Fleur bleue

Fragrance d'une floraison filée

Lisse comme la soyeuse suavité

Enlaçant les sons sussurés
Une explosion de pétales empourprées
Rêve est leur riche robe de soirée

Bourgeon d'un gens sans gêne
Liaison lyrique d'un lettré sans haine
Entre troubadour et tentantes calembredaines
Une jongle et une joute, jamais on ne freine
Echappée d'une épopée, promenade sans rêne


Palindrome d'un drôle de sire
Où rêve nourrit le vers, sans rire,
Une ambivalence où le vers, sans ire
Rassasie le rêveur et l'empêche de fuir

Ambiance feutrée et enfumée
Mouvements de volutes éclairées
Entre crépuscule et aube partagée

Ralenti des mots retranscrits
En une langue sans gangue, jaillit
Versification, douce scansion à la métrie
Enjôleuse et câline, de romantisme pétrie
Unie de songes, de mots et de morceaux de vie
Sillage d'une pétale qui jamais ne se fâne la nuit
Essouflée ? Jamais la fleur bleue ne s'endormit...

Les yeux azurs (III)

Ils me gardèrent deux jours en observation. Par pure conscience professionnelle je suppose puisque je ne souffrais d’aucune blessure. Mon médecin continuait de s’extasier sur ma chance hors norme. Sophie s’arrangea pour que j’aie une télévision dans ma chambre, histoire de m’occuper entre les horaires de visite. Elle semblait avoir oublié que j’exècre la télévision mais je ne lui en tins pas rigueur étant donné que je voulais avoir des nouvelles sur cet ahurissant tremblement de terre qui avait secoué Paris… De mémoire d’homme, jamais la capitale française n’avait été touchée par un séisme…

Fort heureusement, son amplitude avait été relativement faible… Deux métros, dont le mien, avaient déraillé dans un tunnel, dénombrant 234 morts. Un immeuble du 19e arrondissement avait commencé à s’ouvrir en deux comme un pain qu’on a rompu et de nombreux bâtiments présentaient des fissures qu’il faudrait surveiller. Certains quartiers avaient été privés d’eau et d’électricité mais les autorités avaient réagi assez rapidement et prodigué des aides et des secours en attendant la remise en marche des différentes installations. Hormis quelques cicatrices et les morts et blessés du métro, la ville panserait ses blessures assez vite et serait bientôt comme neuve.

Les scientifiques se perdaient en hypothèses, conjectures, projections et autres hypothèses… En un siècle, la France n’avait été touchée que par une petite douzaine de tremblements de terre dont le plus meurtrier fit 46 morts.


Record battu cette semaine…

234 morts, 455 blessés. 1 miraculé.


A ma demande mon nom avait été tenu secret par les autorités pour éviter que la presse ne me harcèle ou que des illuminés décident que j’étais un élu de Dieu ou je ne sais quelle autre bondieuserie à la con… Cette histoire de miraculé me troublait, je ne voulais surtout pas que les gens pensent que j’étais autre chose qu’un type très, mais alors vraiment très, chanceux.


A ma sortie d’hôpital, Sophie me ramena chez moi en voiture. Je restais perdu dans mes pensées pendant tout le trajet, laissant mon organisme et mon esprit évacuer les drogues et calmants qu’on m’avait donné à la sortie de mon coma. Acte préventif, paraissait-il. Mon regard errait sur les bâtiments parisiens, sur toute cette fourmilière humaine. Je notais quelques fissures sur les immeubles, traces du séisme incompréhensible qui avait frappé la ville… Hormis ça, les gens menaient une vie normale. Ça me choquait, me froissait quelque part. J’avais survécu à un évènement pour le moins horrible et, même si je n’en gardais que des bribes de souvenirs très éparses, je me sentais déçu que le monde ne se mettent pas au diapason de mon humeur et de ma vie.

Oui, c’était totalement idiot comme réflexion. Mais j’étais dans mon droit, j’étais un miraculé. Nous avons des prérogatives en tant que miraculés. Râler face au monde en est une. Ça ne sert strictement à rien mais ça soulage un peu.


