Catharsis poétique

Rêveur sur le pont, au dessus de la scène
Contemple ses songes dans la nuit d'ébène
Paysage mystérieux aux limites de passion
Lové, endormi, au cœur de l'imagination.

Rêveur à la petite boite en bois
En bois de cerisier, de guingois
Sorti d'une poche imaginaire.
Il la regarde, la tient en l'air.

Rêveur qui fait jouer dans la serrure
Une clé de raison, vieille, pleine de rayures
Faisant sauter le couvercle, dans une mélodie
Une mélopée aux douces notes assourdies.

Rêveur qui attrape les songes éthérées
Et souffle dessus, en poussière de Morphée
Pour les glisser, cendres et souvenirs
D'un moment passé, sans rire, sans ire.

Rêveur referme la boîte à malice
Ferme les yeux, doucement se glisse,
Dans le fleuve d'une vie apaisée
Où songes et rêveries sont passé.

Retour vers le passé - Partie 3

Le collège. Ses murs gris, ses colonnes grises, ses pions à la grise mine, sa CPE à la moustache grise... Lorsqu'il franchit les grilles d'entrée, il se fait l'effet d'un évadé d'Alcatraz qui retourne en cellule après une cavale de plusieurs années. Il aurait bien trainé les pieds pour manifester sa désapprobation, mais c'aurait été là le comportement d'un gosse de quatorze ans. Et peu importe ce que sa mère, Léa ou même son miroir lui disaient, il-n'avait-pas-quatorze-ans !


- Qu'est ce que t'as à regarder tous les murs comme si tu les voyais pour la première fois ? Lui lança Léa.

Max sursaute en se rappelant qu'il avait à coté de lui une amie qu'il n'avait pas vu depuis... et bien près de dix ans. D'ailleurs, il ne parvenait pas à se rappeler pourquoi ils s'étaient perdus de vue cette année là.


- C'est rien... chuis mal réveillé, lui maugréé-t-il dans sa barbe qu'il n'a pas encore.

Mais alors sacrément pas réveillé, pense-t-il pour lui-même.

Ils rentrent dans la cour de récréation. Mon dieu, je suis dans un cour de récré... mais merde quoi... j'ai vingt-quatre ans, et je suis dans un cour de récré. C'est une blague cosmique, on me fait une super caméra cachée de là-haut, ça doit bien se marrer chez les anges...


Il suit Léa dans les dédales de couloirs car, avouons-le, qui serait capable de se rappeler de l'emplacement de sa salle de français dix ans après s'y être assis pour la dernière fois ? Ils arrivent devant la porte de la salle, y rentrent et...

- Aaaaah mais c'est monsieur Maximilien qui nous fait l'honneur de sa présence... Pas trop pressé monsieur Maximilien ? On s'est mal réveillé monsieur Maximilien ?

Les poils de Max se hérissent à entendre cette voix nasillarde qui l'a tant moqué durant toute son adolescence. Il regarde Mathas, son prof de français d'un oeil vitreux, voir bovin. Dans un soupir :


- Vous n'avez pas idée...
- Et bien si votre modeste personne veut bien s'assoir, nous allons peut-être pouvoir commencer le cours.

Il suit Léa en espérant de tout coeur que sa place soit à coté de la sienne parce que dans le cas contraire, il n'a foutrement aucune idée d'où elle peut bien se trouver dans la salle aux néons blafards.
Il s'assoit à coté d'elle, personne ne semble réagir... il a peut-être vu juste.

- Bien, fait la voix horripilante de Mathas, vous êtes tous censés avoir lu entièrement l'oeuvre au programme désormais... Il est temps maintenant de vérifier qui a bien fait son travail... et qui ne l'a pas fait.


Prenant sa liste de classe, il la parcourt en se demandant qui sera sa première victime. Par réflexe, du à des années de conditionnement de la torture Mathassienne, le coeur de Max s'emballe autant que la langue du chien de Pavlov pouvait saliver... Il se penche vers Léa tandis que le doigt de Mathas descend et remonte le long de la liste :

- Euh dis... c'est quoi l'oeuvre au programme ?

