloppait, comme une mère enlace son enfant. Grâce à elle, il allait pouvoir réussir sa mission. Reprenant son souffle, il traversa le grillage. Le garde était rentré dans sa guérite, fatigué par le monotonie de sa garde. Un mirador surveillait la zone, mais le projecteur avait tendance à s’arrêter de bouger, signe que le garde allemand s’endormait à son poste.

Jean remarqua une forme non loin de lui. Sombre et hideuse, ses canons pointés vers le ciel, la batterie anti-aérienne attendait sa proie, comme un aigle guettant son déjeuner. Jean se dirigea vers la batterie. Il entendit des éclats de voix et se figea instantanément. Réaction stupide car il se mettait ainsi à la merci des tirs ennemis s’il se faisait repérer. Mais les voix qu’il avait entendu provenait d’une caserne non loin de lui où les soldats jouaient aux cartes et discutaient. Jean pouvait les voir rire à travers une fenêtre. Heureusement, la nuit protectrice l’enveloppait toujours de son manteau réconfortant, le dissimulant aux regards des Allemands.

Il arriva près de sa cible. Son cœur battait à tout rompre, comme s’il voulait quitter sa poitrine. Jean se força à rester calme. Il inspira longuement. Il sortit la charge d’explosifs de son sac et la plaça en plein cœur de la batterie. Il la relia au détonateur comme lui avait montré l’homme la veille. Il repartit alors en sens inverse et retourna au grillage, tout en déroulant le cable du détonateur. Il devait se placer derrière le grillage et faire exploser le batterie. Ainsi il pouvait fuir sans aucun problème.

Mais le destin en décida autrement.

Jean reculait, le plus rapidement et surtout le plus silencieusement possible. Mais soudain il réalisa une chose… Le cable du détonateur était trop court… beaucoup trop court. Il ne pourrait jamais atteindre le grillage avec le détonateur, il manquait au moins cinquante mètres de cable. Sa respiration se coupa. Son cœur s’arrêta de battre. Il ne pouvait plus faire exploser la batterie en étant à l’abri. Et s’il le faisait maintenant il lui faudrait au moins six secondes pour atteindre le grillage. Les Allemands seraient sortis de leur baraquement en deux fois moins de temps.

Jean se trouvait face à un dilemme. Soit il laissait tomber la mission et rentrait chez lui en essuyant l’affront de l’echec. Soit il tentait le tout pour le tout. Il actionnait le détonateur, détruisait la batterie anti-aérienne mais risquait sa vie.

Mais une fois encore ce fut le destin qui décida.

Une explosion se fit entendre au loin, bientôt suivie de deux autres. Les batteries anti-aériennes voisines venaient d’exploser grâce à d’autres résistants. L’alarme, assourdissant hurlement, résonna dans tout le camp. En quelques secondes les soldats étaient sortis, l’arme au poing. Jean se figea de peur. Les hommes, tournés en direction des explosions ne l’avaient pas encore aperçus.

Soudain ce fut comme le jour ! Jean baignait dans une clarté éblouissante, la main devant les yeux pour se protéger. Il ne comprit pas tout de suite d’où venait cette lumière. Soudain une voix éclata : Alarm !! Alarm !! Et Jean comprit instantanément : Le mirador ! Le soldat avait pointé le projecteur sur lui. La nuit était redevenue silencieuse. Le temps parut se figer, tout allait au ralenti. Il entendit les bottes crisser sur le gravier, les cliquètements des armes que l’on arme et les aboiements des chiens que les soldats sortaient du chenil. Il vit les Allemands sortis de la caserne se retourner comme un seul homme et le regarder en armant leur fusil. Et il vit sa main se poser sur le détonateur… et appuyer dessus.

L’explosion retentit, illuminant le ciel nocturne. Le souffle renversa le mirador qui s’écrasa au sol, écrasant quelques soldats allemands qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. L’onde de choc frappa Jean en pleine poitrine, le jetant à terre. Il se releva le plus rapidement possible, s’attendant à voir fondre sur lui une nuée de soldats. Mais eux aussi avaient été renversés par le souffle. Certains, trop près de la batterie, avaient été tués sur le coup. Leurs corps gisaient au sol, certains en feu. Après tout il n’avait eu que ce qu’il méritait, pensa Jean. Mais c’était la première fois qu’il voyait la mort frapper si près de lui. Et cela s’imprima dans son esprit jusqu’à la fin de sa vie.

Jean s’élança vers le grillage. Il n’entendit rien pendant quelques secondes. Puis la pluie de balles se déchaina. Les graviers autour de lui sautaient, les balles frappant le sol. Il sentit une douleur fulgurante dans l’épaule. Il porta sa main à sa blessure. La retirant, il vit qu’elle était pleine de sang. Une balle venait de lui traverser l’épaule.

Il arriva enfin au grillage. Il se jeta à terre, se glissant dans l’ouverture qu’il avait faite il y avait à peine cinq minutes. Pourquoi cela lui semblait-il plus ancien que ça ?

Il s’élança dans les bois, les Allemands sur ses trousses. Sa blessure le ralentissait, car très douleureuse. Il entendait les chiens qui accompagnaient ses poursuivants. Les coups de feu éclatèrent à nouveau, faisant exploser l’écorce des arbres autour de lui.