- Ça va Johan ? me demanda Sophie.
- Hmmm… Oui, ça va, ne t’inquiète pas… je réfléchis, c’est tout.
- Tu penses à quoi ?
- J’essaye de me rappeler ce qui s’est passé dans le métro. Je n’ai que des souvenirs fragmentés tu sais… Des bruits, des cris. Des morceaux d’image. J’ai l’impression de regarder à travers un miroir brisé.
- Tu devrais éviter d’y repenser. Pour l’instant tout du moins… Pense à autre chose. Concentre-toi sur autre chose.
- Je ne peux pas…

Cette évidence, énoncée à voix haute, prenait toute son ampleur. Je ne pouvais pas arrêter de penser à l’accident. Il y avait quelque chose, un fragment du miroir qui échappait complètement à mon regard. Comme beaucoup d’autre fragments en fait, mais je ne savais pas pourquoi, ce fragment précis me turlupinait.

- Ne force pas trop Johan… Repose toi… Tu as beau ne pas avoir eu une seule égratignure, ça ne veut pas dire que tu es sorti indemne de tout ça.
- Comment ça se fait à ton avis ?
- De quoi ?

- Que je ne n’ai pas une égratignure…
- De la chance… beaucoup de chance…
- Tu crois qu’il n’y a que ça ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Je ne le sais pas moi-même… mais… une centaine de morts dans le même métro que moi… et je n’ai absolument rien… Même après des heures et des heures sous les décombres. J’ai beau être une quiche en maths, en terme de probabilités, tu avoueras qu’on est quand même vachement bas pour qu’une seule personne ressorte indemne avec des paramètres comme ceux là !
- Je ne sais pas quoi te dire… Peut-être qu’une chance sur un million… ben ça reste une chance. Si elle existe cette minuscule chance, c’est peut-être aussi pour qu’un jour, quelqu’un tombe dessus…

Pour seule réponse, je me contentais de continuer à laisser errer mon regard sur la ville. Un peu plus en avant, une affiche publicitaire me sauta aux yeux.


Rubéole, Rougeole, Oreillons : Réagissez !


Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé… Une lueur m’a vrillé le crâne de part en part. Avec un cri de douleur, j’ai fermé les yeux aussi fort que j’ai pu, comme si je pouvais me soustraire à la lumière aveuglante. Mais c’était peine perdue. J’avais beau serrer mes yeux aussi fort que je pouvais, j’étais toujours ébloui par cette lumière blanche.

Et moi qui pensais qu’on voyait ça quand on était sur le point de mourir… Une réflexion idiote me vint à l’esprit tandis que je combattais la douleur : la mort avait loupé son coche et était de retour, en retard, pour chopper le petit malin qui avait cru pouvoir passer entre les mailles du filet.
Quelque chose apparue au travers de la lumière, comme une ombre chinoise qui se découpait dans le halo. Quelque chose s’empara alors de mon cœur et de mon âme, une étrange sensation l’enveloppa. Et aussitôt, la douleur et la lueur disparurent en un claquement de doigts et je rebasculai manu militari dans la réalité.

Je restai haletant, les mains serrées sur le tableau de bord. De longues coulées de sueur froide me descendaient le long de la colonne vertébrale et mon visage était luisant de transpiration. Retrouvant pied petit à petit dans la réalité, je me rendis compte que la voiture était arrêtée sur le bas-côté et que Sophie hurlait tout ce qu’elle pouvait en me demandant si j’allais bien. Au moment où, devant mon absence de réponse, elle disait en redémarrant la voiture « Je te ramène à l’hôpital », je pus enfin ouvrir la bouche.

- Un… papier.
- Quoi ?
- Donne moi un papier. Et un crayon.

Je tentais de ralentir les battements de mon cœur et de calmer ma respiration tandis que Sophie ouvrait la boite à gants et me tendait un calepin et un stylo. Sans un mot je lui pris des mains et commençait à écrire, ou plutôt à dessiner, ce que j’avais vu ou cru voir… Cela ne me prit pas longtemps, ce n’était qu’une seule et unique lettre. Je retournai le calepin vers Sophie et lui montrait :




- Et bien quoi ? Tu hurles en te tenant la tête pendant trente secondes et ensuite tu me dessines un joli R gothique ? C’est supposé calmer mes nerfs ?
- Non Sophie… C’est ce que j’ai vu…
- Où ça ?
- Je ne sais pas… C’est… tu vas trouver ça idiot… mais j’ai eu un souvenir de cette lettre…

En le disant, je confirmais mes pensées. Je n’avais pas vu cette lettre… je m’en étais souvenu ! Et là était le point important… Je ne savais pas ce qu’elle signifiait ni même où j’avais bien pu la voir. Mais je la connaissais ! Et à regarder cette lettre, gribouillée sur un bout de papier, je ne pouvais retenir une étrange bouffée qui explosait en moi… Une sorte d’excitation que je ne pouvais pas définir… envie, bonheur, espoir ? Je sentais juste que cela me faisait plaisir de voir cette lettre sans que je parvienne à l’expliquer. Je déchirai soigneusement la feuille du calepin et la pliai tout aussi délicatement pour la ranger dans mon portefeuille.