Les yeux de Léa s'arrondissent.

- Toi, tu vas te faire descendre en flèche... t'as pas lu le bouquin ?
- Je vais me faire descendre en flèche si tu ne me dis pas ce que c'est...
- Et l'heureux élu est... Monsieur Maximilien ! Claironne la voix de Mathas, sous les rires peu surpris de ses camarades, habitués aussi de voir Max être la cible privilégiée du prof.
- L'illusion comique, lui souffle doucement Léa, l'air mortifié, persuadée que Max va déguster pour pas un rond.
- Monsieur Maximilien aurait-il l'immense obligeance de nous faire part de ce qu'il a retiré de l'Illusion Comique, hormis une source inépuisable de boulettes en papier pour ses sarbacanes ?

Max, pour la première fois de la matinée, se permet un sourire.

- Bien sûr monsieur... L'Illusion Comique, la dernière comédie de Corneille, met en scène tout d'abord Pridamant, père de Clindor, qui se désespérant de la disparition de son fils va demander de l'aide à Alcandre, un magicien. Alcandre lui fait alors apparaître une vision de son fils en mauvaise posture. Au service de Matamore, un pseudo-héros au verbe aussi haut que ses prouesses sont basses, Clindor est amoureux d'Isabelle, dont Matamore est lui-même amoureux. S'ensuit sur plusieurs actes rebondissements et nouages d'intrigues Permettez le raccourci que je fais, mais on n'a pas toute la nuit. Clindor finit abattu et Isabelle amenée éplorée devant le roi. Pridamant se desespère de la mort de son fils jusqu'à ce qu'Alcandre lui montre une nouvelle scène où son fils et les autres personnages se partagent l'argent de la représentation. Car ce que Pridamant a vu depuis le début n'était qu'une pièce dans laquelle jouait Clindor. On voit ici un méta-théâtre, une pièce de théâtre incluse dans une pièce de théâtre elle même incluse dans une pièce de théâtre. Comme des poupées russes, l'Illusion Comique, qui porte alors bien son nom, met en scène une première pièce avec Alcandre et Pridamant qui vont alors voir une autre pièce, celle de Clindor et ses compères qui jouent leurs rôles. C'est là que se ressent l'imprégnation baroque de l'époque, la vie n'est qu'un théâtre tout comme nous le montre Corneille avec ses illusions. C'est assez précis pour vous ou bien voulez-vous que je vous parle du découpage selon Corneille où l'acte I n'est qu'un prologue pastorale, les trois actes suivant une comédie imparfaite qui se mue en tragi-comédie et le dernier acte une tragédie parfaite, le tout formant une comédie ?

Silence dans la salle. Max garde les yeux rivés dans ceux de Mathas mais il sent le regard de toute la classé tourné vers lui. Son professeur de français le fixe comme s'il venait de voir apparaître un petit bonhomme vert avec beaucoup trop de bras qui lui aurait demandé son chemin pour Vénus.

- Monsieur, si vous restez comme ça, vous allez commencer à baver...

La classe se met à rire tandis que la mâchoire de Mathas se referme dans un claquement sec... et certainement la perte d'une ou deux molaires. D'un air plus qu'embarassé, Mathas lâche du bout des lèvres :

- Ravi de voir que vous avez appris à lire monsieur Maximilien. Passons à la suite.

Et tandis qu'il se retourne pour écrire au tableau avec des gestes nerveux, Léa se penche vers lui et lui demande :

- Mais où t'as été cherché tout ça ? J'pensais que t'avais pas lu le bouquin...

Max a un haussement d'épaules. Si, il a bien lu le bouquin. Pas au collège, non. Mais en tant qu'agrégé de Lettres Modernes, ce qui représente cinq ou six ans de lectures de tout le panorama littéraire français, il avait lu l'Illusion Comique à l'université parmi la bonne centaine d'oeuvres qu'il avait du ingurgiter.

Ma foi, ça pouvait avoir ses avantages de revenir à l'âge de quatorze ans avec dix ans d'expérience en plus...