Demain dès l'aube...


Demain dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne...

Demain, dès l'aube, alors que les fleurs de givres s'épanouiront sur les rares arbres alentours, je n'ouvrirai pas les yeux. Je n'aurais pu les fermer de la nuit, sachant ce qui m'attend.

Recroquevillé sur moi-même pour me protéger du froid, je déplierai un à un mes membres endoloris et je me lèverai. Les yeux rougis, mon regard se posera sur les couronnes gelées autour de moi, sur le linceul blanc de ce monde si immaculé et pourtant si ténébreux.

Que nous est-il donc arrivés pour que ce paysage si merveilleux soit devenu synonyme de mort, d'inéluctabilité, de fatalité ?

Que voilà une question à laquelle je n'ai nul besoin de réponse. Quelle qu'elle soit, elle ne me sera pas utile.

Car demain, je me lèverai. Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. Mais là où je vais, je dois aller seul. Dans l'étreinte glaciale de cette matinée, ma main se posera sur mes affaires, que je glisserai lentement sur mon dos, savourant par obligation, si ce n'est par dépit, les quelques minutes qui me sépareront de mon départ. Ma main se posera tremblante sur le bois. Les morceaux de métal glacé feront écho au vent d'hiver qui s'insère dans nos abris, aux frimas qui enlacent nos cœurs.

Je ne regarderai pas autour de moi. Pour ne pas croiser les regards. Douloureux échos du mien.

Lorsqu'il sera temps, j'irai par la forêt, j'irai par la montagne de notre abri. Je monterai un à un les échelons pour sortir, le vent fera claquer ma capote comme un drapeau d'adieu. Je ne regarderai pas en arrière. Je ne pourrai pas. Je ne voudrai pas. Il n'y aura plus rien derrière moi. Je laisse tout, j'abandonne tout. Ce que j'ai, je l'emporte avec moi, au plus profond de mon être.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Il faut que je parte. La douleur me lacère, mes entrailles pourtant glacées sont en feu. J'ai peur. Est-ce le froid qui me fait trembler ou bien cette terreur qui vit en mon sein depuis tant de mois, des mois qui me paraissent des décennies ?


Une fois à l'air libre, mon envol pris, je marcherai les yeux fixés sur mes pensées. Un pas après l'autre, mes godillots faisant crisser la neige sous la semelle éclatée. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit. Peu importe les cris enveloppant mon départ, peu importe le fracas qu'il déclenchera. Je marcherai. Je marcherai face au vent, face à l'étendue inconnue qui s'ouvrira à moi. Je partirai loin de toi, car tu es loin de moi. Et là où je suis désormais, nos chemins jamais ne se croiseront.

Je marcherai comme un condamné, seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisés sur ce morceau de bois et de métal qui ne me quitte plus depuis bien trop longtemps. Abandonné, j'abandonne. J'aimerai dire que je partirai le cœur serein. Ce serait noble, courageux. Mais ce serait faux. Je partirai tremblant, je partirai les larmes aux yeux. Tant mieux, je ne verrai pas le chemin à prendre comme cela, les larmes brouilleront ma vue. Je partirai triste. Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Le soleil sera ma lune. L'aube, mon crépuscule. Ne m'en veux pas mais je partirai seul. Je t'abandonnerai. Tu m'en voudras. Tu verseras des larmes. Pour moi, contre moi, je ne le sais. Mais il y aura quelque chose qui réchauffera mon âme transie dans ces terres gelées. Savoir que quelqu'un, quelque part, pensera à moi et me pleurera. Je n'ai nul droit sur toi. Je n'aurais qu'une prière : ne m'en veux pas. Les choses auraient pu tourner autrement. Si nous étions nés à une autre époque, dans un autre lieu. Mais Dieu a voulu que nous naissions ici, en ce jour. Alors faisons ainsi. Que pourrions-nous faire d'autre ?


Je garderai en moi le souvenir des tes cheveux que tu délassais le soir venu, dans le vent en haut de la falaise. Face à la mer, je te regardais dans le soleil couchant. Cette douce chevelure, tant de fois caressée, tant de fois sentie lorsque je t'embrassais. Les plus belles choses ont une fin parait-il. Je ne sais pour le monde, mais pour celles-ci, c'est malheureusement vrai. Lorsque je me lèverai et marcherai demain matin, je ne regarderai ni l'or tombant du soir qui s'échoue sur cette falaise, ni les voiles au loin descendant vers Harfleur. Mais je n'aurais nul besoin de les voir lorsque mes pas me feront avancer dans le fracas des hommes. Nul besoin de les voir pour sentir la chaleur de ta peau, réchauffée par notre soleil normand. Nul besoin de sentir tes cheveux glisser entre mes doigts pour ressentir leur douceur. Tout cela est en moi. Et lorsque ce crépuscule honni arrivera, je l'embrasserai avec ces souvenirs en mon cœur.

Et lorsque fatigué, je me coucherai sur le sol gelé de la terre sans homme, je m'endormirai un sourire aux lèvres.

