Sweet dreams

Sous les soupirs d'une bougie

Les ombres s'étendent, s'enlacent

Caresses sombres sur peau claire

Douceur qui se glisse dans l'air

Les secondes lentement passent

Et dans les ténèbres, elle sourit.


Ombres qui cascadent dans la nuit,

Taquines, mutines, allongées et embrassées

Comme de ces vers les rimes balbutiantes

Elles se lovent dans l'obscurité brûlante

De soupirs et de sourires dorés

A la lueur d'une flamme, il sourit.

Le sourire d'un coeur

Douceur...

Sa peau est si douce. Il se frotte doucement contre elle, sentant sa joue râpeuse d'une barbe de trois jours crisser contre la soie. Elle rit, ça la chatouille.

Il sourit et se laisse emplir de ce rire innocent. Il se dit qu'il n'y a pas plus belle mélodie au monde que ce simple rire. Aucun compositeur au monde, aucun musicien aussi doué soit-il ne saurait recomposer les notes éthérées qui modulent cette délicate et simple chanson qu'est son rire.

Il se rend compte que son coeur lui aussi sourit. Il ignorait cette sensation. C'est comme une vague de chaleur qui l'enveloppe de l'intérieur. Il se laisse emmitoufler par cette sensation ô combien agréable. Ses yeux se ferment dans un soupir de satisfaction.

L'impression d'être entier, pour la première fois de sa vie. Si chacun a un but sur cette planète durant sa vie, il vient de découvrir qu'il a accompli le sien. Peut-on dire que toute notre vie n'avait pour objectif que d'atteindre cet instant de plénitude, de paix total ? Il le pense en tout cas.

Il bascule doucement en arrière, l'attirant contre sa poitrine. Sa petite main continue de lui caresser distraitement le visage. Il sent son souffle chaud dans son cou, calme, régulier, métronome du bonheur.

Une main dans le dos, il la serre tendrement tandis que de l'autre il lui caresse les cheveux. Ils sont couchés dans le canapé du salon et le soleil parisien les réchauffe tous les deux.

Les grains de sable du temps s'allongent aux aussi, glissant de plus en plus lentement, savourant la quiétude de l'instant. Il est heureux, mais il aurait malgré tout un voeu à faire, un seul et unique souhait : que le temps se fige. Qu'il puisse profiter à jamais de sa chaleur, de son sourire et de son rire.

La respiration dans son cou se fait plus régulière, elle s'endort. Suave sensation qu'il savoure à plein coeur.

Il ne pensait pas aimer un jour comme ça. Cela lui ferait presque peur. Mais il écarte cette ombre noir aussi vite qu'elle est apparue. C'est maintenant qu'il faut profiter du moment, alors il laisse son propre souffle ralentir, devenir régulier et calme... Et sous ses paupières fermées, il s'endort à son tour.


C'est dans un sursaut qu'il se réveille. La nuit est tombée et le bruit de la ville nocturne a remplacé les soupirs de celle qu'il tenait dans ses bras.

Elle a disparu. Il la cherche pendant des secondes qui ont du mal à se remettre en branle, encore suspendues dans le sablier.
Et c'est à la lumière de la lune qu'il réalise.


Il ferme les yeux et se les frotte avec le dos des mains. Il se lève et ouvre la fenêtre, laissant le vent froid de la nuit s'engouffrer dans la pièce. Il s'assoit sur le rebord de la fenêtre et s'allume une cigarette. Il contemple Paris la belle, à demi endormie elle aussi, et le souffle régulier de la vie qui bat dans ses artères.


Il y a un trou dans son coeur, ce coeur qui ne sourit plus mais se rappelle. Qui se rappelle de la sensation qui l'a étreint pendant une illusion trop courte.


Un rêve... Un simple et foutu rêve...


Rien qu'un rêve. Et pourtant... Il lui manque quelque chose, il a perdu quelque chose. Il est idiot. Comment peut-on perdre ce que l'on n'a jamais eu ?

Il n'empêche qu'elle lui manque. Et tandis qu'il pose sa tête contre la chambranle de bois de la fenêtre, il se souvient de son dernier mot, échappé comme un dernier souffle d'entre ses petites lèvres endormies.


Papa...

Regard d'un soir

Nos yeux se sont croisés, l'espace d'un souffle, le temps d'un rien...
Et la trotteuse de la pendule s'est stoppée dans son élan mécanique. La respiration s'arrête, le pas se fige et les secondes se suspendent dans l'air du moment.