Jean pensa. Fait étonnant vu qu’il risquait en ce moment sa vie. Il se demandait si ce qu’il avait fait allait servir à quelque chose. Il se demandait si cela en valait la peine. Une vie pour en sauver des millers d’autres ? Beaucoup auraient accepté ce sacrifice. Mais dans le feu de l’action seule votre vie compte, seule votre vie vous importe ! Vous vous fichez pas mal de la vie de milliers d’inconnus. Après, avec le recul, vous vous dites que cela en valait la peine. Mais lorsque vous êtes pourchassés dans des bois par une fraîche nuit de juin, lorsque vous sentez que vous vivez peut-être les derniers instants de votre vie, que vous inspirez peut-être les dernières bouffées d’air de votre vie, alors là, vous ne pensez qu’à vous. Telle est la mentalité humaine…

Telles étaient les pensées de Jean lorsqu’une rafale le faucha dans le dos. Il s’arrêta, surpris, puis il tomba à terre, sentant la vie le quitter rapidement. Dans un ultime effort il se mit sur le dos. Et à travers les feuillages des arbres il regarda les étoiles, saphirs dans la robe de la Nuit. Un calme surprenant l’avait envahi. C’était une belle nuit pour mourir. C’était le bon jour pour mourir.

Les soldats allemands se massaient autour de lui, des rictus de satisfaction illuminant leur visage. Mais Jean s’en fichait. Il mourait… Mais il mourait heureux… Ses paupières s’allourdirent, se fermant lentement. Dans un dernier souffle, il murmura :

- Joyeux… anniversaire… Jean…

Jean mourut le jour de ses 19 ans, le 5 juin 1944, non loin des côtes normandes… Trop jeune pour mourir. Quelques heures plus tard, le 6 juin 1944, le débarquement allié commença en Normandie. Des avions alliés bombardèrent les lignes ennemis et larguèrent des parachutistes, sous le feu des défenses anti-aériennes ennemies.

Mais les batteries qui se trouvaient près du cadavre de Jean restèrent muettes… à jamais.


Icy
22/07/2002

L'inspiration

L’inspiration est une chose étrange… On ne sait pas d’où elle vient, ni pourquoi, ni comment. Qu’est ce qui fait qu’à un moment X le déclic se fait, alors que vous êtes depuis des heures face à une page blanche qui vous nargue, esquivant toutes vos tentatives d’écriture comme un poisson qui ferait exprès de frôler votre hameçon sans jamais se laisser prendre. Parfois, c’est le vide total, impossible d’approcher une quelconque idée. D’autres fois, l’inspiration vous caresse, amante qui se joue de vous, tentatrice aux milles et une promesses murmurées à demi-mot. Elle est là, vous le savez… Puis elle s’évapore.

Puis viendra un moment, un jour, une heure, une demi-seconde où vous l’attraperez. Et là, il faut se hâter ! Car tel un éphémère, l’inspiration peut avoir une durée de vie très courte. Elle peut vous frapper comme un éclair ou bien se couler en vous comme une seconde peau. Elle est là, comme une muse invisible qui vous murmurerait les mots à écrire par-dessus votre épaule, elle est là mais vous ne savez pas pour combien de temps. Alors il faut se dépêcher ! Prendre le premier support qui vous passe sous la main : votre ordinateur, une feuille de papier, une serviette de restaurant, une assiette en carton, tout et n’importe quoi ! Quelque chose pour écrire ! Car l’inspiration est nomade, elle ne s’installe jamais bien longtemps au même endroit.

Mais d’où vient-elle ? Est-ce, comme l’ont pensé certains intellectuels, une sorte de noosphère de connaissances et d’imagination qui graviterait autour de notre monde, comme une seconde couche d’ozone, une couche d’inspiration ? Ou bien est-elle profondément inscrite en nous depuis la nuit des temps, sorte de mémoire du passé qui délie notre esprit et l’ouvre à l’imagination de l’écriture ? Il parait que c’est LA question que tous les écrivains rencontrent un jour au détour d’une interview, de la part d’un journaliste peu au fait du domaine littéraire.

« Mais où trouvez-vous toutes ces histoires ? »

« Mais d’où vous vient toute cette imagination ? »

« Où allez-vous donc chercher tout ça ? »

Où, où, où, où… Et ce n’est pas là l’idée des journalistes, tout le monde tombe dans la facilité en se posant ces mêmes questions à la lecture d’un roman, d’une nouvelle ou d’un poème qui fascine. A croire que tout le monde s’accorde pour penser qu’il existe un pays merveilleux où poussent les histoires et que les écrivains sont en fait des êtres qui ont la particularité de pouvoir s’y rendre selon leur bon vouloir ou presque pour y cueillir la trame de leur prochain roman. Si seulement c’était aussi simple…

Ne rêvez pas, je ne répondrai pas ce soir, ni un autre ce soir d’ailleurs, à cette question : d’où vient l’inspiration. Je n’en ai pas la moindre idée… Je suppose que c’est une part de rêve qui s’empare de vous et que vous avez envie de coucher sur le papier, comme un songe où vous seriez le maître du jeu, à placer vos personnages où vous le désirez, à leur faire vivre ce que vous voulez…

D’où elle vient, comment elle vient, pourquoi elle vient… Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que quand elle vient, je l’accueille à bras ouverts. Et lorsque mes doigts virevoltent au-dessus du clavier comme ce soir, où les mots défilent à l’écran presque aussi vite que dans mon esprit, j’ai l’air d’un idiot ! Un idiot car je suis là, devant mon ordinateur, à sourire comme un imbécile heureux sous le claquement rapide des touches de mon clavier.

C’est d’un jouissif l’inspiration !

Moitié...

