L'inspiration

L’inspiration est une chose étrange… On ne sait pas d’où elle vient, ni pourquoi, ni comment. Qu’est ce qui fait qu’à un moment X le déclic se fait, alors que vous êtes depuis des heures face à une page blanche qui vous nargue, esquivant toutes vos tentatives d’écriture comme un poisson qui ferait exprès de frôler votre hameçon sans jamais se laisser prendre. Parfois, c’est le vide total, impossible d’approcher une quelconque idée. D’autres fois, l’inspiration vous caresse, amante qui se joue de vous, tentatrice aux milles et une promesses murmurées à demi-mot. Elle est là, vous le savez… Puis elle s’évapore.

Puis viendra un moment, un jour, une heure, une demi-seconde où vous l’attraperez. Et là, il faut se hâter ! Car tel un éphémère, l’inspiration peut avoir une durée de vie très courte. Elle peut vous frapper comme un éclair ou bien se couler en vous comme une seconde peau. Elle est là, comme une muse invisible qui vous murmurerait les mots à écrire par-dessus votre épaule, elle est là mais vous ne savez pas pour combien de temps. Alors il faut se dépêcher ! Prendre le premier support qui vous passe sous la main : votre ordinateur, une feuille de papier, une serviette de restaurant, une assiette en carton, tout et n’importe quoi ! Quelque chose pour écrire ! Car l’inspiration est nomade, elle ne s’installe jamais bien longtemps au même endroit.

Mais d’où vient-elle ? Est-ce, comme l’ont pensé certains intellectuels, une sorte de noosphère de connaissances et d’imagination qui graviterait autour de notre monde, comme une seconde couche d’ozone, une couche d’inspiration ? Ou bien est-elle profondément inscrite en nous depuis la nuit des temps, sorte de mémoire du passé qui délie notre esprit et l’ouvre à l’imagination de l’écriture ? Il parait que c’est LA question que tous les écrivains rencontrent un jour au détour d’une interview, de la part d’un journaliste peu au fait du domaine littéraire.

« Mais où trouvez-vous toutes ces histoires ? »

« Mais d’où vous vient toute cette imagination ? »

« Où allez-vous donc chercher tout ça ? »

Où, où, où, où… Et ce n’est pas là l’idée des journalistes, tout le monde tombe dans la facilité en se posant ces mêmes questions à la lecture d’un roman, d’une nouvelle ou d’un poème qui fascine. A croire que tout le monde s’accorde pour penser qu’il existe un pays merveilleux où poussent les histoires et que les écrivains sont en fait des êtres qui ont la particularité de pouvoir s’y rendre selon leur bon vouloir ou presque pour y cueillir la trame de leur prochain roman. Si seulement c’était aussi simple…

Ne rêvez pas, je ne répondrai pas ce soir, ni un autre ce soir d’ailleurs, à cette question : d’où vient l’inspiration. Je n’en ai pas la moindre idée… Je suppose que c’est une part de rêve qui s’empare de vous et que vous avez envie de coucher sur le papier, comme un songe où vous seriez le maître du jeu, à placer vos personnages où vous le désirez, à leur faire vivre ce que vous voulez…

D’où elle vient, comment elle vient, pourquoi elle vient… Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que quand elle vient, je l’accueille à bras ouverts. Et lorsque mes doigts virevoltent au-dessus du clavier comme ce soir, où les mots défilent à l’écran presque aussi vite que dans mon esprit, j’ai l’air d’un idiot ! Un idiot car je suis là, devant mon ordinateur, à sourire comme un imbécile heureux sous le claquement rapide des touches de mon clavier.

C’est d’un jouissif l’inspiration !

Moitié...

…ret…

Une voix. Lointaine, éteinte, une voix qui n’est plus, surgie d’un passé assassiné. Empreinte d’une douceur qui ne semble pas trouver ses marques dans les intonations, la voix est là, chaude et veloutée.

Ma…

D’où vient cette voix ? Elle est là… Juste au-dessus ! Elle pourrait presque la toucher… Toucher le visage à qui appartient cette voix… Ouvrir les yeux ! Allons ! Ouvre les yeux !

…haret…

Il faut voir le visage ! Savoir à qui appartient la voix ! Allez ! Ouvre les yeux ! Réveille toi…

Maharet !

