Epilogue

Il s'assoit sur un banc, doucement enlacé par une brise du soir qui rafraichit l'air chaud que l'été parisien a amené sur la capitale. Assis là, il contemple la ville qu'il a toujours aimé. Au loin, la Tour Eiffel contemple elle aussi la ville qui s'étend à ses pieds, imperturbable comme elle l'est depuis plus d'un siècle.


Lui aussi a bien veilli. Il se souvient pourtant comme si c'était hier des piques-niques étudiants sur ce pont, ces soirées arrosées où le coeur de Paris venait battre au rythme des guitaristes disséminés sur le Pont des Arts et des rires dispersés le long des planches de bois au dessus de la Seine.


Paris... Grâce à elle, il a toujours été amoureux. Il a aimé ses rues pavées, il a aimé ses monuments, il a aimé ses ruelles aux mille et un secrets. Il a eu toute une vie pour la découvrir, mais elle lui a toujours réservé des surprises. Elle a toujours été une amante hors du commun, surprenante jusqu'au bout. Il a tenté de transmettre cet amour à ses enfants et après eux, à ses petits-enfants. Il espère avoir réussi. Il en est même certain pour une de ses petites filles, étudiante aux Beaux Arts, qui croque la ville dès qu'elle peut, fusain dans une main, feuille blanche devant les yeux. Elle a retenu son conseil : « Croque la vie pour croquer la vie. ». Elle semble avoir compris la remarque sybilline.


Il est fier d'elle. Transmettre quelque chose, arrivé à son âge, est le but ultime. S'il a transmis une passion, il peut mourir heureux.

C'est d'ailleurs ce qu'il est en train de faire, assis là sur un pont dans le soleil couchant qui laisse ses derniers rayons caresser le Pont des Arts qu'il aime tant. Dans une lettre, bien à l'abri dans sa poche intérieure, il explique sa dernière et ultime excentricité.


Ils vont etre tristes, il le sait. Mais il espère qu'ils comprendront. Elle, elle comprendra. Sa petite fille. Elle partage son amour pour Paris. Elle a hérité de ce coté romantique, mélange de l'ancien et du nouveau sens, la beauté de l'amour et des paysages, sans la mélancolie. Elle comprendra pourquoi il a fait ça. Elle l'expliquera aux autres membres de sa famille.


Quand le medecin lui a annoncé le verdict, il y a quelques mois, il n'a pas été abattu. Pas de dernière ruade d'un vieux cheval fougueux dans sa jeunesse. Vivre sa vie tous les jours, sans rien regretter, voilà ce qui a toujours été sa devise. Alors quand la fin arrive, on ne regrette rien.


Il ne regrette rien. Il a le même le luxe de choisir quand il va s'en aller, où il va s'en aller, comment il va s'en aller.


Doux euphémisme poétique. « S'en aller ». Pas mourir. Pas décéder. Pas passer l'arme à gauche. « S'en aller ». Comme une dernière balade. Et quelle meilleur cadre pour cette dernière promenade que la ville qu'il a toujours aimé qui se pare de couleurs mordorées ? Au loin, une église, peut-être Notre-Dame ?, sonne. Il est l'heure. Ses paupières se font lourdes.


Il a pris les médicaments que lui avaient donné son medecin. Anti-douleurs. Ils vont peut-être penser qu'il était devenu gaga, qu'il avait mal lu l'ordonnance et qu'il avait tout avalé d'un coup ? Non... ils le connaissent. Ils comprendront.

Mieux vaut choisir de partir selon son souhait que de dépérir comme un vieux chien dans un lit d'hôpital.


Il a sommeil... Il ferme les yeux et se laisse glisser dans les bras de Morphée, ou qui que ce soit qui l'emportera ce soir.


Dans sa lettre, ils pourront lire :


« Juliette est morte dans les bras de Roméo. Ce soir, je m'endors dans les bras de Paris, cette amoureuse qui m'a longtemps accompagné. Et je repense à tous mes amours, mes amis, mes amantes, mes enfants et mes petits-enfants. Je m'endors avec un sourire aux lèvres car je meurs comme j'ai vécu : un poète perdu dans les rues de Paris.

Avec tout mon amour. »

Ma drôle de Valentine...

Drôle de Valentine que voici

Assise sur un banc dans la nuit

Au milieu des arbres des Halles

Assise ce soir dans la lumière pâle.


Drôle de Valentine que voilà

Seule et solitaire dans le froid

Alors que ce soir, et partout

S'étale sirupeux, l'amour fou.


Drôle de Valentine, dis moi

Pourquoi tu éveilles mon émoi

Simplement en regardant les étoiles

Et me laisse imaginer dans tes yeux un voile


Drôle de Valentine, je ne te connais pas

Mais ce soir, étrangement, j'ai ressenti en moi

Cette envie de m'approcher, de te regarder

De t'interroger, de m'excuser et de te consoler.


Drôle de Valentin je dois être à mon avis

Pour n'avoir osé succomber à mon envie

Et d'être parti, sans un mot, comme une bruine

Abandonnant là, ma drôle de Valentine...