…ret…

Une voix. Lointaine, éteinte, une voix qui n’est plus, surgie d’un passé assassiné. Empreinte d’une douceur qui ne semble pas trouver ses marques dans les intonations, la voix est là, chaude et veloutée.

Ma…

D’où vient cette voix ? Elle est là… Juste au-dessus ! Elle pourrait presque la toucher… Toucher le visage à qui appartient cette voix… Ouvrir les yeux ! Allons ! Ouvre les yeux !

…haret…

Il faut voir le visage ! Savoir à qui appartient la voix ! Allez ! Ouvre les yeux ! Réveille toi…

Maharet !

***

Un souffle haletant transperça le voile de silence qui régnait dans le dortoir… Maharet était assise dans son lit, une sueur froide coulant le long de sa colonne vertébrale, sa chemise de nuit lui collant à la peau. La bouche grande ouverte, elle tentait de reprendre son souffle…

Comme à chaque fois, le rêve l’avait réveillée, faisant battre la chamade à son cœur. Il revenait quasiment toutes les nuits, toujours identiques, toujours aussi énigmatique. Une voix qu’elle entendait au début comme si ses oreilles étaient bouchées par du coton, des syllabes qu’elle parvenait à peine à deviner. Chaque nuit, toute au long de ces dix longues années, où le rêve l’avait frappé, elle avait tenté de savoir à qui était cette voix qui, elle en était certaine, l’appelait par son prénom. Elle n’avait compris que très tard qu’il s’agissait là de son prénom… puisqu’elle ne savait pas quel prénom sa mère lui avait donné. Elle ne savait même pas qui était sa mère…

Cela expliquait sa vie à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété dans un quartier de New York. Un jour, voilà près de dix ans, un bébé avait été retrouvé devant la porte du couvent, avec un petit mot déposé dans le couffin :

C’était ça ou un plongeon dans la rivière… M’faites pas regretter !

Ainsi un bébé au nom inconnu, la mère n’ayant pas pris soin de l’ajouter sur le billet, fit son entrée à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété. La petite fille fut nommée Sarah et grandit tout à fait normalement jusqu’à l’âge de trois ans, la seule « irrégularité » de sa personne étant ses étranges cheveux argentés et ses insolites yeux vairons. L’un était d’or, légèrement ambrée, comme l’œil d’un aigle. L’autre était curieusement rouge… Les nonnes attribuaient cela à un « artefact génétique dû au métissage de l’enfant ». Il y avait aussi les nuits agitées que connaissaient la petite fille et qui la mettaient bien souvent dans un état de tension, voir d’angoisse, assez peu commun pour un enfant de son âge.

Mais dès ses trois ans, la petite Sarah surprit les bonnes sœurs et le Père Thomas qui s’occupaient de l’orphelinat. En effet, pendant une leçon, la nonne qui donnait cours à la classe de la petite Sarah, appela celle-ci pour qu’elle vienne résoudre un puzzle avec ses camarades. S’étonnant que l’enfant ne réagisse pas à l’appel de son nom, la nonne, Sœur Marie-Charlotte, se dirigea vers elle, s’inquiétant d’une éventuelle surdité de l’enfant. Lui tapotant l’épaule, elle regarda Sarah dans les yeux et lui dit en articulant exagérément :

- Sarah ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?

L’enfant fixa un regard froid sur la nonne et ne répondit pas.

- Allons Sarah, qu’y a-t-il ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?
- Je ne m’appelle pas Sarah, dit-elle enfin de sa voix aigue de jeune enfant.
- Pardon ? Que veux-tu dire ?
- Mon prénom n’est pas Sarah. Sarah, ce n’est que le prénom que les gens d’ici m’ont donné lorsqu’ils m’ont trouvé…

La sœur était étonnée par la formulation des phrases de Sarah, plus qu’élaborées pour une enfant de trois ans.

- Mais mon doux enfant, nous ne connaissions pas ton nom lorsque tu as été laissé à notre orphelinat… Il fallait bien te trouver un nom, nous ne pouvions te laisser vivre sans identité !
- Mais j’ai un nom ! Je suis Maharet !
- Quoi ? Mais qu’est ce qui te fait croire que c’est là ton véritable nom ?

L’enfant détourna le regard qui se perdit dans le vide. D’une voix atone, elle dit :

- C’est elle qui me le dit chaque nuit…
- Elle ? Qui ça « elle » ?

Les yeux vairons se posèrent de nouveau sur la nonne qui fut parcourue d’un inexplicable frisson devant le sourire énigmatique de l’enfant. Maharet posa un doigt contre sa tempe et murmura sur le ton de la confession :

- La voix qui me réveille chaque nuit… Et je crois bien que c’est celle de ma maman…

Devant le regard passablement effrayé de sœur Marie-Charlotte, Maharet explosa de rire, un rire étrange… Un rire cynique. Un rire qu’une enfant de trois ans n’aurait jamais du pouvoir produire.