Nous nous regardons. Et dans ce minuscule laps de temps, tout revient... C'est comme un roulement de tonnerre qui résonne dans l'horizon et qui vient me frapper sans que je m'y attende. Je résonne, je vibre, le fracas fait trembler mes os.


Je ne m'y attendais pas... Pourtant nous nous connaissons si bien. J'aurais dû m'y attendre, tu ne penses pas ?


Le temps se débloque, tout doucement, comme lorsqu'on se sépare d'une amante après l'amour. A regret, la trotteuse cliquète et entre dans une nouvelle seconde.


J'entends le bruit de mes bottes foulant le carrelage. Le bruit sec de la semelle fait echo à ce temps qui reprend ses droits dans un claquement de fouet.


Nos regards se croisent et je me souviens du passé. De ces dernières paroles, de ces mots si durs...


Tu n'as pas voulu comprendre... Tu as fermé les yeux, ta conscience et ton instinct devenant rempart de ce que je t'avais annoncé ce soir là.

Je me suis faché. Tu t'es énervée. Je suis parti.


J'ai compris ta réaction... Je l'ai accepté. Ce n'est pas simple à entendre... J'espère depuis ce jour que tu as pu comprendre. Et là, dans cette infime seconde où nos yeux s'observent tandis que nous nous croisons, je sens que tu réalises. Peut-être est-ce du à ma tenue, que tu vois pour la première fois. Rouge et noir... Un véritable clin d'oeil à Stendhal...


Tandis que nous nous frôlons, tes dernières paroles me reviennent en mémoire.


« Non, je ne suis pas fier de ce que tu es... Ç a me terrifie même... »


Tu as un sourire triste, tu baisses les yeux et tu continues ton chemin.
Je continue le mien, sans chercher à t'arrêter.

La trotteuse reprends ses droits et son chemin, elle aussi. Tous les trois, nous avançons.


Mes bottes résonnent sur le carrelage, en résonnance avec tes talons qui s'éloignent.


Tu m'as vu tel que je suis, tu as vu ce que je suis devenu. Je sais que tu as toujours peur, je sais que tu es toujours fachée.


Mais dans ce demi-sourire teintée de tristesse, je l'ai vu poindre. Un bourgeon, encore minuscule et timide mais qui est la promesse d'une floraison future...

Oui maman, je l'ai vu et je l'ai senti, ce début de fierté.
Ton fils est pompier. Et ça te terrifie.

Mais ce soir, me voyant en uniforme, tu as commencé à réaliser. Et la fierté de mère s'est éveillée pour accompagner cette peur qui te tenaille le soir.


Et ça, c'était la plus belle seconde de ma vie.



Icy
16/09/2007
A Christian et sa maman

Liberté

Ambiance musicale


Le soleil brille haut dans le ciel sans nuages. La chaleur est écrasante et une brise peine à sêcher la sueur sur ton visage.

Un froissement d'ailes au loin, un corbeau s'envole dans l'air suffocant avec un croassement moqueur pour toi et tes semblables. Tu l'ignores et tu regardes le paysage. Les champs à perte de vue sont comme des nuages sur terre, tombés du ciel limpide qui s'en serait débarassé comme on retire une pelisse de laine quand il fait trop chaud...

Quelque part, à droite ou à gauche, tu ne peux le deviner, un marmonnement s'élève. Râle, soupir ? Le marmonnement se module et tu reconnais bientôt une mélodie... Un autre marmonnement s'élève bientôt, suivi par plusieurs autres, dont le tien. Sans t'en rendre compte, tu entonnes la mélopée, les lèvres serrées mais le coeur ouvert, les dents serrés mais l'âme ouverte au vent d'été. Le soleil t'écrase, la vie t'écrase, mais tu t'envoles tout de même.

Une femme chantonne désormais...

C'est un vent de sonorités qui souffle sur les nuages blancs dans lesquels toi et tes frères vous trouvez... Il caresse vos rêves, les enlace et les protège. C'est un écrin de soie qui se file autour de vos pensées jumelles...

Tu hoches la tête au rythme de la mélodie, tu fermes les yeux face au soleil qui t'éblouit... Et tu te laisses aller à rêver...


S'envoler sur les notes, comme le corbeau au noir croassement, quitter les nuages de la terre pour partir à la recherche des nuages du ciel, cachés derrière cet écran bleu... Ne plus être enfermé sur cette terre de chaînes et de sang, de larmes et de sueur. Avoir un nom. Etre.


