Moitié...

…ret…

Une voix. Lointaine, éteinte, une voix qui n’est plus, surgie d’un passé assassiné. Empreinte d’une douceur qui ne semble pas trouver ses marques dans les intonations, la voix est là, chaude et veloutée.

Ma…

D’où vient cette voix ? Elle est là… Juste au-dessus ! Elle pourrait presque la toucher… Toucher le visage à qui appartient cette voix… Ouvrir les yeux ! Allons ! Ouvre les yeux !

…haret…

Il faut voir le visage ! Savoir à qui appartient la voix ! Allez ! Ouvre les yeux ! Réveille toi…

Maharet !

***

Un souffle haletant transperça le voile de silence qui régnait dans le dortoir… Maharet était assise dans son lit, une sueur froide coulant le long de sa colonne vertébrale, sa chemise de nuit lui collant à la peau. La bouche grande ouverte, elle tentait de reprendre son souffle…

Comme à chaque fois, le rêve l’avait réveillée, faisant battre la chamade à son cœur. Il revenait quasiment toutes les nuits, toujours identiques, toujours aussi énigmatique. Une voix qu’elle entendait au début comme si ses oreilles étaient bouchées par du coton, des syllabes qu’elle parvenait à peine à deviner. Chaque nuit, toute au long de ces dix longues années, où le rêve l’avait frappé, elle avait tenté de savoir à qui était cette voix qui, elle en était certaine, l’appelait par son prénom. Elle n’avait compris que très tard qu’il s’agissait là de son prénom… puisqu’elle ne savait pas quel prénom sa mère lui avait donné. Elle ne savait même pas qui était sa mère…

Cela expliquait sa vie à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété dans un quartier de New York. Un jour, voilà près de dix ans, un bébé avait été retrouvé devant la porte du couvent, avec un petit mot déposé dans le couffin :

C’était ça ou un plongeon dans la rivière… M’faites pas regretter !

Ainsi un bébé au nom inconnu, la mère n’ayant pas pris soin de l’ajouter sur le billet, fit son entrée à l’orphelinat Sainte-Thérèse de la Piété. La petite fille fut nommée Sarah et grandit tout à fait normalement jusqu’à l’âge de trois ans, la seule « irrégularité » de sa personne étant ses étranges cheveux argentés et ses insolites yeux vairons. L’un était d’or, légèrement ambrée, comme l’œil d’un aigle. L’autre était curieusement rouge… Les nonnes attribuaient cela à un « artefact génétique dû au métissage de l’enfant ». Il y avait aussi les nuits agitées que connaissaient la petite fille et qui la mettaient bien souvent dans un état de tension, voir d’angoisse, assez peu commun pour un enfant de son âge.

Mais dès ses trois ans, la petite Sarah surprit les bonnes sœurs et le Père Thomas qui s’occupaient de l’orphelinat. En effet, pendant une leçon, la nonne qui donnait cours à la classe de la petite Sarah, appela celle-ci pour qu’elle vienne résoudre un puzzle avec ses camarades. S’étonnant que l’enfant ne réagisse pas à l’appel de son nom, la nonne, Sœur Marie-Charlotte, se dirigea vers elle, s’inquiétant d’une éventuelle surdité de l’enfant. Lui tapotant l’épaule, elle regarda Sarah dans les yeux et lui dit en articulant exagérément :

- Sarah ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?

L’enfant fixa un regard froid sur la nonne et ne répondit pas.

- Allons Sarah, qu’y a-t-il ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?
- Je ne m’appelle pas Sarah, dit-elle enfin de sa voix aigue de jeune enfant.
- Pardon ? Que veux-tu dire ?
- Mon prénom n’est pas Sarah. Sarah, ce n’est que le prénom que les gens d’ici m’ont donné lorsqu’ils m’ont trouvé…

La sœur était étonnée par la formulation des phrases de Sarah, plus qu’élaborées pour une enfant de trois ans.