***

Un souffle haletant transperça le voile de silence qui régnait dans le dortoir… Maharet était assise dans son lit, une sueur froide coulant le long de sa colonne vertébrale, sa chemise de nuit lui collant à la peau. La bouche grande ouverte, elle tentait de reprendre son souffle…

Comme à chaque fois, le rêve l’avait réveillée, faisant battre la chamade à son cœur. Il revenait quasiment toutes les nuits, toujours identiques, toujours aussi énigmatique. Une voix qu’elle entendait au début comme si ses oreilles étaient bouchées par du coton, des syllabes qu’elle parvenait à peine à deviner. Chaque nuit, toute au long de ces dix longues années, où le rêve l’avait frappé, elle avait tenté de savoir à qui était cette voix qui, elle en était certaine, l’appelait par son prénom. Elle n’avait compris que très tard qu’il s’agissait là de son prénom… puisqu’elle ne savait pas quel prénom sa mère lui avait donné. Elle ne savait même pas qui était sa mère…

Cela expliquait sa vie à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété dans un quartier de New York. Un jour, voilà près de dix ans, un bébé avait été retrouvé devant la porte du couvent, avec un petit mot déposé dans le couffin :

C’était ça ou un plongeon dans la rivière… M’faites pas regretter !

Ainsi un bébé au nom inconnu, la mère n’ayant pas pris soin de l’ajouter sur le billet, fit son entrée à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété. La petite fille fut nommée Sarah et grandit tout à fait normalement jusqu’à l’âge de trois ans, la seule « irrégularité » de sa personne étant ses étranges cheveux argentés et ses insolites yeux vairons. L’un était d’or, légèrement ambrée, comme l’œil d’un aigle. L’autre était curieusement rouge… Les nonnes attribuaient cela à un « artefact génétique dû au métissage de l’enfant ». Il y avait aussi les nuits agitées que connaissaient la petite fille et qui la mettaient bien souvent dans un état de tension, voir d’angoisse, assez peu commun pour un enfant de son âge.

Mais dès ses trois ans, la petite Sarah surprit les bonnes sœurs et le Père Thomas qui s’occupaient de l’orphelinat. En effet, pendant une leçon, la nonne qui donnait cours à la classe de la petite Sarah, appela celle-ci pour qu’elle vienne résoudre un puzzle avec ses camarades. S’étonnant que l’enfant ne réagisse pas à l’appel de son nom, la nonne, Sœur Marie-Charlotte, se dirigea vers elle, s’inquiétant d’une éventuelle surdité de l’enfant. Lui tapotant l’épaule, elle regarda Sarah dans les yeux et lui dit en articulant exagérément :

- Sarah ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?

L’enfant fixa un regard froid sur la nonne et ne répondit pas.

- Allons Sarah, qu’y a-t-il ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?
- Je ne m’appelle pas Sarah, dit-elle enfin de sa voix aigue de jeune enfant.
- Pardon ? Que veux-tu dire ?
- Mon prénom n’est pas Sarah. Sarah, ce n’est que le prénom que les gens d’ici m’ont donné lorsqu’ils m’ont trouvé…

La sœur était étonnée par la formulation des phrases de Sarah, plus qu’élaborées pour une enfant de trois ans.

- Mais mon doux enfant, nous ne connaissions pas ton nom lorsque tu as été laissé à notre orphelinat… Il fallait bien te trouver un nom, nous ne pouvions te laisser vivre sans identité !
- Mais j’ai un nom ! Je suis Maharet !
- Quoi ? Mais qu’est ce qui te fait croire que c’est là ton véritable nom ?

L’enfant détourna le regard qui se perdit dans le vide. D’une voix atone, elle dit :

- C’est elle qui me le dit chaque nuit…
- Elle ? Qui ça « elle » ?

Les yeux vairons se posèrent de nouveau sur la nonne qui fut parcourue d’un inexplicable frisson devant le sourire énigmatique de l’enfant. Maharet posa un doigt contre sa tempe et murmura sur le ton de la confession :

- La voix qui me réveille chaque nuit… Et je crois bien que c’est celle de ma maman…

Devant le regard passablement effrayé de sœur Marie-Charlotte, Maharet explosa de rire, un rire étrange… Un rire cynique. Un rire qu’une enfant de trois ans n’aurait jamais du pouvoir produire.

L’effroi qui envahissait sournoisement sœur Marie-Charlotte se changea alors en une terreur indicible…