Mais un claquement de fouet te cingle le dos et te fait rouvrir les yeux. Tu baisses le regard sans croiser celui du blanc sur son cheval. La mélopée s'est tue, elle reprendra à son départ, comme toujours et pour toujours.

Tu es noir, comme le corbeau.
Mais tes ailes ont été rognées.
Tu es noir en Alabama. Nous sommes en 1845.

Tu ne t'envolera pas. Tu mourras dans les nuages blancs de la terre, dans les champs de coton.


Pas de liberté. Juste de l'espoir.



Icy - 07/2007

Dhanyavad Sangee

Rêves...

C'est l'histoire d'un petit garçon rêveur... Et comme tous les rêveurs, il était toujours en train de se promener dans son imagination. C'est grand une imagination, on peut même dire que ça n'a aucune limite. Comme un grand champ qui s'étend à perte de vue. Un champ au blé doré où les épis dansent à l'unisson sous une brise chaude et un soleil cajoleur. Et derrière chaque épi, un rêve, un monde, une aventure.


Il adorait se promener dans ce champ ce petit garçon. Il lui suffisait de fermer les yeux et il se retrouvait à courir à travers les épis, riant, vivant. Parfois, il n'avait même pas besoin de fermer les yeux, il lui suffisait de regarder le monde gris et de le décorer à sa manière. La vendeuse de glace sur la plage devenait une princesse sans royaume qu'il fallait secourir, le policier en train de verbaliser se paraît d'une armure et faisait des moulinets avec son épée-parcmètre et la vieille dame qui promenait son teckel se transformait en sorcière tenant un cerbère en laisse...
Et lui, ce petit garçon... Aaaah, lui, il devenait beaucoup de choses. Un héros qui secourait la veuve et l'orphelin, un ange qui pleurait sa famille ou encore un être différent des autres, en marge, mais qui avait une connaissance du monde autre que les gens normaux.


Il adorait rêver ce petit garçon, du soir au matin et de l'aube au crépuscule. Mais un jour, il a eu peur. C'est beaux les rêves, ce sont des étoiles dans des yeux de gosse. Mais ce n'est pas la réalité. Et à toujours se laisser emporter par la vague dorée de ses rêves, la peur l'a étreint. Ils étaient si doux ses rêves... Pourrait-il toujours en revenir ? Ne serait-ce pas trop tentant de fuir ce monde morne et triste pour courir à tout jamais parmi les caresses du blé ?


Alors il s'est assis, à cheval entre le trottoir et le champ doré, et il a réfléchit. Il devait choisir ! Le monde gris mais réel, ou bien le monde chatoyant mais imaginaire ? Dilemme... Aucune des deux solutions ne lui paraissait être la bonne. Choisir entre le noir ou le blanc n'est pas simple, surtout pour un petit garçon. Ce sont les grandes personnes qui prennent des décisions. Les petits garçons, ça n'a pas l'âge de s'occuper de ça.

Pourtant il savait qu'il devait en prendre une lui. C'est beaux les rêves, mais y vivre c'est dangereux. Le passage entre les deux mondes était comme un long corridor et il devenait de plus en plus difficile de laisser la porte ouverte entre les deux, pour pouvoir toujours revenir du monde imaginaire jusque dans le monde réel.


Alors il fallait grandir. Et choisir. Choisir, c'est être une grande personne. Et on ne peut pas toujours rester un petit garçon, n'est-ce pas ?


Mais alors, le petit garçon se posa une question : qui avait décidé ça ? Etait-ce un adulte qui avait décidé qu'un petit garçon ne pouvait pas le rester éternellement ? Etait-ce une grande personne qui avait décrété que le champ de blé et le monde réel ne pouvait pas coexister ?


Le petit garçon prit le temps de la réflexion. On ne réfléchit pas à des questions comme ça à la va-vite, non non ! Même un petit garçon sait ça ! Alors, toujours assis à cheval entre ses mondes, il regarda alternativement l'un et l'autre. Et il se dit que ce serait idiot de séparer les deux.


Il décida donc de se lever et demanda à un ange qui passait par là – dans le champ de blé évidemment, les anges n'apparaissent pas comme ça dans le monde réel, tout le monde sait ça – de lui prêter une plume. L'ange, gentiment, retira délicatement une plume de ses ailes et la tendit au petit garçon qui la prit avec un sourire de remerciement.