Nous étions toujours arrêtés sur le bas-côté, je soupirai donc et dit :


- Allez Sandra, rentrons à la maison…
- Sophie.
- Quoi ?

Je tournai la tête pour la regarder droit dans les yeux, ces yeux noisettes qui étaient emplis à cet instant d’une lave en fusion qui menaçait de me carboniser sur place façon Pompéi.


- Mon prénom. C’est Sophie.
- Je sais bien !
- Alors pourquoi m’as-tu appelé Sandra ?

J’ouvrais la bouche pour répondre lorsque je me rendis compte qu’elle disait vrai. Je l’avais appelé Sandra, sans même me poser la question. C’était venu naturellement.

- Je… Je suis désolé…
- Qui est Sandra ?
- J’en sais rien Sophie…
- Ah oui ? Tu te trompes de prénom en parlant à ta petite amie et tu ne sais pas d’où peut venir ce mélange ? Tu te fous de moi ?
- Nom de Dieu Sophie, je sors d’un accident horrible, je me suis planté sur mon propre prénom, tu étais là non ?, à mon réveil. Tu as conscience de ça ? J’ai dit au docteur que je m’appelais Benjamin putain ! Et tu me fais une crise de jalousie parce que je t’ai appelé Sandra ? Mais je sais pas d’où vient ce foutu prénom ! Je ne connais pas de Sandra ! Maintenant que tu me croies ou pas, est-ce que tu veux bien démarrer cette foutue bagnole et me déposer chez moi que je puisse me reposer ?

Je ne comprenais pas… Je m’énervais contre Sophie alors que ce n’était pas dans mes habitudes. Je n’ai jamais été du genre à pousser des gueulantes comme ça. Je suis plutôt du genre conciliant à arrondir les angles. Mais là… Le ton était monté en deux syllabes dans la voiture, à tel point que Sophie baissa la tête, le visage cramoisi, et s’excusa.

- Tu as raison, je n’aurais pas du réagir comme ça… Tu viens de vivre quelque chose de très violent, je suis désolée… C’était complètement idiot.

Je soupirais. Je posais ma main sur son épaule et la caressait doucement.

- Je n’aurais pas du m’énerver comme ça moi non plus… Je suis claqué, mieux vaut rentrer…

Elle se pencha vers moi et m’embrassa.

- J’te ramène et j’te borde…
- Ça ne me dérange pas, du moment que tu es sous la couette aussi…

Et dans un rire, elle démarra la voiture et prit le chemin de la maison. Je me forçai à sourire pour la rassurer. Mais ce que je ne lui disais pas, c’est que ce prénom, Sandra, me faisait réagir comme la lettre gothique. Mais là où je ressentais une sorte d’excitation de gamin face à la lettre… je trouvais quelque chose de différent face à ce prénom. Il n’était rattaché pour moi à personne, à aucun visage, à aucune amie ni à aucune parente. Ce n’était qu’un prénom, un simple prénom sans lien.

Alors pourquoi à chaque fois que je roulais mentalement ce prénom sur mes lèvres, mon cœur se mettait à battre la chamade comme ça ?

Coeur ou vers

Jolis et subtiles carillons nocturnes qu'il aperçoit

Enveloppés de nuit, caressés du bout des doigts


Regard de glace, âme de feu

Ennivrés d'étoiles cachées des cieux

Virevoltantes, volages et mutines

Enrubannées d'illusions calines


Ah ! Soupir dans les bras de Nyx, mon amie


Lueur d'une comète dans sa robe fusant
Attendrie, calme mais fuyant...


D'où vient ce coeur de songes
Où avec délectation je plonge ?
Une illusion qui m'a piégé
Cercle lacté emprisonnant les pensées
Enlaçant en silence dans la nuit
Un rêveur qui s'endort sans bruit
Ruade ? Révolte ? Rebellion ?


D'un battement de cil, il les oublie.