***

- Père Thomas, je vous en conjure ! Il faut faire quelque chose pour cette enfant…
- Il suffit sœur Marie-Charlotte ! J’ai assez écouté vos sottises !
- Mais mon Père, je vous assure que…
- Non, non et non ! Je continue de vous certifier que cette enfant n’est pas possédée !
- Prouvez-le !
- Ne soyez pas insolente sœur Marie-Charlotte… Et calmez-vous, je vous prie. Plus aucun cas de possession par le Malin n’a été recensé dans ce pays depuis plus de cent cinquante ans ! Et rien ne prouve que cette petite Sarah…
- Elle dit s’appeler Maharet…
- Que cette petite Maharet, reprit le Père Thomas sans reprendre son souffle, n’ait pas eu un quelconque souvenir de sa petite enfance et que par un miracle des rouages du cerveau humain, cette information ait été conservée en elle. Cela expliquerait très bien pourquoi elle se souvient de son prénom…
- Vous n’avez pas vu son regard à ce moment là mon Père… Il n’avait rien de normal !
- Cessez donc ces sornettes…
- Et que faites-vous de sa chevelure argentée, de ses étranges yeux vairons ? A-t-on jamais vu une enfant avec un œil rouge ? Et ce cauchemar qui la hante quasiment toutes les nuits ?
- Alors nous devrions pratiquer un exorcisme sur une enfant, seulement parce qu’elle a des particularités physiques ? C’est bien cela ?
- Non… Ce n’est pas…
- Retournez à vos travaux sœur Marie-Charlotte. La discussion est close.
- Mais…
- CLOSE ! Occupez-vous de Sar… Maharet comme vous vous occupez de n’importe quel enfant ici. Me suis-je bien fait comprendre ?
- Oui mon père.

Sœur Marie-Charlotte quitta le bureau sans un mot. Le père Thomas alla à la fenêtre et regarda la cour où jouaient les enfants entre les leçons. En bas, une petite fille aux étranges yeux vairons le contemplait fixement… Comme si elle avait su que le père Thomas apparaîtrait à la fenêtre. Un frisson parcourut l’échine de l’homme d’église… Se forçant à quitter Maharet des yeux, il dit en se secouant :

- Brrrrr… L’hiver s’annonce rude…

Ode à l'archange

Ne me laisse pas dans cette nuit sans étoile
Ne m’abandonne pas dans cette vie sans éclat
Cette vie qui ne sera plus jamais avec toi
Cette nuit qui ne t’enveloppera plus de son voile

Pourquoi es-tu parti, si vite, sans dire au revoir
Sans même me laisser un sourire de toi ?
Explique toi, parle moi ! J’ai besoin de savoir
Pourquoi m’a abandonné l’ange au visage de soie.

Justifie toi, archange aux plumes d’argent,
De ton absence et des larmes qu’elle engendre
Laissant couler le goût fade et amer des cendres
Chez tes amis qui pleurent dans le vent.

Tu as choisi ta voie, ta fatalité, ton destin
Tu as donné ta vie en échange de la sienne
Laissant autour de toi tristesse et peine
Pour sauver cette femme aux douces mains

Qui pourtant n’ont jamais tenu les tiennes.
Elle ignorait tout de toi, ton histoire, ta vie
Elle a perdu un père que jamais elle ne vit
Hormis le soir où le fou a sauvé la reine

Comment te reprocher ton sacrifice, ami ?
Elle était ta fille, tu étais son père
Relique d’un passé d’un lointain hier
Où tu étais encore humain avant de mourir dans la nuit

Adieu, archange au visage masqué
Tu fais chier, tu vas nous manquer…

Eyes on me

Deux superbes pierres précieuses
Brillant de milles feux dans la nuit
Illuminant la couverture ténêbreuse
Etoiles dans le firmament de ma vie

Un océan regorgeant de sentiments
Un univers aux limites infinies
Un monde tellement apaisant
Que je le scruterais sans répit

Deux astres pour un diamant
Qui me rend heureux
Qu’il serait bon de se perdre éternellement
Dans tes si jolis yeux…

Petite plume

Petite plume en perdition,
Elle vole à travers la végétation.
Elle a quitté son maître
Qui se repose sur un tertre.

Petite plume à la blancheur immaculée
Elle appartenait à cet ange guerrier
Qui doucement s’est endormi
Plongeant dans la nuit.

Petite plume en deuil
Elle vole à travers les feuilles.
Elle retombe petit à petit
Sur le corps de cet ange aguerri.

Petite plume elle rosit,
Prenant doucement la couleur du rubis.
Elle s’évanouit sur l’ange aux cheveux d’or
Tombant dans l’auréole rouge qui baigne son corps.

Elle a rejoint son maître dans la mort.

Graouuu...

Rue de la Lune, Paris

Ils sont là. Frétillants d'impatience. Grattant le sol de leurs étranges pieds. La meute était petite au début, à peine une dizaine de membres. Mais très vite, de nouveaux éléments sont arrivés et la meute se compose désormais d'une quarantaine de membres.

Ils attendent, attendent et attendent... Le chef de meute, l'Alpha, passe entre les membres, prodiguant quelques conseils et paroles réconfortantes. L'heure du départ approche, les grattements de pieds se font plus insistants, quelques cris commencent à fuser.

Puis c'est le départ ! L'Alpha démarre en tête, fusant à toute vitesse dans les rues parisiennes, aussitôt suivie par la meute au grand complet. Les hurlements de joie accompagnent leur course effrénée.