Un jour, je reviendrai chez nous. Et quand je reviendrai, tu mettras sur ma tombe un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


S'il est possible d'aimer par delà la folie des hommes alors sache que je t'aimerai toujours. Et si cela n'est pas possible, tant pis, je le ferai quand même. Tu sais à quel point je peux être têtu parfois.



Avec tout mon amour, ma douce Mathilde, je t'embrasse une dernière fois.

Ton Mathieu qui t'aime.

Verdun, 14 mars 1916


Inspiré par le poème de Victor Hugo "Demain dès l'aube..."

Musique tirée de la bande-originale de "Un long dimanche de fiançailles". Composition : Angelo Badalamenti


Ça va mieux en le disant !

Mauvaise humeur.
Ça arrive hein, même aux meilleurs.

Mais pas la mauvaise humeur qui vous fait bouder dans votre coin. Pas la mauvaise humeur qui vous fait râler sur le premier qui fera un faux-pas sous vos yeux.

A bien y réfléchir, ce n'est pas de la simple mauvaise humeur. C'est de la misanthropie.
Les gens m'énervent. Plus précisément, la bêtise humaine m'énerve.

Alors, comme il paraît que ça va mieux en le disant, voici ma déclaration de colère, voir de haine pour certains. Feuloir défouloir, faisons donc leur fête aux fieffés faquins qui nous pompent l'air.

Pourquoi, par le caleçon de Zeus, devenez-vous, chers congénères, aussi stupides qu'un mouton lorsque vous vous retrouvez en groupe ? Je sais, je sais, que les moutons me pardonnent cette offense. Mais, sincèrement... Prenons l'exemple du RER. Vous voyez arriver une rame sur-blindée de monde, au point qu'il en dégueule presque des gens par les fenêtres. Penseriez-vous à prendre le train suivant qui, par le string de Vénus, va passer dans 5 minutes ? NOOOON ! Il faut que vous vous preniez pour un pilier du XV de France qui doit foncer dans la mêlée ! Et vas-y que je te pousse, vas-y que j'écrase les gamins (ah, Darwin l'a dit hein, seuls les plus forts survivent). La vieille dame ? La femme enceinte ? Pfff, au diable, piétinons tout ce petit monde joyeusement ! C'est vrai quoi, on a déjà 20 minutes de retard pour aller au boulot, il est hors de question d'échanger cinq misérables minutes contre un peu de bon sens et de civisme.

Marchez-vous sur la gueule. Vous ne m'en voudrez pas si je vous regarde depuis le quai, avec à ma disposition plus de 10cm² et plus de trois neurones. Car à vous voir, navré, mais tout gentil que je sois, vous m'apparaissez clairement décérébrés.

Les zombies du RER.
Mon royaume pour un fusil à pompe.


Ah, et vous, usagers du métro ? Vous pensez valoir mieux ? Que nenni. Vous devez très certainement partager le même code génétique que les autres anesthésiés du cortex dans le RER. Alors, laissez-moi vous expliquer gentiment et tout doucement, pour que vous puissiez suivre le raisonnement, ce qu'un gamin de 5 ans a déjà compris tout seul : une rame arrive. Il y a des gens dedans (jusque là, rien de bien surprenant hein ?). Vous, vous êtes sur le quai et vous voulez... monter ! (je vois qu'il y en a qui suivent au fond). Alors, attention, accrochez vous au deux neurones que vous avez sauvegardé bon gré mal gré depuis toutes ces années, c'est là que ça devient scientifique ! Un petit principe physique : pour remplir un contenant déjà plein il faut le... le... vider, oui, c'est ça ! Bravo, vous avez gagné un pin's RATP. Et aussi le droit de vous écarter de ces foutus portes quand les gens veulent en DESCENDRE !!

'Comprenez le principe ? Ou y'a besoin d'un schéma ? C'est bon ? Alors suivant !


Allez, passons sur les inconnus du métro/RER. Intéressons nous à quelque chose de plus personnel.
Vous avez vu Fight Club ? Quand Edward Norton rencontre Brad Pitt dans l'avion, il lui demande s'il va être son « ami-voyage » ? Puisqu'il voyage tout le temps, et que tout est découpé en petites portions, savons, nourritures, boissons, serviettes, etc... il a remarqué qu'il en était de même avec les gens. On devient ami le temps d'un voyage puis on disparaît de la vie de l'autre à l'atterrissage.

Et bien sachez-le, l'université, ça marche pareil. Bon, les portions sont un peu plus longues qu'un voyage transatlantique, mais l'idée est là. Personnellement, j'appelle ça des amis-semestre.