Un battement de coeur, et c'est fini.
Niant d'un souffle rêves et illusions de minuit

Bonsoir Nyx, prends moi dans tes bras
Amène moi auprès de ton fils, je suis las
Ire sans fureur d'une âme qui se désabuse
Sans honte, je quitte toutes ces ruses
Espoir, lueur, espoir, pointe, espoir, lame
Recourbée qui pénètre mon être, mon âme

Vision fugace, éphémère sensation
Oublions la je te prie, sans oraison
Laissons la reposer, cette tendre chimère
Eternellement prisonnière de ces vers

La ligne de métro

On dit que l'artiste est celui dont le regard s'arrête là où celui des autres ne fait que passer...
Combien de fois sommes-nous passés devant ces affiches dans nos rames de métro, combien de milliers, de millions de fois les avons-nous lues pour trouver notre chemin ?

Et si, le temps d'un trajet, nous nous mettions à nous amuser avec les stations de métro ? Le chemin n'en serait-il pas moins gris ?

Voici ma ligne de métro à moi qui, si elle est réduite et parsemée de jeux de mots honteux ou de références obscures, aura au moins eu le mérite de me divertir le temps d'un trajet. Et rien que pour cela, je l'en remercie.



Citation du soir (II)

Si on ne peut avoir la réalité, le rêve vaut tout autant.

Ray Bradbury

L'ouroboros du soir

Atelier d'écriture

Contraintes : Utiliser les deux combinaisons (construites au hasard) "mot-phrase" suivantes pour inspiration :

- Soir. Dans la boîte à gants mon ange.
- Ouroboros. Quelques heures plus tard, à 75km de là.
Durée : 25 minutes.

***

Il aurait fallu que ce soit un soir de brume, aux longues et denses volutes blanchâtres telles qu'on en trouve dans la lande anglaise lorsque le frog abat sa chape. Mais Sophie n'avait droit qu'à une claire nuit d'été où la lune projetait de pâles rayons sur la route.

Un hangar d'où provenaient des notes assourdies la rassura : elle était sur la bonne route. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre : 3h00 du matin. Son zozo ne devrait plus être loin.

Une tâche claire au loin confirma ses espoirs. Un homme marchait sur le bord de la route, chemise blanche, pantalon à pinces et chaussures de ville. Il avait l'air d'avoir tout juste dix-huit ans. Le clubber rentrait de boîte... Comme prévu.

La voiture s'arrêta dans un léger crissement de freins :


- Besoin d'un taxi beau gosse ?

Surpris, il se baissa à la fenêtre et la regarda. Ou plutôt, il regarda son décolleté.

Poisson ferré, pensa-t-elle.

- Ouais... Ouais, ça serait cool !
- Allez, grimpe !

Une fois la portière fermée, elle redémarra la voiture. Elle le voyait du coin de l'oeil lorgner sur ses jambes et sa mini-jupe.

- Alors ? On rentre de boîte ? Lui demanda-t-elle.
- Ouais, petite soirée entre potes...
- On dirait que ça n'a pas choppé des masses ce soir, dit-elle avec un sourire en coin.

Il rit, d'un rire idiot qui la fait grincer des dents.

- Ben ouais, dur de chopper sans caisse pour ramener la nana !
- T'as pas de caisse ?
- Plus maintenant... Ma vieille veut plus que je prenne la voiture...
- Oh, toi t'as cartonné la voiture de maman !
- Ouais, l'an dernier.
- Pas trop grave ?

Il rit de nouveau, toujours de ce même rire gras et insupportable.

- Bof, j'avais un peu bu... Me rappelle plus trop... J'ai rien eu, c'est l'essentiel.

Elle rit à son tour... Mais si le jeune homme avait été moins attiré par les formes féminines de Sophie, peut-être aurait-il noté la différence de registre.

- Tu me plais Anthony... Tu me plais vraiment beaucoup...
- J'dois avouer que t'es pas mal non plus...
- Regarde dans la boîte à gants mon ange...
- Okay...

Il se pencha en avait, séduit par la voix pleine de promesses voilées, posa la main sur le loquet et l'ouvrit. Il plongea la main dedans tout en disant :

- Mais au fait... J't'avais donné mon prénom ? J'me souviens p...

La fin de sa phrase mourut sur ses lèvres tandis qu'il sortait une photo de la boite à gants. Dessus, une petite fille souriait de toutes ses dents. Ou presque. Elle en avait perdu une, gracieusement offerte à la petite souris la semaine précédente.