Dans les rues, se glissant à toute vitesse sur la route, les trottoirs ou là où ils peuvent se faufiler, ils traversent Paris. Les piétons, d'abord surpris de voir un ou deux d'entre eux traverser la route, écarquillent les yeux lorsqu'une quarantaine d'autres specimens apparaissent au coin de la rue, envahissant l'espace à toute vitesse et disparaissant tout aussi vite.

Le soleil décline dans le ciel parisien. Il faut vite rejoindre la forêt, avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'il ne fasse trop sombre.

Il leur faudra une petite heure pour atteindre la cible tant convoitée. La nuit est quasiment entièrement tombée, laissant sa chape obscure s'abattre sur la lumière mourante du jour. Dans les bois, ils continuent leur cavalcade, les yeux tournés vers le ciel, à SA recherche. Mais Elle ne se montre pas, timide... Des lumières oscillantes, lucioles qui les guide, éclairent le chemin devant eux, faisant d'eux des nyctalopes.

La cavalcade se poursuit, et bientôt ils sortent de sous les arbres protecteurs et s'engagent sur un grand espace de bitume. Là, l'un d'eux stoppe, se retourne et hurle en montrant le ciel.

Elle est là. Enorme et resplendissante, dorée et scintillante.

La Lune se montre enfin.

Les hurlements jaillissent de toutes parts, ils hurlent à la Lune, comme les Loups qu'ils sont...

Ils s'élancent de nouveau, redoublant leurs hurlements, effrayant les automobilistes qui se demandent à quelle secte peut bien appartenir cette bande d'allumées qui hurlent à la Lune en plein Bois de Vincennes. Eux, ils s'en fichent éperduement... Ils glissent sur l'asphalte, unis dans les hurlements et dans les roulements, réunis pour une seule chose : rouler à la clarté de la pleine Lune et partager cette nuit avec leurs semblables.

Ce soir, les Loups-garous étaient en rollers...
La nuit est encore longue et les Loups-garous comptent bien en profiter...



***

Inspiré par la Rando de la Lune, organisée à chaque pleine Lune par Claire de Planet Roller.

Just dream

Mes doigts s’envolent doucement
Entamant de nouveau cette danse.
Dans un cliquetis lancinant
Dans cette mélopée, cette transe
Je laisse mon esprit errer
Parmi les rêves et les songes.
Comme à une source, je vais puiser
Pour que continuellement, les mots s’allongent.

Un sourire frappant mon visage
La danse continuant de s’accélerer
Les mots franchissent le barrage
De mon inconscient libéré.
Ne stoppez pas la danse
Continuez de virevolter éternellement !
Car une fois que mon esprit se lance
J’aimerais que se fige le temps…

Ecrire et rêver…
Rêver et écrire…
Ecrire pour rêver…
Rêver pour écrire…

Ici et ce soir

Une larme qui roule sur la joue d’albâtre
Une caresse humide sur l’âme meurtrie
Ce soir, il a enfin cessé de se battre
Les yeux au ciel, il contemple la pluie.
Ce soir il a définitivement cessé de se débattre
Eau de pluie et eau salée se retrouvent unies.

Ici et ce soir l’histoire touche à sa fin.
Tombée de rideaux, sortie de l’acteur
Sans ovation, sans révérence et sans salut de la main.
Personne ne rappellera sur scène le joueur
Le temps est écoulé, il n’y aura pas de représentation demain.
Car ici et ce soir, est venu son heure.

Une flamme éclaire soudain la nuit
Une détonation éclate dans l’obscurité
Ici et ce soir se termine une vie
Dans cette ruelle sombre et ignorée
Le sang se rajoute aux larmes et à la pluie
Ruisselant sur le visage désormais apaisé

Good Night Sandra - Chapitre Un

Sous-sol d’un immeuble new-yorkais. Ambiance feutrée, peu de lumière. De lourds rideaux de velours ornent les murs, donnant un aspect sombre et austère. Les rares spots de lumière sont dirigés vers la scène où un saxophoniste exerçe son talent, accompagné d’un homme au piano.

Les volutes de fumée entoure le musicien qui égrène lentement les notes sur son intrument cuivré. Les clients sont silencieux, laissant la mélopée les emporter dans leurs pensées. Fermant les yeux, le musicien se balance lentement, imperceptiblement… Plus rien n’existe autour de lui, ni l’odeur nauséabonde de certains cigares, ni le tintement caractéristique des verres. Simplement son monde, simplement sa musique. Un être qui ne fait plus qu’un avec sa musique. Une osmose parfaite…

Mais cela, aucun client ne le comprend. Aucun sauf celui qui est accoudé au bar, tournant le dos à la scène. L’homme à la chevelure bleutée tient son verre posé sur le bar, le regard dans le vide. Mais si ses yeux sont fixés dans le néant, ses oreilles n’en sont pas moins tournées vers ce saxophoniste.