L’effroi qui envahissait sournoisement sœur Marie-Charlotte se changea alors en une terreur indicible…

***

- Père Thomas, je vous en conjure ! Il faut faire quelque chose pour cette enfant…
- Il suffit sœur Marie-Charlotte ! J’ai assez écouté vos sottises !
- Mais mon Père, je vous assure que…
- Non, non et non ! Je continue de vous certifier que cette enfant n’est pas possédée !
- Prouvez-le !
- Ne soyez pas insolente sœur Marie-Charlotte… Et calmez-vous, je vous prie. Plus aucun cas de possession par le Malin n’a été recensé dans ce pays depuis plus de cent cinquante ans ! Et rien ne prouve que cette petite Sarah…
- Elle dit s’appeler Maharet…
- Que cette petite Maharet, reprit le Père Thomas sans reprendre son souffle, n’ait pas eu un quelconque souvenir de sa petite enfance et que par un miracle des rouages du cerveau humain, cette information ait été conservée en elle. Cela expliquerait très bien pourquoi elle se souvient de son prénom…
- Vous n’avez pas vu son regard à ce moment là mon Père… Il n’avait rien de normal !
- Cessez donc ces sornettes…
- Et que faites-vous de sa chevelure argentée, de ses étranges yeux vairons ? A-t-on jamais vu une enfant avec un œil rouge ? Et ce cauchemar qui la hante quasiment toutes les nuits ?
- Alors nous devrions pratiquer un exorcisme sur une enfant, seulement parce qu’elle a des particularités physiques ? C’est bien cela ?
- Non… Ce n’est pas…
- Retournez à vos travaux sœur Marie-Charlotte. La discussion est close.
- Mais…
- CLOSE ! Occupez-vous de Sar… Maharet comme vous vous occupez de n’importe quel enfant ici. Me suis-je bien fait comprendre ?
- Oui mon père.

Sœur Marie-Charlotte quitta le bureau sans un mot. Le père Thomas alla à la fenêtre et regarda la cour où jouaient les enfants entre les leçons. En bas, une petite fille aux étranges yeux vairons le contemplait fixement… Comme si elle avait su que le père Thomas apparaîtrait à la fenêtre. Un frisson parcourut l’échine de l’homme d’église… Se forçant à quitter Maharet des yeux, il dit en se secouant :

- Brrrrr… L’hiver s’annonce rude…

Ode à l'archange

Ne me laisse pas dans cette nuit sans étoile
Ne m’abandonne pas dans cette vie sans éclat
Cette vie qui ne sera plus jamais avec toi
Cette nuit qui ne t’enveloppera plus de son voile

Pourquoi es-tu parti, si vite, sans dire au revoir
Sans même me laisser un sourire de toi ?
Explique toi, parle moi ! J’ai besoin de savoir
Pourquoi m’a abandonné l’ange au visage de soie.

Justifie toi, archange aux plumes d’argent,
De ton absence et des larmes qu’elle engendre
Laissant couler le goût fade et amer des cendres
Chez tes amis qui pleurent dans le vent.

Tu as choisi ta voie, ta fatalité, ton destin
Tu as donné ta vie en échange de la sienne
Laissant autour de toi tristesse et peine
Pour sauver cette femme aux douces mains

Qui pourtant n’ont jamais tenu les tiennes.
Elle ignorait tout de toi, ton histoire, ta vie
Elle a perdu un père que jamais elle ne vit
Hormis le soir où le fou a sauvé la reine

Comment te reprocher ton sacrifice, ami ?
Elle était ta fille, tu étais son père
Relique d’un passé d’un lointain hier
Où tu étais encore humain avant de mourir dans la nuit

Adieu, archange au visage masqué
Tu fais chier, tu vas nous manquer…

Eyes on me

Deux superbes pierres précieuses
Brillant de milles feux dans la nuit
Illuminant la couverture ténêbreuse
Etoiles dans le firmament de ma vie

Un océan regorgeant de sentiments
Un univers aux limites infinies
Un monde tellement apaisant
Que je le scruterais sans répit

Deux astres pour un diamant
Qui me rend heureux
Qu’il serait bon de se perdre éternellement
Dans tes si jolis yeux…

Petite plume

Petite plume en perdition,
Elle vole à travers la végétation.
Elle a quitté son maître
Qui se repose sur un tertre.

Petite plume à la blancheur immaculée
Elle appartenait à cet ange guerrier
Qui doucement s’est endormi
Plongeant dans la nuit.

Petite plume en deuil
Elle vole à travers les feuilles.
Elle retombe petit à petit
Sur le corps de cet ange aguerri.

Petite plume elle rosit,
Prenant doucement la couleur du rubis.
Elle s’évanouit sur l’ange aux cheveux d’or
Tombant dans l’auréole rouge qui baigne son corps.

Elle a rejoint son maître dans la mort.

Graouuu...

Rue de la Lune, Paris

Ils sont là. Frétillants d'impatience. Grattant le sol de leurs étranges pieds. La meute était petite au début, à peine une dizaine de membres. Mais très vite, de nouveaux éléments sont arrivés et la meute se compose désormais d'une quarantaine de membres.

Ils attendent, attendent et attendent... Le chef de meute, l'Alpha, passe entre les membres, prodiguant quelques conseils et paroles réconfortantes. L'heure du départ approche, les grattements de pieds se font plus insistants, quelques cris commencent à fuser.

Puis c'est le départ ! L'Alpha démarre en tête, fusant à toute vitesse dans les rues parisiennes, aussitôt suivie par la meute au grand complet. Les hurlements de joie accompagnent leur course effrénée.

Dans les rues, se glissant à toute vitesse sur la route, les trottoirs ou là où ils peuvent se faufiler, ils traversent Paris. Les piétons, d'abord surpris de voir un ou deux d'entre eux traverser la route, écarquillent les yeux lorsqu'une quarantaine d'autres specimens apparaissent au coin de la rue, envahissant l'espace à toute vitesse et disparaissant tout aussi vite.

Le soleil décline dans le ciel parisien. Il faut vite rejoindre la forêt, avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'il ne fasse trop sombre.