Et alors avec sa petite plume, il commença à dessiner ses rêves dans le monde réel. Il forma des mots qui explosait comme des bulles de savon en donnant vie à ses rêves. Et la première chose qu'il fit, et qu'il garda pour lui pendant longtemps, ce fut de faire disparaître la porte entre les deux mondes en la raturant et en dessinant entre les deux un escalator, pour passer encore plus vite de l'un à l'autre !


Le petit garçon avait décidé que ses rêves surgiraient dans le monde réel, non ! Que ses rêves seraient le monde réel ! Il suffisait de prendre soin de bien les écrire et ils prenaient vie. Oui, tout ça, c'était dans son imagination bien sûr, il le savait ! Mais son imagination, c'était le monde, il n'y avait plus aucune frontière entre les deux... C'était comme si son champ de blé, celui qui s'étendait à perte de vue, avait encore grandi un peu plus et s'était propagé dans le vrai monde gris, mélangeant ses couleurs à celles de tous les jours.



Et pour se souvenir de cette décision, le petit garçon entreprit de faire un dessin sur lui même, pour toujours se rappeller que les rêves, ça fait tourner le monde si on sait bien s'y prendre. Tout du moins son monde à lui, et le monde des quelques personnes qui se laissent emporter dans le flot de gerbes de blé.


Le petit garçon a bien grandi depuis. Mais il se souvient quand il se caresse la nuque, de sa promesse de toujours continuer à rêver. Un peu comme Peter Pan qui refuse de grandir, lui, il refuse de stopper ses rêves.




Yume : Le rêve

Vent nocturne


La pluie caracole de feuille en feuille, rebondit sur le bois humide et joue sur les arbres comme s'ils étaient les lamelles d'un carillon végétal. Les gouttes rebondissent, glissent, sonnent et chantent sur l'instrument vert.


Même de là où elle est, elle peut entendre la mélopée qui se joue sous ses pieds, loin en contrebas. Ici, entre les gargouilles, les jambes dans le vide, elle se balance doucement au rythme des notes aqueuses. Les visages des monstres de pierre qui l'encadrent l'ignore superbement, fixant contemplativement l'horizon parisien de leur regard pétrifié.


Elle est seule, elle a l'habitude... Elle et ses pensées, elle et ses idées noires...


Ses bottines de cuirs tapent contre la pierre froide sur laquelle elle est assise, écho aux gouttes de pluie qui frappent les feuilles. Elle est trempée, la pluie dégouline sur son visage. Pas de larmes, juste de la pluie. Rien que de la pluie. Sous elle s'étend le parvis de Notre-Dame, plusieurs dizaines de mètres en contre-bas. Il est tard, le parvis est vide. Il n'y a qu'elle. Elle et les silencieuses gargouilles. Elle pose les yeux sur le monstre qui est à sa droite et lui pose une main sur le haut du crâne, comme si elle caressait un gentil toutou. La pluie lui coule le long de l'échine, mais la gargouille ne s'en émeut pas, imperturbable.


- Vous devez être bien seuls ici, toi et tes potes...


La gargouille semble vouloir garder sa réponse pour elle et ne lâche pas un mot. Pas même un petit grognement, rien.

Elle soupire et repose son regard sur le vide qui la sépare du sol. Ce serait si simple. Une petite pichenette et finies les emmerdes. Les problèmes de coeur, de loyer, d'avenir... les problèmes de vie. Il suffirait d'une infime pichenette et elle glisserait le long de la pierre et s'envolerait. Peut-être qu'elle pourrait voler comme un oiseau, étendre les bras et laisse le vent l'emporter ? Loin, loin, loin de tout ça...


- Trop facile, non ?


Elle tourne la tête vivement, le coeur manquant un battement. Derrière elle, un homme la regarde, les yeux aussi fixes que les gargouilles. Il porte un imperméable de cuir noir sur lequel tombent de longs cheveux blancs. Il a les yeux clairs, si clairs qu'elle n'arrive à définir leur couleur. Elle fronce les sourcils face à l'intrus.


- De quoi ?

- Une petite pichenette... Ce serait trop facile, non ?


Il s'avance et d'un léger saut, grimpe sur le muret et s'assoit à coté d'elle. Elle regarde son profil, sa peau d'albatre qui, avec ses cheveux blancs, jurent sur le noir de sa tenue. Il regarde en bas et siffle.


- Sacrée hauteur... Crise cardiaque.
- Quoi crise cardiaque ?

- Vous feriez une crise cardiaque avant de toucher le sol... Avouez que ce serait idiot de sauter d'ici et de finalement mourir d'une crise cardiaque.
- Qu'est ce qui vous fait croire que je veux sauter ?