Seul quelques maestros humains auraient reconnu que dans cette musique se cache énormément de choses. Une vie, des souvenirs… une âme. Ces pauvres humains ignorants, assis là à boire, ne savent pas ce que recèle cette chanson. Ils devinent seulement que ces notes égrénées ne sont pas normales… Seul un ange le saurait. Car seul un ange est capable de mettre autant de choses dans une simple mélodie.

IceBlade sourit. Il vient se changer les idées dans un bar de New-York et il faut qu’il tombe sur le seul bar où le musicien est un ange. L’Archange regarde son verre vide et jette un œil au barman. Celui-ci lui remplit déjà son verre, remercié d’un hochement de tête par cet étrange client. IceBlade fait tourner le liquide ambré dans son verre. Que de souvenirs recele cette boisson…

- Neftas…


En parlant de souvenirs, certains plus récents reviennent à l’esprit de l’Archange, lui rappelant pourquoi il est venu ici.

- Tu es revenue… Comment ? Comment as-tu parcouru tout ce chemin ? Et pourquoi ? Pourquoi ne t’a-Il pas laissé vivre ta vie ? C’est trop injuste… Tu n’aurais jamais dû arriver dans ce monde en guerre. Tu aurais dû continuer à vivre et à t’occuper d’elle. Que va-t-elle devenir sans toi ? Qui donc s’occupe d’elle ce soir ?


Les notes de musique augmentent en intensité, comme si le saxophoniste devinait les tourments intérieurs de son inhabituel client.

L’Archange de la Loyauté ferme les yeux, se laissant emporter par la musique, comme un torrent emporte les pierres. Sans ménagement, sans délicate attention. Et le torrent de notes emmena son étrange passager dans ses souvenirs… Il les vit défiler comme un film en accéléré… Puis la bande ralentit et s’arrêta sur un visage… Un visage qu’il avait tant aimé… Qu’il aurait tant aimé aimer encore. Sa main se ressera autour du verre, risquant de le briser et ses yeux se fermèrent encore un peu plus.

- Sandra…

Good Night Sandra - Chapitre Deux

Quelques mois plus tôt…

Seule, dans ce petit appartement, perdu dans l’une des multiples tours de verre de Paris, elle oeuvre patiemment. Face au miroir, ses doigts dansent sur son visage, donnant une couleur plus rose à ses lèvres, soulignant ses yeux verts de minces traits de crayon. Le maquillage ne doit pas être trop lourd, mais il doit bien entendu lui donner cet aspect de douceur qu’elle recherche.

Car après tout, ce soir est leur soir…

Une dernière petite touche, avant que l’ensemble ne soit parfait. Elle range alors minutieusement le matériel de maquillage, puis attrape avec légèreté la rose posée sur la table de chevet, qu’elle porte contre son cœur. Puis, après avoir vérifié une dernière fois l’harmonie de ses traits, elle se dirige vers la fenêtre.

Elle l’ouvre, appréciant au passage la fraîcheur du vent nocturne qui pénètre la pièce. Jetant un coup d’œil tout en bas, vers la circulation, vers les minuscules piétons et leurs angoisses, elle passe une jambe, puis l’autre, et se retrouve assise sur le rebord. Elle ferme les yeux, savourant les ultimes moments d’angoisse avant de se lancer…

Et elle se laisse tomber en avant.

Le sol se rapproche a une vitesse édifiante. Mais elle ne va pas se laisser démonter pour autant. Tout en serrant la rose contre elle, elle ferme les yeux, et joue de sa volonté. Une magnifique paire d’ailes blanches se déploie alors dans son dos, donnant un aspect irréel à celle qui aurait dû mourir…

Si elle n’avait été une ange.

Sandra ouvre les yeux, tout en donnant de rapides coups d’ailes. Fini de jouer, elle ne veut surtout pas être en retard. Elle se dirige donc, sur ce chemin mille fois emprunté, les rayons de la lune caressant sa chevelure rousse. Le trajet n’est pas long, et bientôt, elle arrive à destination. Elle ralentit alors, et contemple son objectif. La fenêtre est ouverte, et la lumière toujours allumée. Autant en profiter.

Tranquillement, elle se pose sur le rebord, et s’assoit, faisant face à l’intérieur de la coquette chambre, et se met à attendre, tout simplement. Les secondes s’égrènent, et bientôt, la porte de la chambre s’ouvre, laissant apparaître une petite fille, âgée de quatre ans tout au plus. Les cheveux en bataille, ses yeux bleus embués de sommeil, elle s’apprêtait à aller se coucher.