- Mais mon doux enfant, nous ne connaissions pas ton nom lorsque tu as été laissé à notre orphelinat… Il fallait bien te trouver un nom, nous ne pouvions te laisser vivre sans identité !
- Mais j’ai un nom ! Je suis Maharet !
- Quoi ? Mais qu’est ce qui te fait croire que c’est là ton véritable nom ?

L’enfant détourna le regard qui se perdit dans le vide. D’une voix atone, elle dit :

- C’est elle qui me le dit chaque nuit…
- Elle ? Qui ça « elle » ?

Les yeux vairons se posèrent de nouveau sur la nonne qui fut parcourue d’un inexplicable frisson devant le sourire énigmatique de l’enfant. Maharet posa un doigt contre sa tempe et murmura sur le ton de la confession :

- La voix qui me réveille chaque nuit… Et je crois bien que c’est celle de ma maman…

Devant le regard passablement effrayé de sœur Marie-Charlotte, Maharet explosa de rire, un rire étrange… Un rire cynique. Un rire qu’une enfant de trois ans n’aurait jamais du pouvoir produire.

L’effroi qui envahissait sournoisement sœur Marie-Charlotte se changea alors en une terreur indicible…

***

- Père Thomas, je vous en conjure ! Il faut faire quelque chose pour cette enfant…
- Il suffit sœur Marie-Charlotte ! J’ai assez écouté vos sottises !
- Mais mon Père, je vous assure que…
- Non, non et non ! Je continue de vous certifier que cette enfant n’est pas possédée !
- Prouvez-le !
- Ne soyez pas insolente sœur Marie-Charlotte… Et calmez-vous, je vous prie. Plus aucun cas de possession par le Malin n’a été recensé dans ce pays depuis plus de cent cinquante ans ! Et rien ne prouve que cette petite Sarah…
- Elle dit s’appeler Maharet…
- Que cette petite Maharet, reprit le Père Thomas sans reprendre son souffle, n’ait pas eu un quelconque souvenir de sa petite enfance et que par un miracle des rouages du cerveau humain, cette information ait été conservée en elle. Cela expliquerait très bien pourquoi elle se souvient de son prénom…
- Vous n’avez pas vu son regard à ce moment là mon Père… Il n’avait rien de normal !
- Cessez donc ces sornettes…
- Et que faites-vous de sa chevelure argentée, de ses étranges yeux vairons ? A-t-on jamais vu une enfant avec un œil rouge ? Et ce cauchemar qui la hante quasiment toutes les nuits ?
- Alors nous devrions pratiquer un exorcisme sur une enfant, seulement parce qu’elle a des particularités physiques ? C’est bien cela ?
- Non… Ce n’est pas…
- Retournez à vos travaux sœur Marie-Charlotte. La discussion est close.
- Mais…
- CLOSE ! Occupez-vous de Sar… Maharet comme vous vous occupez de n’importe quel enfant ici. Me suis-je bien fait comprendre ?
- Oui mon père.

Sœur Marie-Charlotte quitta le bureau sans un mot. Le père Thomas alla à la fenêtre et regarda la cour où jouaient les enfants entre les leçons. En bas, une petite fille aux étranges yeux vairons le contemplait fixement… Comme si elle avait su que le père Thomas apparaîtrait à la fenêtre. Un frisson parcourut l’échine de l’homme d’église… Se forçant à quitter Maharet des yeux, il dit en se secouant :

- Brrrrr… L’hiver s’annonce rude…

3 Response to "Moitié..."

  1. Anonyme Says:
    08 mai, 2007 21:53

    la suite ??? :(

  2. Med says:
    08 mai, 2007 23:37

    La suite réside dans une autre... moitié.

    Mekare et Maharet, les soeurs jumelles (noms honteusement piqués à Anne Rice) n'ont pu continuer leurs aventures malheureusement.

  3. Anonyme Says:
    13 mai, 2007 11:32

    Peut être bien que si finalement... ;)