- C'est quoi ça ?

Sa voix a perdu toute son assurance graveleuse.

- Ça ? C'est une petite fille...
- J'le vois bien ça ! Qu'est ce qu'elle fout là cette photo ?
- Tu la reconnais ? C'est Emilie. Elle avait huit ans quand un petit con de dix-sept ans, ivre en plein après-midi, l'a renversée et a pris la fuite en la laissant crever au bord de la route... Mais comme il était mineur, il s'en est tiré avec un coup de règle sur les doigts. Ça te rappelle quelque chose Anthony ?

- Qui t'es ?! Qu'est ce que tu veux ?

La panique, elle arrivait, envahissait sa voix, étranglait ses cordes vocales comme un serpent. Sophie glissa la main gauche dans le vide poche de sa portière tout en freinant et en arrêtant la voiture et pointa un revolver sur le jeune homme :

- Juste rééquilibrer la balance Anthony... Oeil pour oeil...

Deux coups de feu, deux éclairs lumineux dans la nuit. Deux fleurs rouges s'épanouissant sur la poitrine.

- Dent pour dent...

Elle ouvrit la portière et fit rouler le cadavre hors de la voiture, l'abandonnant au milieu de nul part. Un coup d'oeil à sa montre : 3h15. Elle avait encore le temps...



Quelques heures plus tard, à soixante-quinze kilomètres de là, une voiture s'arrête sur une route déserte à coté d'un homme passablement éméché :

- Besoin d'un taxi beau gosse ?

Citation du soir

"How happy is the blameless Vestal's lot!
The world forgetting, by the world forgot.
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray'r accepted, and each wish resign'd..."

Alexander Pope

Les yeux azurs (II)

Tout était entièrement blanc. La lumière était vive, artificielle et me faisait mal aux yeux. Je plissais les yeux le temps de m'habituer à la lumière.

- Appelez le docteur, il se réveille...

Je tournais la tête en direction de la voix et découvrais le décor autour de moi. Une chambre d'hôpital. La femme qui venait de parler était une infirmière. Elle me sourit et me dit :

- Ne vous inquiétez pas, le médecin arrive...

J'étais si fatigué que je n'avais pas la force de répondre. Je repris ma contemplation du plafond en soupirant. Les souvenirs de l'accident me revenaient petit à petit en mémoire. Les cris, le bruit, la peur... Je tentais de les tenir écartés de moi, je commençais à entendre de nouveau tout ce qui s'était passé un peu plus tôt.


Le docteur vint à ma rescousse et me permit de me concentrer sur autre chose. Il entra dans la chambre, suivit d'une jeune femme ravissante si ce n'est les cernes qu'elle avait sous les yeux.

- Sophie ! dis-je, soulagé de voir un visage connu.

Le docteur ne lui laissa pas le temps de parler :

- Comment vous sentez-vous ? Savez-vous où vous êtes ?

Il tint mes paupières ouvertes le temps d'y jeter un coup de lampe torche.

- A l'hôpital je suppose...
- Pouvez-vous me dire votre prénom ?
- Benjamin...

Le médecin se redressa, surpris. Je le vis regarder Sophie du coin de l'oeil. Je me rendis alors compte que je n'avais pas donné le bon prénom.

- Désolé, je voulais dire Johan... Je ne sais pas pourquoi j'ai dit Benjamin...
- Ce n'est rien, après ce qui vous est arrivé une légère confusion est toute à fait compréhensible et normale...
- Qu'est ce qui s'est passé ?

Sophie s'assit sur le bord du lit. Je cherchais sa main et la serrai, heureux de retrouver ma petite amie.

- Un accident de métro c'est ça ? Les wagons ont déraillé ?
- Oui Johan, répondit-elle. Mais ce n'était pas un accident... Il y a eu un tremblement de terre... Ton métro a déraillé...
- Un tremblement de terre ? A Paris ?
- Oui...
- Merde...
- Vous avez très chanceux jeune homme... Très très chanceux...

Il y avait quelque chose d'étrange dans sa voix... et dans son regard posé sur moi.

- Il y a eu beaucoup de blessés ?

Je vis le médecin regarder Sophie sans répondre. Elle serra ma main plus fort.

- Johan... Tu es le seul survivant...
- ... Merde...

Je reposais ma tête contre l'oreiller... Le seul survivant sur la centaine de personnes présentes dans le métro ?