Mais en voyant l’être qui se trouve sur le rebord de la fenêtre, la fillette prend peur. En voyant cela, la jeune femme tente de la rassurer, de son plus sincère et beau sourire.

« Ageha… Ma chérie… »

Mais cela n’y fait rien. La fillette demeure terrorisée, et ne peut dire un mot tant elle craint le monstre qui se trouve devant elle. L’ange le comprend, et elle tend la main vers son enfant, lui offrant la rose aux pétales bleus, tout en s’approchant lentement d’elle.

C’est alors le déclic dans l’esprit de la fillette. Le cri étouffé depuis le début dans sa gorge brise les barrières de la peur, et inonde la pièce.

« MAAAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAANNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN !!! UN DEMOOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN !!! »

Tournant les talons, elle s’enfuit dans le couloir, alors qu’une femme se dirige à grandes enjambées vers la chambre. Sandra ne sait plus quoi faire. Elle est comme transpercée par ce qu’elle vient d’entendre. La fillette ne la considère pas comme sa mère… Au contraire… Comme un…

Un démon ? Mais comment est-ce possible ?

Sans s’en rendre compte, comme une automate, elle fuit. Elle s’élance par la fenêtre, déployant ses ailes une nouvelle fois, et vole, vole, vole jusqu’à n’en plus pouvoir.

Une démone…

Les forces lui manquent. Elle est obligée de se poser, dans une ruelle mal éclairée, dans une ruelle qui lui dit quelque chose, sans qu’elle ne sache quoi exactement. Terrassée par ses pensées et par l’effort, l’ange titube, et s’appuie contre le mur. Elle se laisse glisser contre les briques et s’assoit, adossée contre la paroi.

Une succube… C’est ce qu’elle était, il y a peu encore… Mais… Cela a pourtant changé…

Elle contemple la rose bleue, cherchant désespérément une réponse à toutes ses interrogations.


***

NDLA : Merci à Thomas dit Gambit/Sandra pour m'avoir autorisé à poster ce chapitre dont il est l'auteur.

Good Night Sandra - Chapitre Trois

Il y a plusieurs mois


Dans la ville endormie, une ombre parmi les ombres se déplace. D'un pas régulier, presque mécanique, la silhouette se dirige dans les ténêbres, tournant et virant dans le labyrinthe de ruelles toutes plus sombres que les autres, méandres infâmes de cette ville de lumière. Au coeur même de Paris, dans ce poumon noirâtre, l'homme erre à la recherche d'un endroit précis. L'image de la ruelle qu'il recherche est resté figée en lui à tout jamais. Son pas résonne en écho le long des murs tandis que son ombre s'étale sur le bitume, silhouette découpée par les rayons lunaires.

- Ici...


Il tourne à un coin de rue et se retrouve enfin dans la ruelle qu'il recherche.

Cette ruelle qui l'a vu mourir.
Cette ruelle qui l'a vu regarder sa propre mort.
Cette ruelle qui a été le commencement de tout.

...

Cette ruelle où une nouvelle silhouette se découpe. Entourée par les ombres, un unique rayon de lune qui chute à ses pieds,impossible de deviner autre chose que les contours de la personne.

L'Archange s'arrête net et fixe le nouvel arrivant. Pas humain, ça il est en certain. Il sent son aura, il sait que cette
personne est d'origine surnaturelle, selon les critères humains. Mais ange ou démon, il ne peut le deviner. C'est comme si son aura subissait sans cesse des variations, rendant impossible son identification. L'estomac d'IceBlade se contracte, en proie à un mauvais pressentiment.

- C’est pas normal ça...


Ses yeux tentent de percer la pénombre qui entoure cette étrange personne. Elle ne s'est pas encore rendu compte de la présence de l'Archange et continue de lui tourner le dos. IceBlade s'avance sans bruit lorsqu'un enfin un son vient briser le carcan de silence qui les avait tous deux enveloppé. Un sanglot, retenu et étouffé, un hoquet de tristesse... Le bruit des larmes...

IceBlade remarque enfin une chose devant les pieds de la silhouette : une rose... une rose bleue. Sa fleur préférée. Ses pupilles se dilatent sous l'effet de la surprise alors que rejaillit une image dans son esprit.

Un cercueil... On est en train de le mettre en terre. Des gens défilent les uns après les autres et déposent une fleur. La dernière personne arrive... Les larmes inondent ses yeux verts et son visage, détruisant le peu de maquillage qu'elle avait. La jeune femme aux cheveux roux pose alors une rose bleue sur le cercueil...


- Non... souffle IceBlade.