Tout ceux qui sont allés à la fac doivent connaître ce phénomène. Pendant un semestre, vous sympathisez avec les gens qui partagent vos cours. Vous devenez super potes, copains comme cochons, vous allez boire des verres ensemble, faites des soirées, discutez des heures et blablabla. Mais, car il faut un mais pour justifier ma râlerie (pensez bien, vais pas m'arrêter en si bon chemin), vient un jour la triste guillotine de l'inter-semestre. Aaaah, bourreau moderne de l'amitié étudiante... Le coup est sans appel, net, et vous vous retrouvez dans des cours séparés de vos amis-de-toujours-du-premier-semestre. Qu'à cela ne tienne vous dites-vous ! Ce sont vos amis, pas besoin de se voir en cours pour garder contact !

Idiot. Tout simplement. Vous êtes un idiot. Et vous allez très vite remarquer qu'il devient petit à petit plus dur d'arriver à voir ces « amis », que vous allez avoir l'impression de les déranger quand vous les appelez (parce qu'ils n'appellent plus au passage) et qu'au final, ils s'évanouiront de votre vie, aussi facilement qu'une bougie est soufflée.

Des amis-semestres. Les vrais amis, vous pourrez les compter sur les doigts d'une main. Avec le temps, on devient plus sensible à ce phénomène, on le repère plus facilement, plus rapidement. Alors on hausse les épaules et on pense, comme un grand philosophe de mes amis se plait à le dire : « Je cherche pas d'amis. ». Si certains apparaissent quand on ne s'y attend pas, je ne vois pas par contre pourquoi on devrait courir après les autres.

Et c'est ainsi qu'on se retrouve parfois face à une personne, à discuter à bâtons rompus, à prendre plaisir à cette discussion, à apprécier cette personne... tout en sachant pertinemment que cette proximité, cette étrange amitié éphémère, disparaitra d'un claquement de doigts dès la fin des cours.

Suis-je un bouche-trou pour passer le temps entre deux cours ? Non... je ne pense pas. Il y a certainement quantité de gens plus intéressants que moi dans cette fac. Alors quoi ? Pourquoi ce lien si on ne veut pas qu'ils perdurent ? Ou, en tout cas, qu'on sait pertinemment qu'on ne fera rien pour le faire perdurer ?

Je me surprends parfois à me demander ce qui se passerait si, en regardant la personne dans les yeux, je demandais : « On serait amis s'il n'y avait pas la fac ? ». Serais-je conforté dans mon hypothèse pessimiste ? Ou au contraire, agréablement surpris d'avoir tort ?

L'épicurien que je suis se contente de hausser les épaules et de profiter de l'instant, en ayant connaissance qu'il s'évanouira bientôt. Il y aura au moins une personne pour ne pas se voiler la face à ce sujet.


Et à me relire, je constate que mon coup de gueule s'est mué en réflexion désabusée.
C'est aussi ça que je déteste chez les gens... On a beau être misanthrope et les trouver plus cons les uns que les autres, on finit par ne plus avoir la force de les engueuler.

On peut même plus râler tranquillement, c'est malheureux hein ?



« Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien ! ».
Desproges

Retour vers le passé - Partie 6

Un coup sur la joue. Il sent sa chair s'écraser, ses mâchoires trembler sous l'impact. Quelqu'un est en train de le tabasser. Sous ses paupières closes, des points lumineux éclatent comme des bulles de savon. Il attend le coup suivant.

Mais rien ne vient. Il rouvre lentement les yeux. Ses oreilles doivent aussi se rouvrir par la même occasion, parce que les cris et les quelques rires autour de lui lui parviennent enfin. Il sent le froid contre sa joue meurtri. Ce n'est pas désagréable vu le coup qu'il vient de prendre.

Il veut porter sa main à son visage quand il se rend compte qu'elle est par terre. Tout comme le reste de sa personne. Il entend une voix nasillarde dire : « Alors Maxou, on tient plus sur ses gambettes ? ».

Il reconnaît la voix de Bruno, petite teigne qui tentait de régner sur le collège comme un ivrogne tente de régner sur l'industrie de l'alcool. Avec beaucoup d'obstination dans la bêtise. Max réalise qu'il est couché par terre, devant l'entrée du collège. Ou la sortie, ça dépend si vous venez d'être incarcéré ou libéré. Il se relève, sent sa joue s'échauffer là où elle a cogné le bitume et regarde autour de lui. Les élèves le regarde en souriant, pensant certainement qu'il a chuté par maladresse. Il croise le regard narquois de Bruno.

« Ne t'inquiète pas de mes gambettes Bruno, occupe toi plutôt de ton avenir ou tu vas finir en taule comme ton frangin... »


Le regard narquois s'efface.


« Comment tu sais ça toi ? »


Une lueur de rage, mêlée de la peur de voir son secret découvert. Max n'avait appris l'existence de ce frère que lorsque Bruno avait fait les gros titres après un racket qui avait mal tourné, bien des années plus tard.


« Laisse tomber... »

« Nan, j'laisse pas tomber, tu vas lâcher le morceau espèce de petit... »

« Hey, qu'est ce qui se passe ici ? »


Sauvé par un surveillant. Quelle gloire ! Bruno serre les dents, jette un dernier regard plein de promesses de turpitudes en tout genre et quitte le collège.