Il a alors un petit rire, un rire étrange, léger et fragile comme du verre. Cristallin, pense-t-elle, sans s'expliquer ce qu'elle entend par là.


- Vous voulez sauter mademoiselle... Les soucis de la vie je présume...
- Non, je...

- Un petit ami qui vous traite mal...
- Que...
- Un boulot de merde...
- Dis donc...
- Des factures et des crédits qui s'entassent...
- Vous me suivez ? Espèce de sale...
- T-t-t-t, pas de grossièretés. Non, je ne vous suis pas. Enfin, pas au sens où vous l'entendez.
- Alors comment vous savez tout ça ?
- De quoi donc ?
- Faites pas l'innocent... Ma vie, mes emmerdes... ça...


Elle tend la main vers le vide dans un geste explicite.


- Et puis... Vous avez parlé de « pichenette » ? Comment vous saviez que je pensais à ça ?

- Vous êtes plus maline que vous n'en avez l'air...
- Hey, m'insulte pas espèce de...
- Vous avez besoin d'aide, la coupe-t-il.


Elle referme la bouche dans un claquement sec et sonore et le regarde avec des yeux soupçonneux.


- Personne ne m'a jamais aidé... j'ai besoin de personne.

- Faux, faux, faux... vous avez besoin d'aide... Ne serait-ce que pour vous rappeller que tout n'est pas aussi noir que ce vous semblez croire.
- J'ai pas besoin d'aide ! Qu'est ce que vous venez foutre ici, à m'emmerder avec vos salades ?
- Je viens vous rafraichir la mémoire...
- J'ai pas besoin qu'on me la rafraichisse, j'me souviens très bien de toutes les saloperies que j'ai sur le dos !
- Ah ça, je n'en doute pas un seul instant...


Il contemple à son tour le vide, balançant ses jambes comme un gamin sur une chaise trop grande pour lui.


- Mais... voyez-vous... vous ne vous souvenez que des saloperies justement...

- Parce que j'ai que ça... C'est tout ce qui fait ma vie, vous pigez ? Saloperie sur saloperie, malchance sur malchance... Alors foutez-moi la paix avec vos conneries !
- Vous ne voulez pas d'aide alors ?
- NON ! Hurle-t-elle en se mettant debout sur le muret. J'ai pas besoin d'aide ! Personne n'est là pour m'aider, j'en ai pas besoin !


L'homme soupire et hausse les épaules :


- On n'aide pas les gens malgré eux...


Il se lève alors à son tour et d'un leger coup de la main, la pousse dans le vide.

Elle n'a pas le temps d'articuler un mot que le vide la happe déjà. Un hurlement commence à naitre dans sa gorge tandis qu'elle voit le muret et les gargouilles s'éloigner. Entre les deux monstres de pierre, il la regarde, goguenard, et dit contre le vent et la pluie :


- Alors ? Personne pour vous aider ? Personne dans votre vie hein ?


Et comme on le dit souvent dans ces cas là, sa vie se met à défiler devant ses yeux tandis qu'elle hurle et qu'elle se rapproche du mortel parvis. Des flashs d'images lui strient les yeux, prenant la place de cet homme moqueur qui la regarde mourir.


Une main tendue. La chaleur au creux de sa paume. Elle ouvre la main et n'y cueille que la pluie.
Un sourire. Sa mère. L'image disparaît et est remplacée par le sourire monstrueux des gargouilles.

Des bras qui l'enlacent, qui la serrent contre elle. Et puis c'est le vent qui s'empare d'elle.
Un goût de bonheur sur ces lèvres, un baiser oublié. Lui. Et c'est un hurlement qui caresse alors ses lèvres.
Des mots doux, des je t'aime, des appelle moi, des ne m'oublie pas, susurrés à l'oreille. Et elle l'entend, ce type, en train de hurler :


- ALORS ? Personne pour vous aider ? Vous en êtes certaine ? Jamais personne ? Vous n'avez pas besoin d'aide ?


Et elle comprends qu'elle va mourir, ici, comme une conne. Seule. Parce que ses bras étaient tordus au lieu d'être tendus. Elle comprends qu'elle va crever alors qu'il y a encore des gens pour elle. Qu'elle n'est pas seule. Elle comprends. Mais elle comprends trop tard. Elle hurle alors :


- J'ai besoin d'aide !