La silhouette se retourne d'un coup, effrayée par cette présence qu'elle n'avait pas senti. Son visage est alors éclairé par la clarté de la Lune... Sa chevelure abondante entoure un visage si magnifique... Les yeux verts noyés de cheveux roux. IceBlade tente de retrouver sa respiration devant cette femme. Pas n'importe quelle femme. La gorge serrée, il arrive à articuler :

- Sandra...

Good Night Sandra - Chapitre Quatre

Le saxophoniste termina son morceau dans une longue plainte déchirante. Les notes se fichaient dans le tréfond des âmes, telles des poignards porteurs d’un message que seule la personne attentive comprendrait. Bien peu parmi les clients présents ce soir là…

IceBlade était toujours perdu dans les contemplations de son verre. Vide. Un regard, et le verre se remplit de nouveau. Si seulement la vie était aussi facile. Que le verre vide de notre existence se remplisse sur une simple demande silencieuse, une prière à peine perceptible, un vœu à peine formulé. Tout serait tellement plus simple à travers les mondes. Idiote utopie…

L’Archange examine son faible reflet dans le liquide ambré. Ce soir, pour la première fois de son existence, il ne porte aucun masque. Rien ne cache au monde ce qu’il a toujours voulu cacher : la marque sur sa joue. Une larme bleue à jamais gelée dans le cours du temps. A jamais ? Qui sait… ?

L’homme à sa droite le regarde en finissant son verre, son septieme whishy de la soirée. Reposant le verre sur le bar dans un bruit mat, l’homme juge bon de s’adresser à IceBlade :

- Ben mon gars… Ça a pas l’air d’être la super forme.


Les yeux de saphirs se posent sur le bedonnant bonhomme. Son costume cendré a dû être bien repassé, fût une époque, tout comme sa chemise au col graisseux. Mais une époque assez lointaine. Une calvitie naissante donne à son visage un air rondouillard. Il pourrait être le parfait voisin. Sympathique, chaleureux… Le brave type en somme. Mais ses yeux n’ont rien de sympathique ni de chaleureux, rendus vitreux par l’alcool. Des cernes soulignant l’air inquiétant du regard conféraient à ce visage la dernière touche d’un air qui ne mettait pas en confiance.

Les yeux de l’Archange se reposèrent sur son verre.

-Allons mon gars… Encore une nana là-dessous hein ? Toutes les mêmes ! Rien que des belles garces prêtes à tout pour vous sucer votre fric jusqu’à la moelle ! Aucune morale, aucune pitié ! Rien ! Peuh ! Regardez-moi ! J’me tue à la tâche tous les jours que Dieu fait. Et ma femme reste assise tranquillement chez moi, à s’occuper des mouflets de temps en temps, à me faire un ou deux repas acceptables… Aucune gratitude ! C’est moi qui vous l’dis, les femmes sont …


IceBlade regarde le type gesticuler sur son tabouret en continuant un monologue qui ne parvient déjà plus aux oreilles de l’Archange. Ses prunelles fixent celles de l’homme, scrutent au plus profond de son être, de son âme. Il fouille tandis que ce pauvre type argue que les femmes devraient toutes être reconnaissantes à leur mari de leur apporter la sécurité et l’amour. Finalement, IceBlade quitte le regard de l’homme et vide le contenu de son verre. Il se lève, règle les verres qu’il a consommé et se prépare à quitter le bar. S’arrêtant près de l’homme, il lui glisse à l’oreille, comme pour lui confier un secret :

-Ces arguments venant d’un homme qui couche avec sa secrétaire trois par semaine ne me paraissent pas convaincants. De plus, sachez que cette Brigitte ne prend pas son pied avec vous. En fait, vous la dégoutez… Elle se sert de vous pour grimper les échelons de la société. Ni plus, ni moins. La seule femme qui vous ait jamais aimé est celle que vous êtes en train de décrier devant le parfait inconnu que je suis. Il est désormais trop tard… Ce soir, elle a pris vos deux fils et elle est partie. Vous venez de perdre le seul véritable amour que vous ayez jamais eu, pauvre humain. Et pourquoi ? Parce que vous êtes un ivrogne irresponsable et acariâtre. Parce que vous n’avez jamais su voir l’amour qui se trouvait devant vous. Vous avez perdu cet amour. Comme tant de personnes à travers le monde. Seulement vous, vous l’avez perdu parce que vous êtes resté aveugle. Personne n’est venu vous retirer cet amour. Vous l’avez éloigné de vous-même. Pauvre de vous…


IceBlade s’en alla, laissant l’homme hagard qui tentait de comprendre ce qui lui arrivait. Peu importe ce qu’il ferait, rattraper sa femme ou se tirer une balle en pleine tête. Au mieux, il sauverait les meubles. Au pire, ce ne serait qu’une âme de plus du coté démoniaque.