Il leur faudra une petite heure pour atteindre la cible tant convoitée. La nuit est quasiment entièrement tombée, laissant sa chape obscure s'abattre sur la lumière mourante du jour. Dans les bois, ils continuent leur cavalcade, les yeux tournés vers le ciel, à SA recherche. Mais Elle ne se montre pas, timide... Des lumières oscillantes, lucioles qui les guide, éclairent le chemin devant eux, faisant d'eux des nyctalopes.

La cavalcade se poursuit, et bientôt ils sortent de sous les arbres protecteurs et s'engagent sur un grand espace de bitume. Là, l'un d'eux stoppe, se retourne et hurle en montrant le ciel.

Elle est là. Enorme et resplendissante, dorée et scintillante.

La Lune se montre enfin.

Les hurlements jaillissent de toutes parts, ils hurlent à la Lune, comme les Loups qu'ils sont...

Ils s'élancent de nouveau, redoublant leurs hurlements, effrayant les automobilistes qui se demandent à quelle secte peut bien appartenir cette bande d'allumées qui hurlent à la Lune en plein Bois de Vincennes. Eux, ils s'en fichent éperduement... Ils glissent sur l'asphalte, unis dans les hurlements et dans les roulements, réunis pour une seule chose : rouler à la clarté de la pleine Lune et partager cette nuit avec leurs semblables.

Ce soir, les Loups-garous étaient en rollers...
La nuit est encore longue et les Loups-garous comptent bien en profiter...



***

Inspiré par la Rando de la Lune, organisée à chaque pleine Lune par Claire de Planet Roller.

Just dream

Mes doigts s’envolent doucement
Entamant de nouveau cette danse.
Dans un cliquetis lancinant
Dans cette mélopée, cette transe
Je laisse mon esprit errer
Parmi les rêves et les songes.
Comme à une source, je vais puiser
Pour que continuellement, les mots s’allongent.

Un sourire frappant mon visage
La danse continuant de s’accélerer
Les mots franchissent le barrage
De mon inconscient libéré.
Ne stoppez pas la danse
Continuez de virevolter éternellement !
Car une fois que mon esprit se lance
J’aimerais que se fige le temps…

Ecrire et rêver…
Rêver et écrire…
Ecrire pour rêver…
Rêver pour écrire…

Ici et ce soir

Une larme qui roule sur la joue d’albâtre
Une caresse humide sur l’âme meurtrie
Ce soir, il a enfin cessé de se battre
Les yeux au ciel, il contemple la pluie.
Ce soir il a définitivement cessé de se débattre
Eau de pluie et eau salée se retrouvent unies.

Ici et ce soir l’histoire touche à sa fin.
Tombée de rideaux, sortie de l’acteur
Sans ovation, sans révérence et sans salut de la main.
Personne ne rappellera sur scène le joueur
Le temps est écoulé, il n’y aura pas de représentation demain.
Car ici et ce soir, est venu son heure.

Une flamme éclaire soudain la nuit
Une détonation éclate dans l’obscurité
Ici et ce soir se termine une vie
Dans cette ruelle sombre et ignorée
Le sang se rajoute aux larmes et à la pluie
Ruisselant sur le visage désormais apaisé

Good Night Sandra - Chapitre Un

Sous-sol d’un immeuble new-yorkais. Ambiance feutrée, peu de lumière. De lourds rideaux de velours ornent les murs, donnant un aspect sombre et austère. Les rares spots de lumière sont dirigés vers la scène où un saxophoniste exerçe son talent, accompagné d’un homme au piano.

Les volutes de fumée entoure le musicien qui égrène lentement les notes sur son intrument cuivré. Les clients sont silencieux, laissant la mélopée les emporter dans leurs pensées. Fermant les yeux, le musicien se balance lentement, imperceptiblement… Plus rien n’existe autour de lui, ni l’odeur nauséabonde de certains cigares, ni le tintement caractéristique des verres. Simplement son monde, simplement sa musique. Un être qui ne fait plus qu’un avec sa musique. Une osmose parfaite…

Mais cela, aucun client ne le comprend. Aucun sauf celui qui est accoudé au bar, tournant le dos à la scène. L’homme à la chevelure bleutée tient son verre posé sur le bar, le regard dans le vide. Mais si ses yeux sont fixés dans le néant, ses oreilles n’en sont pas moins tournées vers ce saxophoniste.

Seul quelques maestros humains auraient reconnu que dans cette musique se cache énormément de choses. Une vie, des souvenirs… une âme. Ces pauvres humains ignorants, assis là à boire, ne savent pas ce que recèle cette chanson. Ils devinent seulement que ces notes égrénées ne sont pas normales… Seul un ange le saurait. Car seul un ange est capable de mettre autant de choses dans une simple mélodie.

IceBlade sourit. Il vient se changer les idées dans un bar de New-York et il faut qu’il tombe sur le seul bar où le musicien est un ange. L’Archange regarde son verre vide et jette un œil au barman. Celui-ci lui remplit déjà son verre, remercié d’un hochement de tête par cet étrange client. IceBlade fait tourner le liquide ambré dans son verre. Que de souvenirs recele cette boisson…

- Neftas…


En parlant de souvenirs, certains plus récents reviennent à l’esprit de l’Archange, lui rappelant pourquoi il est venu ici.

- Tu es revenue… Comment ? Comment as-tu parcouru tout ce chemin ? Et pourquoi ? Pourquoi ne t’a-Il pas laissé vivre ta vie ? C’est trop injuste… Tu n’aurais jamais dû arriver dans ce monde en guerre. Tu aurais dû continuer à vivre et à t’occuper d’elle. Que va-t-elle devenir sans toi ? Qui donc s’occupe d’elle ce soir ?