- Les secours ont mis plusieurs heures à atteindre les décombres, une partie du tunnel s'est effondré sur la carcasse du métro. Ils ont mis plus de dix heures à accéder à la rame et à t'en extraire. Tu es resté inconscient depuis.
- Combien de temps ?
- Sept jours...
- Merde...

A croire que ma vie allait se résumer à un enchainement de « merde » pour les prochaines heures. J'avais l'impression de ne pouvoir dire que ça...

- Tu as vraiment eu de la chance mon chéri...
- Je ne sais pas si on peut parler de chance ou de miracle divin l'interrompit le médecin.
- Comment ça ?

Il poussa un long soupir.

- Jeune homme, vous avez été pris dans une catastrophe de grande ampleur, vous êtes restés de très longues heures inconscient parmi les décombres, tous les autres passagers sont décédés... Mais vous...

Je n'aimais vraiment pas le ton de sa voix.

- Moi quoi ?

Il y avait plus de hargne dans mes propos que je ne l'aurais voulu mais quelque chose chez ce médecin me tapait sur le système.

- Regardez-vous jeune homme...

Je baissai les yeux sur mon corps alité. Mes bras semblaient aller bien, je soulevai la couverture. Rien aux jambes ni au ventre...

- J'ai l'air d'aller bien, non ?
- Justement... Vous avez survécu à un horrible accident... Et vous n'avez pas une égratignure.

Je réalisai alors qu'il disait vrai. Je n'avais pas un bleu, pas une fracture, pas même une éraflure...

- Pas une seule, rajouta le médecin, visiblement dépité.

- Merde...





à suivre...

Les promeneurs

Prenez ma main, n'ayez pas peur... Je vous emmène pour une promenade dans Paris. Oubliez les monuments, effacez de votre mémoire les clichés parisiens qui l'encombrent. Faites moi confiance et laissez vous emporter.

Prenons cette petite ruelle pavée, là, en face de nous. Il fait nuit, mais la lumière des lampions dispensent une lueur mordorée qui tombent sur la vieille pierre comme une étoffe de soie, s'évanouissant, épousant, se languissant sur notre chemin. Caressez la en passant, allez-y... Elle est douce n'est-ce pas ? Vous ne sentez pas ? Faites un effort... Ne regardez pas avec vos yeux, ne touchez pas avec vos doigts...

Allons, fermez les yeux, laissez votre main voler dans les airs, comme quand vous sortiez votre bras de la voiture sur l'autoroute quand vous étiez gamin. Maintenant, regardez, sentez. Non, gardez les yeux fermés. Voilà... Vous sentez la douceur de la lumière, vous voyez ces courbes rouges et orangées se coucher sur les pavés ?

Vous commencez à comprendre...

Continuons notre chemin, tenez bien ma main. Tenez, allons voir cette petite place, là bas... Oui, je sais, vous ne la connaissiez pas. Elle est bien cachée. C'est justement ce qui fait sa valeur, son secret... Soyons discrets et respectons les larmes de la dame... Oui, des larmes... D'où croyez-vous que vient toute cette eau ? La dame pleure... Ce qu'elle pleure ? Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir. Peut-être un amant perdu à la guerre... Ou bien un enfant parti loin d'elle... Ou tout simplement sa propre vie ? Il est bien plus agréable d'imaginer que de savoir vous savez...

Mais ne nous attardons pas trop ce soir, j'ai bien d'autres choses à vous montrer... Il va falloir nous dépêcher, retenez bien ce que je vous montre ce soir...

Hop hop, nous voilà au-dessus des quais... Sous les ponts, coule la Seine... Et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne ? Haha, pardonnez cette digression, je suis d'humeur poétique ce soir... Ah, d'ailleurs, regardez cette femme là, assise à califourchon sur le muret, qui sussure des mots à l'oreille de ce jeune homme avec un cahier... C'est Poésie, une habituée de la ville... Vous n'arriverez peut-être pas à comprendre tout ce qu'elle vous dit si vous lui parlez, mais c'est normal, c'est dans sa nature...

Et si nous descendions sur les quais ? Allez, prenons cette escalier... Prenez garde, il est glissant, la pierre n'est plus toute jeune... Traitons la avec respect. Une légère caresse sur la rampe de pierre pour la remercier d'être là. Vous sentez la rugosité ? Ce sont les rides de l'âge...