Elle voit alors avec stupeur l'homme se pencher en avant et se jeter dans le vide. La demi-seconde suivante, elle sent quelque chose qui la porte et qui la tire vers le haut. Elle n'a pas le temps de comprendre ce qui se passe qu'elle se retrouve en compagnie des gargouilles, en sûreté de l'autre coté du muret. Le coeur sur le point d'exploser, le visage envahi de larmes, elle regarde autour d'elle.


Mais personne. Elle est seule. Elle en vient même à se demande si elle ne vient pas de rêver. Mais ses jambes tremblantes et son coeur au bord de l'arrêt lui prouvent le contraire. La pluie s'est soudainement arrêté. Elle regarde les cieux et voit une plume blanche qui descend, doucement ballotée par le vent. Elle l'attrape en plein vol.


- Chaude...


Elle sent la chaleur qui irradie de la plume envahir sa main, tandis qu'en elle, des mots résonnent et font s'écouler de nouvelles larmes sur son visage.


Alors, allez les trouver. Ceux qui peuvent vous aider. Ceux qui font que vous n'êtes pas seule. Et n'oubliez pas : on n'aide pas les gens malgré eux.

Bien-être

Enveloppe veloutée d'un vent d'été

Douce sensation de sérénité

Qui étreint les rides de la vie

Et caresse les ires de mon lit.


Elle glisse, sensuelle, sur le satin

D'une peau peuplée de pluie

Elle s'étend sur le temps, s'évanouit

Dans la torpeur de la brume du matin.


Larme évaporée, ton sillon creusé

Cicatrice sur la soie enlacée

Est recouverte d'un voile délicat,

Chaud alors que soufflent les frimas.

"D"

D.licat à D.lier cet imbroglio de D.tails qui tentent de D.truire les sourires...
D.létères ces souvenirs qui D.clinent les ombres du D.dale...
D.jà le matin, à peine le soir passé, D.ride toi et D.joue
Ces D.mons d'hier qui t'empêchent de D.couvrir les anges de demain.

Le gamin de Paris


Il est tard. Le soleil a depuis longtemps tiré sa révérence quotidienne pour céder la scène à sa tendre comparse qui s'est empressé de glisser un voile d'obscurité sur Paris. Pour ceux qui connaissent la grande dame qu'est Paris, nul besoin du soleil pour retrouver son chemin. Mais Lisa n'est pas une habituée de Paris, et même avec la lumière artificielle des lampadaires elle a perdu son chemin.

Cela fait une bonne heure qu'elle tourne en rond dans les ruelles du centre de Paris, sans parvenir à retrouver son hôtel. Lisa est têtue et insiste : elle trouvera sa route. Elle ne sera ni une provinciale perdue dans Paris, ni une touriste égarée. Alors Lisa continue d'avancer, de tourner, de faire demi-tour et de tournevirer. Et elle s'enfonce de plus en plus dans Paris, sans parvenir à trouver la bonne direction.

Elle finit par arriver aux alentours de Chatelets, près de l'Eglise Sainte-Eustache.

Il est tard, si tard que la nuit a invité son amie la Lune pour lui tenir compagnie lors de sa veillée. Les deux comparses discutent tranquillement dans les cieux tandis que Lisa erre. Elle traverse le parvis, désert, sans âme qui vive avec pour seuls compagnons l'échos de ses pas lorsqu'une voix rompt le silence :


- Perdue m'dame ?


Lisa s'arrête et tourne la tête dans tous les sens pour trouver la voix fluette qui l'a interpellée. Mais elle ne voit personne, pas un brin de mouvement ou de vie.


- Ici ! Précise la voix fluette.


Sur le parvis, une immense tête et une main de pierre trônent. C'est du creux de cette main que jaillit une bouille d'enfant à demi-souriante.


- C'est rare de voir des gens dans le coin à cette heure-ci...
- Ah... euh... bonsoir... hésite Lisa.


Elle se sent un peu idiote face à cet enfant, perdue qu'elle est comme une gamine dans un centre commercial. Puis elle réalise qu'un enfant seul, en plein milieu de la nuit, ne devrait pas se trouver ici.


- Que fais-tu ici aussi tard ?

- Tard, tard... La nuit fait que commencer m'dame !


Il saute depuis la main et atterrit souplement, comme un chaton, près d'elle. Elle le regarde de haut en bas. Il semble tout droit sorti d'un autre siècle : casquette feutrée posée nonchalemment sur la tête, une petite chemise à manches courtes rentrée dans une sorte de short datant, au moins dans le style, de l'avant-guerre et tenu par une paire de bretelles. Il a un sourire canaille tandis qu'il la regarde lui aussi de haut en bas. Il doit avoir aux environs des dix ans, à peine plus.