Les notes de musique augmentent en intensité, comme si le saxophoniste devinait les tourments intérieurs de son inhabituel client.

L’Archange de la Loyauté ferme les yeux, se laissant emporter par la musique, comme un torrent emporte les pierres. Sans ménagement, sans délicate attention. Et le torrent de notes emmena son étrange passager dans ses souvenirs… Il les vit défiler comme un film en accéléré… Puis la bande ralentit et s’arrêta sur un visage… Un visage qu’il avait tant aimé… Qu’il aurait tant aimé aimer encore. Sa main se ressera autour du verre, risquant de le briser et ses yeux se fermèrent encore un peu plus.

- Sandra…

Good Night Sandra - Chapitre Deux

Quelques mois plus tôt…

Seule, dans ce petit appartement, perdu dans l’une des multiples tours de verre de Paris, elle oeuvre patiemment. Face au miroir, ses doigts dansent sur son visage, donnant une couleur plus rose à ses lèvres, soulignant ses yeux verts de minces traits de crayon. Le maquillage ne doit pas être trop lourd, mais il doit bien entendu lui donner cet aspect de douceur qu’elle recherche.

Car après tout, ce soir est leur soir…

Une dernière petite touche, avant que l’ensemble ne soit parfait. Elle range alors minutieusement le matériel de maquillage, puis attrape avec légèreté la rose posée sur la table de chevet, qu’elle porte contre son cœur. Puis, après avoir vérifié une dernière fois l’harmonie de ses traits, elle se dirige vers la fenêtre.

Elle l’ouvre, appréciant au passage la fraîcheur du vent nocturne qui pénètre la pièce. Jetant un coup d’œil tout en bas, vers la circulation, vers les minuscules piétons et leurs angoisses, elle passe une jambe, puis l’autre, et se retrouve assise sur le rebord. Elle ferme les yeux, savourant les ultimes moments d’angoisse avant de se lancer…

Et elle se laisse tomber en avant.

Le sol se rapproche a une vitesse édifiante. Mais elle ne va pas se laisser démonter pour autant. Tout en serrant la rose contre elle, elle ferme les yeux, et joue de sa volonté. Une magnifique paire d’ailes blanches se déploie alors dans son dos, donnant un aspect irréel à celle qui aurait dû mourir…

Si elle n’avait été une ange.

Sandra ouvre les yeux, tout en donnant de rapides coups d’ailes. Fini de jouer, elle ne veut surtout pas être en retard. Elle se dirige donc, sur ce chemin mille fois emprunté, les rayons de la lune caressant sa chevelure rousse. Le trajet n’est pas long, et bientôt, elle arrive à destination. Elle ralentit alors, et contemple son objectif. La fenêtre est ouverte, et la lumière toujours allumée. Autant en profiter.

Tranquillement, elle se pose sur le rebord, et s’assoit, faisant face à l’intérieur de la coquette chambre, et se met à attendre, tout simplement. Les secondes s’égrènent, et bientôt, la porte de la chambre s’ouvre, laissant apparaître une petite fille, âgée de quatre ans tout au plus. Les cheveux en bataille, ses yeux bleus embués de sommeil, elle s’apprêtait à aller se coucher.

Mais en voyant l’être qui se trouve sur le rebord de la fenêtre, la fillette prend peur. En voyant cela, la jeune femme tente de la rassurer, de son plus sincère et beau sourire.

« Ageha… Ma chérie… »

Mais cela n’y fait rien. La fillette demeure terrorisée, et ne peut dire un mot tant elle craint le monstre qui se trouve devant elle. L’ange le comprend, et elle tend la main vers son enfant, lui offrant la rose aux pétales bleus, tout en s’approchant lentement d’elle.

C’est alors le déclic dans l’esprit de la fillette. Le cri étouffé depuis le début dans sa gorge brise les barrières de la peur, et inonde la pièce.

« MAAAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAANNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN !!! UN DEMOOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN !!! »

Tournant les talons, elle s’enfuit dans le couloir, alors qu’une femme se dirige à grandes enjambées vers la chambre. Sandra ne sait plus quoi faire. Elle est comme transpercée par ce qu’elle vient d’entendre. La fillette ne la considère pas comme sa mère… Au contraire… Comme un…

Un démon ? Mais comment est-ce possible ?

Sans s’en rendre compte, comme une automate, elle fuit. Elle s’élance par la fenêtre, déployant ses ailes une nouvelle fois, et vole, vole, vole jusqu’à n’en plus pouvoir.

Une démone…

Les forces lui manquent. Elle est obligée de se poser, dans une ruelle mal éclairée, dans une ruelle qui lui dit quelque chose, sans qu’elle ne sache quoi exactement. Terrassée par ses pensées et par l’effort, l’ange titube, et s’appuie contre le mur. Elle se laisse glisser contre les briques et s’assoit, adossée contre la paroi.

Une succube… C’est ce qu’elle était, il y a peu encore… Mais… Cela a pourtant changé…

Elle contemple la rose bleue, cherchant désespérément une réponse à toutes ses interrogations.


***

NDLA : Merci à Thomas dit Gambit/Sandra pour m'avoir autorisé à poster ce chapitre dont il est l'auteur.