« Qu'est ce qui t'es arrivé toi ? » demande le pion à Max.

« Rien, j'ai glissé... »

« Alors rentre chez toi et mets toi de la glace sur cette joue. »


Rentrer chez lui... Max voudrait bien... Mais son véritable chez-lui est à quelques années de lui. Alors en attendant, il rentre chez son ancien chez-lui.

Qui a le mérite d'être bien plus près.

En rentrant chez lui, Max s'endort comme une masse. Personne chez lui, sa mère était de garde de nuit. Il sombre dans un néant de fatigue, comme s'il n'avait pas dormi depuis plusieurs jours. A priori, les sauts dans le temps, ça crève. Il s'endort, essayant de ne pas se demander à quel âge il va se réveiler demain.


Le réveil. De quel année ? Il tend une main vers sa joue pour vérifier s'il a une barbe. Un éclair de douleur lui révèle qu'il n'a pas de barbe mais un hématome à la joue.


« Toujours 14 ans... »


Il se lève en plissant les yeux face à la lumière du matin...

Un regard au réveil : 14h30

Okay, la lumière de l'après-midi.


Il se rejette dans son lit, au grand dam des lattes de son sommier.


Faire le vide. Faire le point.

Il aimerait surtout faire le mort. Non, pire, il aimerait même corriger les dissertations de ces élèves là. Tout sauf ça. Il vient de faire une sorte d'aller-retour dans le temps... Il n'y comprend rien... Il est étonné de l'accepter comme ça, de prendre presque normalement le fait qu'il ait voyagé dans le temps. Par « normalement », il n'entend pas calmement. Mais pour un événement comme celui-ci, il est étonné de ne pas courir nu dans toute la ville en annonçant la fin du monde, voir la fin de la Star Academy. Voilà qui choquerait probablement plus les masses.

Puis il réalise que la Star Academy n'existe pas encore.


« Enfin une bonne nouvelle. »

« Quelle bonne nouvelle ? »


Il sursaute sur son lit, au grand désespoir des lattes du lit. Il se pensait seul. Saleté d'habitude de jeune homme vivant seul depuis plusieurs années.


« Maman ? »

« Ben tiens... Et puis quoi encore ? »


Une tête brune passe par l'encadrement de sa porte. Elisabeth. Sa grande sœur. Max pousse un soupir et laisse sa tête retomber sur son lit.


« C'est vrai que tu n'es pas encore partie... »

Liz ne quitterait la maison que dans... quoi ?... deux ans ? A la fin de ses études de psycho. Pour l'instant, elle le regarde du haut de ses 22 ans.


« Partie ? Partie où ? »

« Hein ? Bof, rien, laisse tomber. »

« Mais qu'est ce qui t'es arrivé à la joue ?! »


Elle vient s'assoir à côté de lui et lui attrape le visage, pressant bien évidemment sur la joue incriminée.


« Yaouch ! Tu me fais mal ! »

« Tu t'es fait tabassé ou quoi ? »


Son ton inquiet le fait sourire. Elle a toujours joué à la maman avec lui. L'apanage de la sœur ainée.


« Non, t'inquiète pas, j'me suis juste ramassé en sortant du collège. »

« Tu es sûr ? Tu me le dirais si tu t'étais fait racketté hein ? »

« Bien sûr frangine, t'inquiète... »

« Tu sais que tu peux tout me dire hein ? »

Il a un sourire ironique et détourne le regard.


« Ouais... Presque tout. »

« Max, qu'est ce qui s'est passé ? »


Les images des dernières heures lui tournent dans la tête. Elles lui écrasent le cœur, lui font tourner la tête. Il se sent au bord de la nausée. Une désagréable impression d'être un bout de bois dans une rivière en crue, bringueballé et embarqué Dieu sait où. Il tourne la tête et plonge dans le regard inquiet de sa sœur. Ils ont toujours été très proches.


« Liz... Je peux vraiment tout te dire ? »


Se confier. Partager le fardeau. Trouver de l'aide.


« Bien sûr p'tit frère... Qu'est-ce qui se passe ? »

« Même si ce que je te dis te paraît invraisemblable ? »

« Invraisemblable ? Depuis quand as-tu découvert le vocabulaire français toi ? »


Une gentille petite vanne. Comme d'habitude. Mais c'est vrai que Max ne brillait pas par sa maitrise du français lorsqu'il était ado.

Il pousse un soupir.


« Depuis que je... enfin... Nom de Dieu, je ne sais même pas par où commencer. »

« Essaye par le début, ça marche généralement bien. »

« Mon problème frangine, c'est que mon début se trouve à la fin. »

« Okay, t'as pris un sacré coup toi... »

Il s'assoit sur son lit, toujours les yeux dans le regard de sa sœur. Il lui prend les mains.


« Mais Max ! Tu trembles ! »

« Écoute moi Elisabeth... Je n'ai pas 14 ans. J'ai 24 ans. Je suis agrégé de Lettres Modernes, je vis à Paris et j'enseigne le français à des collégiens et des lycéens. »

« Oooookaaaaay. On t'a frappé avec quoi ? Un dictionnaire ? Un réverbère ? L'intégrale de Zola ? ».