Ah, arrêtez-vous... Vous voyez ces deux personnes là-bas, non loin du couple qui se disputent ? Hein ? Non il n'y a pas qu'une femme, regardez dans l'arbre... Vous voyez l'homme ? Et bien ce sont Rêve et Réalité... Ils ne veulent pas l'admettre mais ils sont plus proches qu'ils ne le laissent paraître... N'allez pas leur dire que j'ai dis ça hein, ils le prendraient mal... Ils sont un peu caractériels...

Ne lâchez pas ma main, continuons de marcher un peu... Profitons un peu de l'air qu'apporte la Seine, les nuits sont chaudes en cette saison... Allez, petit saut de puce, remontons sur les boulevards... Et si nous allions vers la Rue de Rivoli ? Oh ? Mais nous y voilà déjà... Et oui, il y a quelques avantages à se promener en ma compagnie...

Ecoutez donc l'écho de nos pas sur les carreaux qui résonne dans les arcades... C'est envoûtant non ? On dirait une sérénade... Ou un métronome... Clac, clac, clac... C'est lancinant, c'est hypnotisant... Ah, regardez ce couple devant nous... Premier rendez-vous je parie... Ça se voit à la manière dont il la tient par la taille, un peu gauchement, attiré par cette proximité mais effrayé à l'idée de la déranger. Notez qu'elle n'a pas l'air de s'en plaindre. Vous voyez l'homme qui les précède et qui tourne des boutons sur les colonnes de pierre ? C'est Romantisme... Regardez comme les lumières se tamisent au-dessus du couple, à chaque fois qu'il règle un variateur. C'est son boulot ici, favorisez ces petits moments qui peuvent aboutir à ce premier baiser... Ah, la douceur du premier baiser, le frisson qui vous fait trembler lorsque votre visage se rapproche, votre respiration qui se ralentit involontairement, qui se bloque parfois. Qu'il serait bon de cristalliser cet éphémère instant de la demi-seconde avant le baiser, quand les lèvres ne sont qu'à quelques millimètres l'une de l'autre... On a hésité, on s'est lancés, on se rend compte de la réciprocité... On attend, on savoure, on vibre, on anticipe la douceur de ce premier baiser... Mais non, il ne faut pas le cristalliser... C'est ce qu'il la rend si belle cette demi-seconde, c'est cet instant évanescent qui nait et mue en un instant et qui devient le baiser...

Et si vous regardez bien, à ce moment là, vous apercevrez une ombre, cachée dans un recoin. Vous ne verrez que rarement son visage, et quand bien même, vous seriez incapable de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme... Il ou elle est timide et se cache souvent... Tout le monde cherche Amour, quelques-uns trouvent Amour... Amour est timide et ne fait son office que discrètement, pas à pas... Parfois cependant, il ou elle agit un peu plus violemment... Je crois que vous appelez ça le coup de foudre... Encore une idée de Poésie ça, « coup de foudre »... Pourquoi pas « vague de typhon » ou « éboulement de séisme », hein ? J'vous le demande... Bref...

Ah... Regardez dans le parc là bas... Vous voyez le jeune homme assis sur un banc, seul, occupé à écrire sans relâche dans son cahier ? Hein ? Ah non, ce n'est pas l'un des nôtres... Regardez son visage, ses cheveux courts, son cuir usé... Vous le reconnaissez ? Attendez, le voilà qui lève la tête et regarde vers nous...

Vous comprenez maintenant ?
Qui je suis ?

Hahaha... Mais jeune homme, je pensais que vous l'auriez compris... Une femme qui vous emmène dans les coeurs de Paris, vous fait découvrir les secrets de la ville... Vous ne voyez pas ? Aaaah, je sens une lueur de compréhension dans votre regard... Oui, c'est bien ça... Je suis Inspiration... Allez donc vous retrouver sur ce banc, il est temps de vous réunir avec vous même, les balades comme ce soir doivent se savourer... Et n'oubliez pas : Paris n'a qu'une âme, mais la dame a de nombreux coeurs... Ce sont eux qui font battre son sang, ce sont eux qui enchantent sans qu'ils s'en rendent compte ceux qui savent tendre l'oreille...

Allez... Bonne nuit jeune homme... A bientôt peut-être...



Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire

Pot-pourri

- Tu veux pas descendre de cet arbre un peu ?