Good Night Sandra - Chapitre Trois

Il y a plusieurs mois


Dans la ville endormie, une ombre parmi les ombres se déplace. D'un pas régulier, presque mécanique, la silhouette se dirige dans les ténêbres, tournant et virant dans le labyrinthe de ruelles toutes plus sombres que les autres, méandres infâmes de cette ville de lumière. Au coeur même de Paris, dans ce poumon noirâtre, l'homme erre à la recherche d'un endroit précis. L'image de la ruelle qu'il recherche est resté figée en lui à tout jamais. Son pas résonne en écho le long des murs tandis que son ombre s'étale sur le bitume, silhouette découpée par les rayons lunaires.

- Ici...


Il tourne à un coin de rue et se retrouve enfin dans la ruelle qu'il recherche.

Cette ruelle qui l'a vu mourir.
Cette ruelle qui l'a vu regarder sa propre mort.
Cette ruelle qui a été le commencement de tout.

...

Cette ruelle où une nouvelle silhouette se découpe. Entourée par les ombres, un unique rayon de lune qui chute à ses pieds,impossible de deviner autre chose que les contours de la personne.

L'Archange s'arrête net et fixe le nouvel arrivant. Pas humain, ça il est en certain. Il sent son aura, il sait que cette
personne est d'origine surnaturelle, selon les critères humains. Mais ange ou démon, il ne peut le deviner. C'est comme si son aura subissait sans cesse des variations, rendant impossible son identification. L'estomac d'IceBlade se contracte, en proie à un mauvais pressentiment.

- C’est pas normal ça...


Ses yeux tentent de percer la pénombre qui entoure cette étrange personne. Elle ne s'est pas encore rendu compte de la présence de l'Archange et continue de lui tourner le dos. IceBlade s'avance sans bruit lorsqu'un enfin un son vient briser le carcan de silence qui les avait tous deux enveloppé. Un sanglot, retenu et étouffé, un hoquet de tristesse... Le bruit des larmes...

IceBlade remarque enfin une chose devant les pieds de la silhouette : une rose... une rose bleue. Sa fleur préférée. Ses pupilles se dilatent sous l'effet de la surprise alors que rejaillit une image dans son esprit.

Un cercueil... On est en train de le mettre en terre. Des gens défilent les uns après les autres et déposent une fleur. La dernière personne arrive... Les larmes inondent ses yeux verts et son visage, détruisant le peu de maquillage qu'elle avait. La jeune femme aux cheveux roux pose alors une rose bleue sur le cercueil...


- Non... souffle IceBlade.

La silhouette se retourne d'un coup, effrayée par cette présence qu'elle n'avait pas senti. Son visage est alors éclairé par la clarté de la Lune... Sa chevelure abondante entoure un visage si magnifique... Les yeux verts noyés de cheveux roux. IceBlade tente de retrouver sa respiration devant cette femme. Pas n'importe quelle femme. La gorge serrée, il arrive à articuler :

- Sandra...

Good Night Sandra - Chapitre Quatre

Le saxophoniste termina son morceau dans une longue plainte déchirante. Les notes se fichaient dans le tréfond des âmes, telles des poignards porteurs d’un message que seule la personne attentive comprendrait. Bien peu parmi les clients présents ce soir là…

IceBlade était toujours perdu dans les contemplations de son verre. Vide. Un regard, et le verre se remplit de nouveau. Si seulement la vie était aussi facile. Que le verre vide de notre existence se remplisse sur une simple demande silencieuse, une prière à peine perceptible, un vœu à peine formulé. Tout serait tellement plus simple à travers les mondes. Idiote utopie…

L’Archange examine son faible reflet dans le liquide ambré. Ce soir, pour la première fois de son existence, il ne porte aucun masque. Rien ne cache au monde ce qu’il a toujours voulu cacher : la marque sur sa joue. Une larme bleue à jamais gelée dans le cours du temps. A jamais ? Qui sait… ?

L’homme à sa droite le regarde en finissant son verre, son septieme whishy de la soirée. Reposant le verre sur le bar dans un bruit mat, l’homme juge bon de s’adresser à IceBlade :

- Ben mon gars… Ça a pas l’air d’être la super forme.


Les yeux de saphirs se posent sur le bedonnant bonhomme. Son costume cendré a dû être bien repassé, fût une époque, tout comme sa chemise au col graisseux. Mais une époque assez lointaine. Une calvitie naissante donne à son visage un air rondouillard. Il pourrait être le parfait voisin. Sympathique, chaleureux… Le brave type en somme. Mais ses yeux n’ont rien de sympathique ni de chaleureux, rendus vitreux par l’alcool. Des cernes soulignant l’air inquiétant du regard conféraient à ce visage la dernière touche d’un air qui ne mettait pas en confiance.

Les yeux de l’Archange se reposèrent sur son verre.

-Allons mon gars… Encore une nana là-dessous hein ? Toutes les mêmes ! Rien que des belles garces prêtes à tout pour vous sucer votre fric jusqu’à la moelle ! Aucune morale, aucune pitié ! Rien ! Peuh ! Regardez-moi ! J’me tue à la tâche tous les jours que Dieu fait. Et ma femme reste assise tranquillement chez moi, à s’occuper des mouflets de temps en temps, à me faire un ou deux repas acceptables… Aucune gratitude ! C’est moi qui vous l’dis, les femmes sont …


IceBlade regarde le type gesticuler sur son tabouret en continuant un monologue qui ne parvient déjà plus aux oreilles de l’Archange. Ses prunelles fixent celles de l’homme, scrutent au plus profond de son être, de son âme. Il fouille tandis que ce pauvre type argue que les femmes devraient toutes être reconnaissantes à leur mari de leur apporter la sécurité et l’amour. Finalement, IceBlade quitte le regard de l’homme et vide le contenu de son verre. Il se lève, règle les verres qu’il a consommé et se prépare à quitter le bar. S’arrêtant près de l’homme, il lui glisse à l’oreille, comme pour lui confier un secret :