« Tu ne vas très certainement pas me croire Liz, mais je me suis réveillé ce matin avec 10 ans de moins. J'avais une vie, ma vie d'adulte. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, j'ai peine à concevoir que ce soit possible, mais c'est pourtant arrivé : j'ai remonté le temps. Je suis là, dans le corps que j'avais à 14 ans. Mais à l'intérieur, je suis le Max de 10 ans plus vieux. »

« You're kidding me ! »


Il éclate de rire. Il avait oublié que Liz avait eu sa période anglophile. Elle parlait la moitié du temps en anglais pour s'entrainer. Ça tenait peut-être aussi au fait qu'elle sortait en cachette avec un australien de 34 ans. Chose qu'elle avait tenu cachée jusqu'à bien des années après leur séparation.


« No Sis, I'm not kidding you... I don't know what's happening to me. That... time gap... it's so weird. First, I thought I was trippin' or high... But I'm really older than what you see when you look at me ! »


Liz ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.


« Depuis quand tu parles anglais ? T'as toujours été une quiche qui ne sait dire que bonjour, merci, au revoir et capote ! »


C'est vrai que le mot « condom » le faisait rire quand elle était un jeune ado idiot et boutonneux.

« Je sais beaucoup de choses que le Max que j'étais à 14 ans ne savait pas. Liz, j'ai 10 ans de vie en plus dans ma tête ! 10 ans d'expérience, 10 ans de connaissances, 10 ans !! »

« Franchement, tu n'espères pas me faire gober ça ? »

« Non, je ne veux pas te le faire gober... Je veux juste que quelqu'un sache, que quelqu'un m'aide. Je suis paumé Liz, je ne sais pas ce qui m'arrive ! »

« Et moi tu me fais flipper, arrête donc ton délire ! »

Max pousse un soupir exaspéré. Aux grands maux, les grands mots.


« Comment va Peter ? »


Elle retire précipitamment ses mains de celles de Max.


« Pet... qui ? »


Son visage vire au cramoisi.


« Peter, cet australien de 34 piges avec qui tu sors. »

« Comment... Tu m'as espionné petit salopard ? »

« Non Liz, c'est toi qui me l'as dit ! »

« Je ne t'ai jamais dit ça ! »


Max se lève d'un bond et se met à arpenter la chambre.


« Si Liz, tu me l'as dit plusieurs années après votre rupture. Car vous allez rompre. Je crois qu'il te trompait ou un truc comme ça. Enfin qu'il te trompe. Tu l'as surpris au lit avec une autre un jour. »

« Non Max, je ne marche pas. Tu m'as suivie, et maintenant tu essaies de te foutre de moi ! J'arrive pas à croire que tu m'aies espionné bon sang ! »

« Je ne t'ai pas espionné ! Qu'est ce que je pourrais te dire pour que tu me croies ?! »

« Rien, tu ne me feras pas croire que le jeune puceau que j'ai sous les yeux est en fait un type de 24 balais ! »

« Ah ! Tu veux qu'on parle de sexe ? »

« Pourquoi, t'as besoin d'une leçon ? T'as repéré une fille ? C'est pour ça que tu veux faire ton intéressant ? »

« Non idiote, tu l'as dit toi même, j'étais puceau à 14 ans... »

« Tu ES puceau à 14 ans ! »

« Alors comment tu expliques qu'un puceau de 14 ans puisse te parler de comment faire un cunni, du plaisir des préliminaires ou bien des positions les plus propices à l'orgasme féminin ? »

« Toi, t'as encore maté les pornos de papa ! »

« Arrête bon sang ! Je te dis ça parce que j'ai une vie sexuelle ! Je le sais parce que je l'ai pratiqué ces dernières années ! Plutôt souvent si tu veux tout savoir... »

« Chuis sensée gober tout ça ? Ecoute frangin, si tu veux partir en délire, je vais te suivre ! Prédis moi l'avenir ! Annonce moi un truc qui va se passer ! »

« Pas con... mais quoi ? »

« Ah ça, c'est toi qui vient du futur ! »

« Oui, mais qu'est-ce que je peux t'annoncer qui arrivera bientôt ? C'est ça que je cherche ! »


Un bruit de clés dans la serrure. Leur mère rentre du travail.

Elisabeth se lève et regarde son petit frère de toute sa hauteur. Max pense intérieurement qu'elle ne pourra plus faire ça longtemps, il la dépassait à 15 ans.


« Ecoute petit frère, je t'interdis d'emmerder Maman avec ton délire ! C'est son anniversaire demain, pas question qu'elle s'inquiète qu'un coup sur la tête t'ai fichu le cerveau en vrac, compris ? »


Max écarquille les yeux.

L'anniversaire de sa mère ? Demain ?

Elle est née un 12 septembre.