- Pourquoi ? Chuis bien là haut...
- Oui mais les gens te regardent bizarrement.
- Ben voyons... On est sur les quais, un samedi soir... Les gens pique-niquent dans tous les sens... Tu penses vraiment que quelqu'un a quoi que ce soit à faire d'un type assis sur une branche dans un arbre ? A fortiori dans Paris...
- Ouais mais quand même !
- Je note l'argumentation en béton armé... Arrête d'être si terre à terre...
- C'est un peu dans ma nature, tu le sais bien.
- Ta nature est chiante à mourir ma bonne amie...
- Et la tienne est exaspérante, mon bon ami.
- Pas du tout ! Je mets un peu de piment dans ce monde triste et gris...
- Tu les berces d'illusions, c'est tout.
- Pfff... Regarde ce couple là bas, en train de discuter...
- Ceux qui se disputent ? Celui où la femme a un bouquet de roses à la main ?
- Ouais... Qu'est ce qu'elle lui dit à ton avis ?
- Ils parlent de leurs problèmes de couple... Apparemment mademoiselle est une je-m'en-foutiste de la vie...
- J'aurais dis une épicurienne mais soit... Et lui ?
- Il est plus... pragmatique.
- J'aurais dit plus « chiant », mais ça n'engage que moi...
- Tu es de parti pris.
- Tout comme toi...
- A ton avis, qui a raison de ces deux là ?
- Tu sais aussi bien que moi qu'aucun n'a raison et qu'aucun n'a tort...
- Et si on inversait un peu les rôles ?
- Hmmm... pourquoi pas... tu commences.
- D'accord. Elle lui dit qu'elle a besoin de lui, qu'il est une ancre dans son monde de rêveries.
- * grognement *
- Quoi ? Tu n'es pas d'accord ?
- Tu rends les choses si ennuyeuses... Il lui répond qu'il aimerait bien partager ses rêves... S'inviter dans son monde...
- Peuh, mièvre... Elle lui demande ce qu'il serait prêt à faire par amour ?
- Il serait prêt à peindre de rose les murs gris de Paris...
- Et si elle le quittait ce soir ?
- Alors il se poignarderait avec les roses, pour mourir d'amour...
- Hmmm... Un point pour toi, pour la poésie.
- Oh, merci ! Et il lui demande à son tour ce qu'elle ferait s'ils se quittaient ce soir...
- Elle trouverait la réalité bien dure et regretterait d'avoir trop rêvé à leur histoire.
- Hmmm...
- Comme tu dis...
- On les laisse comme ça ?
- Qu'as-tu en tête ?
- Et si on équilibrait la balance ?
- Okay... je commence... Elle lui promet d'être un peu plus raisonnable, plus ancrée dans la réalité... Et lui ?
- Les mots auront moins d'impact que les actes...

Il la regarde du haut de son arbre, un sourire aux lèvres. Au loin sur les quais, un cri retentit :

- AVIS A LA POPULATION PARISIENNE ! J'AIME CETTE FEMME ! JE L'AIMAIS HIER, JE L'AIME AUJOURD'HUI ET JE L'AIMERAI DEMAIN !

Et l'homme de prendre la femme dans ses bras en la faisant tournoyer sous les rires et les quelques applaudissements des parisiens noctambules.


- On dirait qu'ils ne vont pas se séparer ce soir...
- On dirait bien...
- Allez, j'ai fini mon boulot alors... Je te laisse à ton arbre pour ce soir...

Elle commence à s'en aller, ses sandales claquant sur les pavés parisiens.

- Réalité ?

Elle s'arrête et se retourne vers l'homme perché dans son arbre :

- Oui ?
- On devrait mêler nos influences un peu plus souvent, tu ne crois pas?

Elle regarde le couple en train de s'embrasser et sourit en coin.

- J'en ai bien l'impression... On remettra ça alors ?
- Avec grand plaisir... Bonne soirée Réalité...
- Bonne nuit à toi Rêve. A très vite...

Life coin

Je demande la Lune, on m'offre le Soleil.
Je rêve aux étoiles, quelqu'un allume la lumière.
Je songe à la tendresse, je trouve l'érotisme.

J'ai soif, on me tend de la nourriture.

Je vagabonde, on me donne une boussole.

Je trouve l'amitié quand je cherche l'amour.


On m'offre un mouchoir quand je ris.
On éteint la lumière quand je veux lire.
On me parle de prose quand je songe en vers

On me tend un parapluie quand il fait beau.

On me donne des lunettes noires en plein jour.

Je trouve l'amour quand je cherche l'amitié.

Je suis le coté pile, perdu sur la face du monde.