- Z'êtes pas d'ici, hein ?

- Euh... non... en effet.
- Ça s'voit ! Perdue hein ?
- Ça aussi ça se voit ?
- Comme le tarin au milieu de la trogne !
- Je suis peut être perdue mais ça ne m'explique pas ce qu'un gamin comme toi fait ici à cette heure-ci.


Il part d'un rire franc et sincère. Lisa ne peut s'empêcher de sourire elle aussi. Le rire du gamin a quelque chose de communicatif, mais il a aussi quelque chose d'étrange, une impression en filigrane. Elle a beau chercher cependant, elle ne peut mettre le doigt dessus...


- Je ne suis pas un gamin comme les autres m'dame !

- Ah oui ? Voyez-vous ça...
- Ouais ! Chuis un gamin de Paris moi ! Un vrai de vrai !
- Et que fait un gamin de Paris, un vrai de vrai, dehors aussi tard ?


Le gosse la regarde, sans sourire, droit dans les yeux. Puis il penche la tête et regarde la Lune.


- J'pense qu'il rêve m'dame...


Lisa est décontenancée par cette réponse... Elle scrute attentivement l'ombre de tristesse qui vient de passer sur les yeux de l'enfant, une ombre si vieille, si agée, qu'elle ne devrait pas se glisser dans le regard d'un gamin de dix ans. Et pourtant elle est là, voile bien trop ancien pour la candeur de ce visage barbouillé. Lisa sent une boule se former dans sa gorge.


- Et à quoi rêve-t-il ce petit garçon ?


Sans détourner le regard de la Lune, l'enfant lui répond :


- Il rêve, il se souvient, il rêve qu'il se souvient... Ou bien il se souvient qu'il rêve...


Il secoue la tête et retrouve son sourire canaille.


- Vous alliez où m'dame ?

- A... A mon hôtel. Près de la rue Rambuteau, il est rue Saint Martin je crois... Je pense que je ne suis pas loin mais je... bon, je suis un peu perdue.
- Héhéhé ! Pas de problème, j'vais vous aider !


Il court vers elle et lui prends la main pour la tirer en avant.


- Allez, en avant ma grande !


Il l'emmène, la tire en riant et la rapproche de son but. En chemin, Lisa lui demande :


- Et quels sont les rêves, ou les souvenirs, d'un gamin de Paris ?

- Y'a de tout, répond il du tac au tac. Des rires, des larmes, du chapardages, des bagarres...
- Tu es un vrai p'tit démon dis moi...
- Et y'a aussi des coups de feu, continue-t-il comme s'il ne l'avait pas entendu, des soldats, des barricades et des morts. Des camarades. Des cartouchières trop tentantes. Puis du sang. Trop de sang.
- Petit... De quoi parles-tu ?
- Je vous l'ai dit, non ? Des rêves, des souvenirs, un peu des deux.
- Que...

Elle n'a pas le loisir de continuer sa question que le gamin s'arrête de courir et de la tirer.


- Et voilà m'dame. Prochaine rue à droite et vous serez à votre hôtel. Moi j'peux pas aller plus loin.

- Pourquoi ne peux-tu pas aller plus loin ? Et puis, où vas-tu aller ? Je préférerai te ramener chez tes parents...


Pour seul réponse, il lui lance un sourire canaille et pointe le doigt derrière elle. Lisa se retourne et voit un de ces petits panneaux noirs et rouges qui relatent l'Histoire de Paris en divers endroits de la capitale. Elle se retourne vers le gamin et dit :


- Et bien quoi ? Que veux-tu...


Mais sa question s'évanouit sur ses lèvres, puisqu'il n'y a plus personne pour y répondre, ni même pour l'entendre. Le petit gamin de Paris a disparu, comme un coup de vent, comme un clin d'oeil chapardeur.


- Petit ? appelle-t-elle.