« Attends... j'ai 14 ans, hein ? »

« Malgré ton délire, ouais, t'as 14 ans p'tit gars. »

« Donc on est en 2001... »

« T'as bossé tes maths en plus de l'anglais ? »

« Quelle heure il est ? »

« Quoi ? »


Max tremble, il hurle sa question plus qu'autre chose :


« Quelle heure il est ?! »


Un coup d'oeil à sa montre et sa soeur lui répond :


« 14h45. »


Il lui attrape le bras et la ramène dans la chambre en fermant la porte.


« Écoute moi Liz, écoute moi très attentivement. Au moment où je te parle, un attentat a lieu à New York. Ou va avoir lieu dans quelques minutes si je ne me gourre pas dans le décalage horaire. Deux avions vont percuté les tours du World Trade Center, des avions détournés par des terroristes d'Al-Qaida. Les flashs infos vont prendre l'antenne toute la journée. »

« Arrête Max, tu deviens morbide ! »


D'un geste rageur, elle retire son bras de la poigne de son frère et quitte la chambre. Max n'a que le temps de lui dire :

« Ne dis rien à Maman ! Quoi qu'il arrive, ne lui dis rien. »

« Bien sûr que je ne vais rien lui dire, imbécile ! »


Max la regarde partir d'un pas furieux. Il l'entend embrasser leur mère. La télé est allumée.

Lorsqu'il pénètre dans le salon, sa mère se jette sur lui en voyant son visage tuméfié.


« Max, qu'est-ce qui t'es arrivé ?! »

« J'ai glissé à la sortie du collège ! »

« Mais bon sang, il faut que tu ailles passer une radio ! »

« Non, je t'assure maman, c'est juste un bleu, ce n'est r... »


« Nous interrompons nos programmes pour un flash d'informations exceptionnel ! Il y a quelques minutes à peine, un avion de ligne aurait percuté l'une des tours du World Trade Center à New York. »


Des images de la première tour en flammes apparaissent à l'écran tandis que la voix-off continue :


« Nous n'avons pour l'instant que peu d'information sur ce grave accident. Il s'agirait d'un Boeing de la compagnie American Airlines qui aurait dévié de sa route et... Oh mon Dieu ! »


A l'écran, en direct, un avion percute la seconde tour.


La mère de Max porte la main à sa bouche, retenant son souffle, choquée, le regard fixé sur l'écran.

Max regarde sa sœur. Cela aurait pu être comique de la voir dans l'exacte posture de sa mère si le moment n'avait pas été aussi tragique. Si seulement ses yeux avaient été posées sur l'écran et non sur Max, qu'elle regarde d'un air paniqué.

Max ne peut que secouer la tête et articuler en silence ces mots à sa sœur :


« Ne... dis... rien. »

Me wa kokoro no mado desu

Fenêtre du cœur, fenêtre sur l'âme,
Tristes paysages où pleuvent les larmes
Levers de soleil au lever du lit
La nuit s'endort quand tu me souris
Vitrine que tu tentes parfois de teinter
Je triche, je ruse, au judas de tes yeux je suis resté

Avant d'embrasser tes lèvres, doucement
J'embrasse ton regard, ainsi sachant
Quel goût elles auront,
De ton cœur, quel sera le son.


L'œil est la fenêtre du cœur
Proverbe japonais

Retour vers le passé - Partie 5

*BOM BOM*

L'impression d'avoir la tête encastrée dans un téléviseur diffusant la Star Academy. Ou dans un broyeur à cerveau. C'est la même chose ceci dit, la redevance en moins.

*BOM BOM*

Max ne se souvenait pas qu'il pouvait être possible d'avoir les paupières aussi lourdes. Persuadé d'avoir deux gremlins accrochés aux paupières, il lève la main et se frotte le visage. Pas de gremlins. Juste une belle barbe de trois jours.

*BOM BOM*

Il ouvre les yeux d'un coup, tout le poids envolé. Son cœur s'emballe.
Une barbe ?
D'un saut assuré et gracile, il bondit hors du lit et s'éclate l'orteil contre la porte de la salle de bain. En jurant tout ce qu'il peut, il allume la lumière de la salle de bain... de sa salle de bain. Il se regarde dans le miroir et se retrouve nez à nez avec son visage. Son vrai visage. Celui d'un type de 24 ans. Pas 14, 24 ! Il passe sa main sur sa joue rêche comme du papier de verre. Plus de peau de bébé...

- Un rêve... juste un rêve...

Il se pince le bras. Il était bien réveillé.. Le rêve lui avait paru si vrai. Il sourit à son reflet. Quel idiot... La viande d'hier soir devait être avariée pour qu'il parte dans un tel délire... Son sourire se mue en rire. Retourner dans le passé... Sympa le rêve !

*BOM BOM*

Tandis qu'il hoquète de rire comme un idiot devant son reflet, Max réalise qu'on frappe à sa porte depuis tout à l'heure. D'un pas vif et claudicant, il se dirige vers sa porte. Réalisant qu'il est en caleçon, il attrape un pantalon qui était délicatement rangé en boule dans un fauteuil avant d'ouvrir la porte.

