La caresse

Doucement, je le caresse. Mes doigts passent, glissent, s’attardent sur chaque ride. Elles sont les marques du souvenir, les vestiges de ce que nous avons vécu tous les deux… Ces traces sont comme les bornes de notre chemin commun, chacune me rappelle des moments à deux… dans le métro, dans la rue sans regarder devant soi, dans le lit avant de s’endormir, devant un café, à une terrasse, dans l’herbe, par une belle journée d’été. Chaque fois que mon doigt glisse dans l’une de ces ridules, j’y associe un instant cristallisé dans le passé, figé à travers le temps et à jamais marqué par le sceau du souvenir.

Je les caresse toujours quand je m’en sépare, comme un dernier lien que je romps avec regret. C’est un au revoir, un merci, un peut-être-à-bientôt qui, nous le savons tous deux, n’a que de faibles chances d’arriver… Lorsque cela arrive, lorsque nous nous retrouvons, c’est que notre aventure a été assez puissante pour que nous rechutions le temps d’une histoire…

Je pousse un soupir lors de ce dernier frôlement. Je reste toujours quelques instants les yeux dans le vide, suspendus entre un passé encore très présent et un présent encore trop teinté du passé. Et dans ce court instant, juste le temps d’un souffle, d’un battement de mémoire, les souvenirs affluent dans un éclair, se mélangeant, se distinguant, se fondant les uns dans les autres, se démarquant les uns des autres. C’est une mosaïque riche de morceaux d’histoires, patchwork de scènes et de moments partagés.

Avec chacun d’eux, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai hoqueté de surprise, j’ai frissonné de plaisir, j’ai crié ma haine, j’ai larmoyé mon bonheur, j’ai vibré de rêve…

Autant de pages tournées à travers le temps, tentantes et tempérées, tentées et tempétueuses, teintées de tendres tremolos…

Ils ont été nombreux à passer entre mes mains, provenant de mille et un horizons différents, feutrés ou bien feulant, feu fier et pas peu fier, de faire rêver les fidèles comme moi.

Parfois quelques heures, aventure d’un soir, souvent quelques jours, voir quelques semaines, ça devient sérieux, rarement plusieurs mois, ou alors c’est que l’aventure en vaut le coup !

Mais toujours cela se termine et le point final du livre qui se referme entre mes mains est irrémédiablement suivi de cette caresse, cette dernière jonction entre lecteur et lecture, cette étincelle de complicité que je laisse s’évanouir à regret.

Mais toujours en moi je garde le souvenir de ces instants où, partagé entre rêve et illusion, je me suis laissé emporter au cœur des pages, à travers les mondes et les âges.

Et invariablement, sans que mes lèvres bougent et comme je l’ai murmuré intérieurement à Sov de La Horde du Contrevent, à Mathilde pendant Un long dimanche de fiançailles, à Eléa dans La nuit des temps, à ceux qui m’ont fait pleurer, rire, vibrer, rêver, frissonner, je glisse dans cette caresse un muet mais néanmoins sincère : merci.

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