Inspiration

À écouter durant la lecture

Dans un roulis dansant, le métro glisse sur les rails sur un rythme qu'il semble être le seul à connaître. Dans les profondeurs du tunnel, la chanson de la rame résonne en écho le long des néons qui jaillissent, métronomes de l'obscurité.

Il regarde par la fenêtre, quelque peu hypnotisé, perdu dans un ailleurs. Autour de lui, le brouhaha s'éteint, les personnes se taisent, la grisaille s'amenuise. Ne reste que le souffle régulier de ces traits blancs qui se reflètent sur la fenêtre face à lui. Un demi-sourire aux lèvres, il écoute attentivement ces respirations dans les veines parisiennes. Petites, courtes, saccadées. Elles s'enchainent. Inspiration. Expiration. Scansion d'un vers sur le poème parisien. Courte. Longue. Courte. Longue. Une porte dans le tunnel. La césure. Courte. Longue. Courte. Longue.


De rimes en rimes, le métro s'élance sur le papier de ses rails, plume grattant avidement le papier pour y déposer sa rythmique. Et comme tout poème, il prend sa force lorsque l'enchevêtrement de pieds s'arrête.

Le métro jaillit hors du tunnel. Trait rageur sur la page blanche. La poésie s'arrête. Il regarde toujours à travers la vitre. Enfin à l'air libre, le métro expire dans un long souffle, à pleins poumons. De l'air ! Enfin ! Il se fait aérien, le temps de survoler la Seine, de caresser du regard les quais.

C'est là qu'il la voit, marchant doucement au bord du fleuve. Un pas régulier, une foulée paisible. Courte. Courte. Le métro s'arrête. Césure. Déjà ? Non.

Il descend de la rame, sans se presser. Il ne faut pas se précipiter. Il descend les escaliers. Peut-être sera-t-elle encore là. Ou bien sera-t-elle déjà partie, hors de vue, disparue alors qu'à peine caressée du regard. C'est pour cela qu'il va doucement. Si elle est encore là lorsqu'il tournera au coin et qu'il descendra les quelques marches de pierre jusque sur les quais, alors cela voudra dire qu'il faut continuer.

Et si elle est partie... Eh ! Il l'aura au moins entr'aperçue. Il faut savoir se contenter de ce que l'on a dans ce genre de cas. Ne jamais brusquer les choses.

Il tourne au coin. Tranquillement. Il descend les marches de pierre. Délicatement. Il lève le regard.

Elle est là. De dos, à s'éloigner. Il sourit. Et lui emboite le pas. Sans se presser, il la suit, la mesure de son pas rimant avec la sienne. Il entend ses talons frapper le pavé. Elle scande, alexandrin éphémère dans le soleil déclinant. Pas après pas, pied après pied, il écoute. Il apprend. Le monde autour d'elle s'adapte, adopte. Son rythme imprègne la brise. Deux pas, une rafale de vent. Court. Court. Long. Inspiration. Inspiration... Expiration.

Il la suit dans sa promenade dactylique et respire en même temps que le vent. Il ne pourrait la décrire. Il la ressent plus qu'il ne la voit. Il l'écoute plus qu'il ne la suit.

Sa main se lève et joue avec le vent qui glisse entre ses doigts. Chef d'orchestre d'une poésie d'un instant. Poétique du monde. Sa tête s'incline et se tourne légèrement. Il voit son profil mais ne discerne pas son visage.

Elle a toujours été ainsi. Fugace, indiscernable. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas suivi. Il réalise en la regardant que la mélopée de ses pas lui avaient manqué.

Il suit son regard, l'abandonne des yeux. Il se tourne vers les bâtiments hausmanniens qu'elle semble contempler par delà la Seine. Il sourit. Elle semble lui dire « Ne me regarde pas moi... Regarde les, eux. ».

Il secoue la tête doucement, amusé. Il les a souvent regardé. Ils l'ont souvent inspiré. Mais ce soir, c'est elle le souffle qu'il cherche depuis de longs mois. Il ramène ses yeux sur elle, juste à temps pour remarquer un petit haussement d'épaules.

«
Soit... Si c'est ce que tu veux » se plait-il à traduire.

Il inspire quand elle expire. Rimes croisées. Il ne la suit plus. Il l'accompagne. A contre-temps, au croisement d'un instant. C'est un ballet de pas. Une danse marchée. Il écoute, attentivement. Il se laisse porter, délicatement.

Sont-ce ses pas à lui qui accélèrent ou les siens qui ralentissent ? La voilà de plus en plus proche. La rumeur de ses pas se fait de plus en plus nettes. Il avance. Long. Long. Court. À chaque vers, elle se rapproche un peu plus.

Long. Long. Court. Il sent l'odeur de ses cheveux.

Long. Long. Court. Une mèche frôle son visage.

Long. Long. Court. Elle s'arrête.

Lentement, accompagnant le vent, accompagnée par le vent ?, elle se retourne et lui fait face.

Elle sourit. Il sourit. Rimes.

« Je t'attendais. ».

«
Je sais. » répond-elle.

Elle le prend par le bras et continue sa promenade avec lui.

Ce soir, la page ne sera pas restée blanche.