- Ah ben quand même ! J'étais à deux doigts de passer à la hache pour ouvrir ta porte !
- Moi aussi je suis content de te voir maman !
- Je te réveille ? Tu savais pourtant que je venais aujourd'hui !
- Ma chère maman, arriver avec 24h d'avance à un rendez-vous peut expliquer le fait que j'étais encore en train de dormir ! On ne devait se voir que dimanche...
- Et à ton avis triple buse, on est quel jour ?

Et sur cette question, elle le repousse pour entrer.

- Ben samedi, c'te question...
- T'as encore fait la bringue toi...
- Euh possible, j'ai un peu la tête en vrac... Pourquoi ?
- Parce qu'on est dimanche, et que samedi c'était donc hier... Tu suis le raisonnement ?
- Comment ça on est dimanche ?!
- C'est en tout cas dimanche pour le reste de la population de notre fuseau horaire...

Max se pince le nez en fermant les yeux. Impossible de se rappeler ce qu'il avait fait la veille... Ni l'avant-veille d'ailleurs.

- J'ai du prendre une charge monumentale moi...
- T'es sorti boire un coup avec tes collègues ?
- J'aimerai bien le savoir... C'est le blackout total là...
- Tsss... tu bois trop mon fils...
- Bref, passons... Je te sers un café ?
- Volontiers.

Il se dirige d'un pas un peu moins claudicant vers sa cuisine.

- Qu'est ce qui t'arrive au pied ?
- Une lutte matinale avec un chambranle de porte.
- Ce n'est pas toi qui a gagné apparemment...
- On a convenu d'un cessez-le-feu jusqu'à lundi matin.

Sa cafetière... Douce et agréable source de réveil matinal... Tandis qu'il regarde le café passer, tentant de ne pas entendre sa mère en train de ranger le bazar dans son appartement, il repense à son rêve. Max n'est pas du genre à se souvenir de ses rêves. Pourtant, celui-ci paraissait tellement réel qu'il se souvient de tout, depuis l'odeur des couloirs du collège jusqu'à la tête de Mathas quand il lui a cloué le bec...

- Tu n'as jamais pensé à avoir une copine ? Ça t'obligerait à garder ton appartement plus salubre qu'un bidonville du tiers-monde.
- Avoir une copine... si. La garder, c'est une autre paire de manches.
- Si tu arrêtais de les quitter tout le temps au bout de quelques semaines aussi.
- On ne va pas avoir de nouveau cette discussion dès mon réveil maman.
- D'accord, j'attendrai le déjeuner.
- Trop aimable...

Le visage de Léa lui revient en mémoire... Ses mèches sortant en pagaille de son bonnet, son regard apeuré en cours de français... Et ses cris muets lorsqu'elle tapait à la vitre de la voiture de son père.

- Maman... Tu te souviens de Léa ? Léa Berstein ? Elle était avec moi au collège.

Un bruit de verre brisée éclate dans le salon. Max passe la tête par la porte de la cuisine pour voir sa mère, pâle, qui regarde dans sa direction. Croisant son regard, elle se baisse précipitamment en râlant :

- Ah, si tu rangeais un peu ce bazar ! Ça n'arriverait pas ! Que diraient tes élèves s'ils voyaient dans quelle porcherie tu vis ?
- Ça me ferait un point commun avec eux... Laisse ça, je vais balayer.

Enfin assis autour de la table du salon, deux tasses de café fumant promenant leur fumet délicat près de ses narines, Max repose la question à sa mère.

- Donc, Léa ? Tu te souviens d'elle ? On était au collège ensemble...
- Erm... Léa ? Non, ça ne me dit rien... Tu ne m'as jamais parlé d'une Léa...
- Ah bon ? Pourtant je crois me rappeler qu'on était super potes étant gamins...
- Et ta soirée ? Qu'as-tu fait pour te mettre dans un tel état au réveil ?
- Alors là... si je savais... Il faudrait que j'appelle les copains pour le savoir je crois... Pourtant je n'ai pas la gueule de bois...
- Tu commences à supporter l'alcool alors.
- Peut-être... J'ai fait un drôle de rêve cette nuit... Je rêvais que je me réveillais à 14 ans alors que j'aurais du en avoir 24. Je retournais au collège et tout, je voyais mes profs et tout le toutim... Un peu zarb comme rêve...
- Hahaha...
- Quoi « hahaha » ?
- Tu m'avais fait le même délire un jour, quand tu étais au collège. Tu voulais me faire croire que tu étais plus vieux que ton âge, que tu avais rajeuni ou je ne sais trop quoi... Tout ça pour esquiver le cours de français de ce prof qui t'horripilait... Comment s'appelait-il déjà ?

Un grand froid remplace les gorgées de cafés qui coulaient le long de son œsophage.

- Ma... Mathas.
- Oui, c'est ça ! Quel sale gosse tu faisais...
- J'avais quel âge ?