Mais elle n'a pour réponse que le doux murmure d'un vent nocturne. Elle se retourne, regarde autour d'elle. Personne. Son regard s'arrête sur le pannonceau rouge et noir. Elle s'approche pour le lire :


« Ici se trouvait la Rue de la Chanverrerie ou, comme l'appellait Victor Hugo, la Rue de la Chanvrerie, qui a été absorbée par la Rue Rambuteau. C'est dans cette rue, probablemement à l'endroit où vous vous trouvez, qu'aurait été tué le petit Gavroche, héros du célèbre roman de Victor Hugo Les Misérables. Le petit gamin de Paris aurait trouvé la mort en tentant de ramasser des cartouchières pour ses camarades insurgés sur les Barricades en 1831. »


Lisa regarde le panneau sans plus le voir. Elle se souvient alors de ce qu'elle a entendu lorsqu'elle marchait sur le parvis de Saint-Eustache : l'écho de ses propres pas qui résonnait haut et fort. Mais lorsque le gamin a ri à gorge déployé, au même endroit, quelque chose l'avait dérangé.

Il n'y avait pas d'écho.


Elle se tourne vers l'obscurité de Paris. Et un murmure se glisse entre ses lèvres, honteux et incrédule, chuchoté et à peine avoué...


- Gavroche...


Joie est mon caractère,
C'est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C'est la faute à Rousseau.

Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à...


Persona non grata

Un personnage, qu'est-ce ?

Celui que l'on créé, que l'on façonne comme Dieu aurait créé l'homme. Et comme Dieu qui aurait créé l'Homme à son image, celui qui créé un personnage y met une partie de lui, plus ou moins importante.


Il y a aussi le personnage qu'on incarne, celui qui est joué par les acteurs, au cinéma comme au théâtre. C'est l'inverse qui se produit alors, on fait soi un être différent de nous. Pourtant, cette part de nous-même va quelque peu déteindre sur le personnage, plus ou moins en profondeur selon le talent d'acteur...

Mais le personnage, lui, qu'est-il réellement ? Quelle est la part de lui qui va s'emparer de nous, que ce soit celui que l'on imagine ou celui qu'on incarne ? N'est-il qu'un simple masque, puisqu'il tire son nom des persona, masques que portaient les acteurs dans l'Antiquité ? N'est-il donc qu'un costume que l'on enfile le temps d'une représentation ?

Peut-être est-il bien plus que ça, un être qui échappe à son créateur tout comme l'Homme aurait échappé à Dieu. Qui contrôle le personnage ? L'acteur ? A quel point-il est maître de cette enveloppe non pas charnelle mais imaginaire qui le drape, jusqu'où un écrivain est-il maître de la destinée de ses personnages ? Ne serait-ce pas les personnages qui prendraient en main leur vie, leur histoire, leur aventure, et le narrateur ne serait-il pas qu'un témoin chargé de recueillir ses pérégrinations et d'en tenir les annales ? Ai-je donc la certitude que la vie du héros coule de ma plume et non que ma plume coule de la vie du héros ?


Et s'ils étaient libre, ces personnages, s'ils se rebellaient, pourrais-je les empêcher de s'en prendre à leur Dieu, cet auteur malhabile qui n'a qu'une maigre plume défraichie pour se défendre ? Oh, je doute, je crains... Je ne peux être certain de leur pouvoir. Il pourrait bien être plus grand que le mien. Et moi qui les ai maltraité, leur ai fait vivre mille malheurs, succomber à mille douleurw et verser mille larmes, que ferais-je s'il leur venait l'idée de se venger de ce tyran cruel qui dans une mégalomanie galopante croit avoir tout contrôle sur eux ?

Et si...
Et si l'Argan de Molière était un exemple de cette rebellion ? Ne dit-il pas, ce malade imagine, que si ce Molière qui se joue des medecins tombait un jour malade, il le « laisserai mourir sans recours ». Notre Jean-Baptiste a peut-être bel et bien été victime de cet habit d'Argan qu'il endossa lors de sa dernière représentation... Incarnant cet hypocondriaque, qui a prononcé ces tristes mots « Crève, crève, cela t'apprendra une autre fois à te jouer de la Faculté » ? Est-ce Molière, acteur ? Ou bien Argan, personnage, qui aurait parlé de sa propre voix ? Serait-ce alors pour cette dernière raison que le maître du théâtre disparut alors, quelques heures après cette réplique, mourant quasiment sur les planches lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire ?


Est-ce réellement la tuberculose qui a emporté Molière ? Ou est-ce là le fait d'un hypocondriaque qui, ulcéré qu'on se moque des médecins, mit fin aux jours de celui qui s'incarnait en lui pour mieux les ridiculiser ?

A toi personnage, es-tu coupable de ce déicide ?

Et si coupable tu es, que dois-je craindre de ceux à qui j'ai donné le paradis pour mieux leur faire goûter l'enfer ?