-Ces arguments venant d’un homme qui couche avec sa secrétaire trois par semaine ne me paraissent pas convaincants. De plus, sachez que cette Brigitte ne prend pas son pied avec vous. En fait, vous la dégoutez… Elle se sert de vous pour grimper les échelons de la société. Ni plus, ni moins. La seule femme qui vous ait jamais aimé est celle que vous êtes en train de décrier devant le parfait inconnu que je suis. Il est désormais trop tard… Ce soir, elle a pris vos deux fils et elle est partie. Vous venez de perdre le seul véritable amour que vous ayez jamais eu, pauvre humain. Et pourquoi ? Parce que vous êtes un ivrogne irresponsable et acariâtre. Parce que vous n’avez jamais su voir l’amour qui se trouvait devant vous. Vous avez perdu cet amour. Comme tant de personnes à travers le monde. Seulement vous, vous l’avez perdu parce que vous êtes resté aveugle. Personne n’est venu vous retirer cet amour. Vous l’avez éloigné de vous-même. Pauvre de vous…


IceBlade s’en alla, laissant l’homme hagard qui tentait de comprendre ce qui lui arrivait. Peu importe ce qu’il ferait, rattraper sa femme ou se tirer une balle en pleine tête. Au mieux, il sauverait les meubles. Au pire, ce ne serait qu’une âme de plus du coté démoniaque.

La fraicheur de la nuit new-yorkaise assaillit IceBlade. Il remit son écharpe sur le bas de son visage, et retrouva le sentiment protecteur qui l’avait accompagné si longtemps. Les mains dans les poches, il s’enfonça dans les rues de Manhattan, fermant les yeux face au souffle de la nuit. De nouveau, les souvenirs ressurgirent, comme tapis dans un coin de son esprit et prêts à l’assaillir. Cette nuit, quand il l’avait revu. Cette nuit, où il avait senti son aura si spéciale. Cette nuit qu’il aimerait tant oublier…

Le Saxophoniste

Il égrène doucement les notes,
Dans cette atmosphère enfumée
Où des volutes grises flottent,
Sur son instrument cuivré.

Rires, bruits, chocs et paroles
Résonnent en ce lieu étrange.
Mais il continue à jouer son rôle :
Transporter l’esprit attentif jusque chez les anges.

Plus rien n’existe autour de lui.
Seul avec son instrument il rêve
Bercé par la plus douce des mélodies
Il a l’impression qu’il s’élève.

Rien ne peut plus l’atteindre.
Des bassesses de ce monde
Il n’a plus à craindre,
Car autour de lui les notes font une ronde.

Barrière mélodieuse et éternelle
Elle le protège à tout jamais.
Il a l’impression que lui poussent des ailes
Qui lui apporteront la paix.

Musicien,ombre sur scène,
Il continue d’égréner cette douce mélodie.
Qui allège sa peine,
La peine de toute une vie.

Musique salvatrice,
Grâce à elle il s’enfuit
Et rêve d’un monde sans vice
D’un monde sans nuit.

Il égrène doucement les notes,
Qui comme des carillons sonnent,
Ouvrant des rêves les portes.
Le musicien joue de son saxophone.

:)

Paris…

La nuit qui enveloppe l’être de son voile de douceur et de fraîcheur, une légère brise agitant les vêtements des passants, cette nuit, elle sourit ce soir.

Elle regarde cet homme assis sur le rebord du pont de bois, qui balance une jambe dans le vide, un sourire aux lèvres.

Il sourit lui aussi. Pourtant il n’est pas spécialement heureux… Mais il sourit tout de même. Alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire, lui, il sourit. Il a appris une mauvaise nouvelle aujourd’hui. Le genre de nouvelle qui vous déprime pour la journée, semaine voir plus…

Mais il sourit.

Il a pris une gentille claque dans la figure.

Mais il sourit.

C’est un sourire un peu triste, teinté d’une légère amertume et d’un peu de déception. Mais un sourire tout de même. D’habitude, il est plutôt du genre à se morfondre, à se complaire dans sa tristesse, à rester chez lui à ruminer ses sombres pensées.

Mais la tristesse, on s’y accoutume. Comme la clope, l’alcool ou n’importe quelle saloperie qui vous rend addictif. Et quand on commence à s’y habituer, c’est mal barré…

Alors avant de s’y habituer, il a décidé de changer. On ne se morfond plus. On ne pleure plus sur soi-même.

On lève la tête. On encaisse. On reste debout. On relève la tête, fièrement, et on avance. Pas à pas, doucement, mais on avance.

Il reste toujours cette petite blessure, là, dans la poitrine. Mais ce qui paraissait être une épée dans le cœur devient lentement une simple dague… puis une aiguille… Et un jour, ça disparaît.

C’est comme ça que ça marche. C’est comme ça que ça doit marcher.

Il ferme les yeux et laisse la brise nocturne lui caresser le visage, comme une main féminine qui tendrement lui caresserait la joue, amante nocturne toujours présente dans les coups durs…

Il inspire profondément et descend de son promontoire. Le bois du pont craque doucement tandis que l’homme, une rose à la main, s’enfonce dans la nuit en continuant sur le Pont des Arts.

Allons… Il n’existe pas réellement…
Tout cela n’était… qu’un rêve… rien qu’un rêve…