La fraicheur de la nuit new-yorkaise assaillit IceBlade. Il remit son écharpe sur le bas de son visage, et retrouva le sentiment protecteur qui l’avait accompagné si longtemps. Les mains dans les poches, il s’enfonça dans les rues de Manhattan, fermant les yeux face au souffle de la nuit. De nouveau, les souvenirs ressurgirent, comme tapis dans un coin de son esprit et prêts à l’assaillir. Cette nuit, quand il l’avait revu. Cette nuit, où il avait senti son aura si spéciale. Cette nuit qu’il aimerait tant oublier…

Le Saxophoniste

Il égrène doucement les notes,
Dans cette atmosphère enfumée
Où des volutes grises flottent,
Sur son instrument cuivré.

Rires, bruits, chocs et paroles
Résonnent en ce lieu étrange.
Mais il continue à jouer son rôle :
Transporter l’esprit attentif jusque chez les anges.

Plus rien n’existe autour de lui.
Seul avec son instrument il rêve
Bercé par la plus douce des mélodies
Il a l’impression qu’il s’élève.

Rien ne peut plus l’atteindre.
Des bassesses de ce monde
Il n’a plus à craindre,
Car autour de lui les notes font une ronde.

Barrière mélodieuse et éternelle
Elle le protège à tout jamais.
Il a l’impression que lui poussent des ailes
Qui lui apporteront la paix.

Musicien,ombre sur scène,
Il continue d’égréner cette douce mélodie.
Qui allège sa peine,
La peine de toute une vie.

Musique salvatrice,
Grâce à elle il s’enfuit
Et rêve d’un monde sans vice
D’un monde sans nuit.

Il égrène doucement les notes,
Qui comme des carillons sonnent,
Ouvrant des rêves les portes.
Le musicien joue de son saxophone.

:)

Paris…

La nuit qui enveloppe l’être de son voile de douceur et de fraîcheur, une légère brise agitant les vêtements des passants, cette nuit, elle sourit ce soir.

Elle regarde cet homme assis sur le rebord du pont de bois, qui balance une jambe dans le vide, un sourire aux lèvres.

Il sourit lui aussi. Pourtant il n’est pas spécialement heureux… Mais il sourit tout de même. Alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire, lui, il sourit. Il a appris une mauvaise nouvelle aujourd’hui. Le genre de nouvelle qui vous déprime pour la journée, semaine voir plus…

Mais il sourit.

Il a pris une gentille claque dans la figure.

Mais il sourit.

C’est un sourire un peu triste, teinté d’une légère amertume et d’un peu de déception. Mais un sourire tout de même. D’habitude, il est plutôt du genre à se morfondre, à se complaire dans sa tristesse, à rester chez lui à ruminer ses sombres pensées.

Mais la tristesse, on s’y accoutume. Comme la clope, l’alcool ou n’importe quelle saloperie qui vous rend addictif. Et quand on commence à s’y habituer, c’est mal barré…

Alors avant de s’y habituer, il a décidé de changer. On ne se morfond plus. On ne pleure plus sur soi-même.

On lève la tête. On encaisse. On reste debout. On relève la tête, fièrement, et on avance. Pas à pas, doucement, mais on avance.

Il reste toujours cette petite blessure, là, dans la poitrine. Mais ce qui paraissait être une épée dans le cœur devient lentement une simple dague… puis une aiguille… Et un jour, ça disparaît.

C’est comme ça que ça marche. C’est comme ça que ça doit marcher.

Il ferme les yeux et laisse la brise nocturne lui caresser le visage, comme une main féminine qui tendrement lui caresserait la joue, amante nocturne toujours présente dans les coups durs…

Il inspire profondément et descend de son promontoire. Le bois du pont craque doucement tandis que l’homme, une rose à la main, s’enfonce dans la nuit en continuant sur le Pont des Arts.

Allons… Il n’existe pas réellement…
Tout cela n’était… qu’un rêve… rien qu’un rêve…

Tic... Tac ?

Pendule figée dans la nuit
Qu'est-il donc arrivé
Il y a si longtemps, à Minuit
Pour que le temps soit stoppé ?

Horloge immobile et sans bruit
Qui trône au dessus des voies
Oeil malin à jamais endormi
Qui scrute toujours nos pas

Pour Lazare, le temps a repris
Il s'est levé, a marché et a sourit
Pour l'horloge, gare Saint Lazare
Le temps s'est endormi, au hasard.


(Poème inspiré par cette grande horloge blanche aux aiguilles noires au dessus des grandes lignes, à la gare Saint Lazare, qui est bloquée à 00h20 (ou 12h20) depuis des mois...)