Pas 14 ans, qu'elle ne dise pas qu'il avait 14 ans...

- Oulah... euh... Tu devais avoir 13 ou 14 ans je crois... Je t'avais menacé de t'envoyer en cours en pyjama !

Un rêve... ce n'était qu'un rêve... Il avait rêvé de ce moment...
Non, impossible... C'était trop réel... Si cela s'était bel et bien passé, si c'était un souvenir... il y avait trop de détails qui clochaient. S'il avait réellement dit à sa mère qu'il avait rajeuni, pire, qu'il avait fait un bond en arrière dans le temps... C'aurait été une blague de gosse. Mais dans ce cas, comment aurait-il pu clouer le bec à Mathas comme il l'avait fait ?
Aussi improbable qu'elle soit, quand il n'y a plus qu'une explication, c'est la bonne.

*BOM*

Mais s'il avait vraiment fait un saut dans le passé... Pourquoi était-il revenu ? Et d'ailleurs, pourquoi y était-il allé ? Et comment ?

Du délire... juste du délire...

*BOM BOM*

- C'est moi où il y a quelqu'un qui tape à la porte ?
- Hein ? Non, il n'y a personne... Mais Max, qu'est ce qui t'arrives ? Tu es tout blanc...

*BOM BOM*

- Ça doit être le contrecoup... de la fiesta... t'en fais pas...

Max tentait de se lever lorsqu'un voile noir passa devant son regard. Il entendit vaguement un bruit de porcelaine brisée au loin. Peut-être un cri de sa mère. Il dut heurter le sol à un moment donné mais le voile noir devint plus opaque encore, murant tous ses autres sens. Il ne sentait rien, n'entendait plus rien. Juste un battement, comme si son cœur allait s'arrêter.

*BOM*

La Dame

Est-elle donc si volage pour m'échapper encore ce soir ? Ma dame, ma douce, ma délicate qui m'échappe et me glisse entre les mains comme l'eau de pluie... Je l'attends parfois longtemps, assis au creux de mon songe, je l'attends encore et encore. Et quand je l'attends, elle ne vient pas. Alors je me contente de rêvasser à défaut de rêver, patiemment dans l'expectative de son arrivée.

Je chéris les souvenirs de ces moments passés, de ces tracés volontaires et de ces volutes endiablées. Doux moments en tête à tête, rien qu'à moi, rien qu'à toi, rien qu'à nous. Nous... Existe-t-il ce soir ? Es-tu encore là ? Pourrais-je un jour t'enlacer de nouveau ?


Soudain, elle est là. J'espère, mon cœur s'éveille. Je la vois, belle comme jamais aucun mot ne pourra la décrire, douce comme aucun vers n'a pu lui rendre hommage.

Je vibre, je tremble, je souris bêtement.
Elle est là, en face de moi. Je tends la main, prêt à prendre la sienne. Je vois sa main se lever dans un geste vers moi. Mais loin de s'arrêter dans ma direction, le bras continue de monter, je le vois s'élever au-dessus de sa tête puis passer derrière pour caresser un visage qui se tient dans son dos. Elle est lovée, dans le creux des bras d'un autre, un autre qui n'est pas moi.

Cœur se serre, cœur se perd. Pourquoi lui ? Pourquoi pas moi ?
Injuste...
Triste...

Jaloux...
Désabusé...

Ainsi, elle en a préféré un autre que moi, me laissant seul face au vide, affrontant en solitaire l'ombre blanche.


Seul, je pleure. Des larmes sans eau, une encre sans pigment.
Désert. Grains blancs à l'infini. Est-ce là le reflet du blanc de mes yeux ? Ou juste l'absence ? L'absence d'elle ?


Saule pleureur, sot, le pleureur, idiot du village de plumes qui comprend tardivement que cœur qui soupire, n'a que ce qu'il mérite.


Ce soir, elle m'abandonne, me quitte. Après tout, elle n'avait rien promis. Elle ne promet jamais. Elle n'est pas faite pour un seul homme. Je la regarde donc partir loin de moi. Loin des yeux, loin de la plume.


Et face à ma page blanche, dame Inspiration m'abandonne.
Mais tandis qu'elle disparaît dans une ombre, une dernière œillade, un murmure muet.

Défi ? Moquerie ?

Idiot que je suis...
Même absente, elle est présente.

Preuve en est que ce soir, ma page n'est pas restée blanche.

Pardonne moi ma tendre...
D'avoir jamais douté de toi.

Clé de cuir

Couverture de cuir, enfin ouverte
Qui enferme pensées et idées
Jetées sans merci à la page vorace,
Accueille sans sourciller l'ire rapace,
La tristesse acide et la danse éthérée
Des pensées qui seraient ma perte...

Car moi, je ne veux que rêver
Laissons donc, sans un mot,
En mots d'encre sans héraut
Glisser la plume sans pitié.

Alors couchons sur vélin caressé
Les portes qu'il me faut fuir
Serrure de papier, clé de cuir
Car moi, je ne veux que rêver