Les promeneurs

Prenez ma main, n'ayez pas peur... Je vous emmène pour une promenade dans Paris. Oubliez les monuments, effacez de votre mémoire les clichés parisiens qui l'encombrent. Faites moi confiance et laissez vous emporter.

Prenons cette petite ruelle pavée, là, en face de nous. Il fait nuit, mais la lumière des lampions dispensent une lueur mordorée qui tombent sur la vieille pierre comme une étoffe de soie, s'évanouissant, épousant, se languissant sur notre chemin. Caressez la en passant, allez-y... Elle est douce n'est-ce pas ? Vous ne sentez pas ? Faites un effort... Ne regardez pas avec vos yeux, ne touchez pas avec vos doigts...

Allons, fermez les yeux, laissez votre main voler dans les airs, comme quand vous sortiez votre bras de la voiture sur l'autoroute quand vous étiez gamin. Maintenant, regardez, sentez. Non, gardez les yeux fermés. Voilà... Vous sentez la douceur de la lumière, vous voyez ces courbes rouges et orangées se coucher sur les pavés ?

Vous commencez à comprendre...

Continuons notre chemin, tenez bien ma main. Tenez, allons voir cette petite place, là bas... Oui, je sais, vous ne la connaissiez pas. Elle est bien cachée. C'est justement ce qui fait sa valeur, son secret... Soyons discrets et respectons les larmes de la dame... Oui, des larmes... D'où croyez-vous que vient toute cette eau ? La dame pleure... Ce qu'elle pleure ? Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir. Peut-être un amant perdu à la guerre... Ou bien un enfant parti loin d'elle... Ou tout simplement sa propre vie ? Il est bien plus agréable d'imaginer que de savoir vous savez...

Mais ne nous attardons pas trop ce soir, j'ai bien d'autres choses à vous montrer... Il va falloir nous dépêcher, retenez bien ce que je vous montre ce soir...

Hop hop, nous voilà au-dessus des quais... Sous les ponts, coule la Seine... Et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne ? Haha, pardonnez cette digression, je suis d'humeur poétique ce soir... Ah, d'ailleurs, regardez cette femme là, assise à califourchon sur le muret, qui sussure des mots à l'oreille de ce jeune homme avec un cahier... C'est Poésie, une habituée de la ville... Vous n'arriverez peut-être pas à comprendre tout ce qu'elle vous dit si vous lui parlez, mais c'est normal, c'est dans sa nature...

Et si nous descendions sur les quais ? Allez, prenons cette escalier... Prenez garde, il est glissant, la pierre n'est plus toute jeune... Traitons la avec respect. Une légère caresse sur la rampe de pierre pour la remercier d'être là. Vous sentez la rugosité ? Ce sont les rides de l'âge...

Ah, arrêtez-vous... Vous voyez ces deux personnes là-bas, non loin du couple qui se disputent ? Hein ? Non il n'y a pas qu'une femme, regardez dans l'arbre... Vous voyez l'homme ? Et bien ce sont Rêve et Réalité... Ils ne veulent pas l'admettre mais ils sont plus proches qu'ils ne le laissent paraître... N'allez pas leur dire que j'ai dis ça hein, ils le prendraient mal... Ils sont un peu caractériels...

Ne lâchez pas ma main, continuons de marcher un peu... Profitons un peu de l'air qu'apporte la Seine, les nuits sont chaudes en cette saison... Allez, petit saut de puce, remontons sur les boulevards... Et si nous allions vers la Rue de Rivoli ? Oh ? Mais nous y voilà déjà... Et oui, il y a quelques avantages à se promener en ma compagnie...

Ecoutez donc l'écho de nos pas sur les carreaux qui résonne dans les arcades... C'est envoûtant non ? On dirait une sérénade... Ou un métronome... Clac, clac, clac... C'est lancinant, c'est hypnotisant... Ah, regardez ce couple devant nous... Premier rendez-vous je parie... Ça se voit à la manière dont il la tient par la taille, un peu gauchement, attiré par cette proximité mais effrayé à l'idée de la déranger. Notez qu'elle n'a pas l'air de s'en plaindre. Vous voyez l'homme qui les précède et qui tourne des boutons sur les colonnes de pierre ? C'est Romantisme... Regardez comme les lumières se tamisent au-dessus du couple, à chaque fois qu'il règle un variateur. C'est son boulot ici, favorisez ces petits moments qui peuvent aboutir à ce premier baiser... Ah, la douceur du premier baiser, le frisson qui vous fait trembler lorsque votre visage se rapproche, votre respiration qui se ralentit involontairement, qui se bloque parfois. Qu'il serait bon de cristalliser cet éphémère instant de la demi-seconde avant le baiser, quand les lèvres ne sont qu'à quelques millimètres l'une de l'autre... On a hésité, on s'est lancés, on se rend compte de la réciprocité... On attend, on savoure, on vibre, on anticipe la douceur de ce premier baiser... Mais non, il ne faut pas le cristalliser... C'est ce qu'il la rend si belle cette demi-seconde, c'est cet instant évanescent qui nait et mue en un instant et qui devient le baiser...

Et si vous regardez bien, à ce moment là, vous apercevrez une ombre, cachée dans un recoin. Vous ne verrez que rarement son visage, et quand bien même, vous seriez incapable de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme... Il ou elle est timide et se cache souvent... Tout le monde cherche Amour, quelques-uns trouvent Amour... Amour est timide et ne fait son office que discrètement, pas à pas... Parfois cependant, il ou elle agit un peu plus violemment... Je crois que vous appelez ça le coup de foudre... Encore une idée de Poésie ça, « coup de foudre »... Pourquoi pas « vague de typhon » ou « éboulement de séisme », hein ? J'vous le demande... Bref...

Ah... Regardez dans le parc là bas... Vous voyez le jeune homme assis sur un banc, seul, occupé à écrire sans relâche dans son cahier ? Hein ? Ah non, ce n'est pas l'un des nôtres... Regardez son visage, ses cheveux courts, son cuir usé... Vous le reconnaissez ? Attendez, le voilà qui lève la tête et regarde vers nous...

Vous comprenez maintenant ?
Qui je suis ?

Hahaha... Mais jeune homme, je pensais que vous l'auriez compris... Une femme qui vous emmène dans les coeurs de Paris, vous fait découvrir les secrets de la ville... Vous ne voyez pas ? Aaaah, je sens une lueur de compréhension dans votre regard... Oui, c'est bien ça... Je suis Inspiration... Allez donc vous retrouver sur ce banc, il est temps de vous réunir avec vous même, les balades comme ce soir doivent se savourer... Et n'oubliez pas : Paris n'a qu'une âme, mais la dame a de nombreux coeurs... Ce sont eux qui font battre son sang, ce sont eux qui enchantent sans qu'ils s'en rendent compte ceux qui savent tendre l'oreille...

Allez... Bonne nuit jeune homme... A bientôt peut-être...



Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire

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