Mélodie de nuit

Notes assourdies du carillon nocturne, la pluie joue tendrement de sa partition sur le bitume parisien. Il pleut ce soir, quelqu'un pleure dans la ville... Les larmes glissent, roulent et cascadent sur les murs haussmaniens, la pluie rebondit sur ses joues. L'eau, fuyante, emmène dans ses bras humides la tristesse et la saleté, enlaçant mélancolie et amertume dans un flot salvateur. Il pleut, elle pleure... ou bien l'inverse... elle ne sait pas, elle ne sait plus. A-t-elle jamais su ? Où commence la pluie, où s'arrêtent les larmes ? Même leurs goûts se mélangent, eau douce et eau salée, eau céleste pour eau abandonnée.

Tout s'écoule et tombe... Douce mélopée mélancolique d'un coeur ému, les notes fuient la partition pour tinter sur les touches sombres du clavier architectural de Paris. Les gouttes, s'écrasant sur les murs de l'Opéra Garnier chantent un air qu'on dirait échappé de La flûte enchantée... Tandis que celles qui rebondissent sur les feuilles des arbres du Jardin des Plantes résonnent des rires enfantins de l'après midi. Quand à celles qui embrassent le pont des Arts, elles vibrent des baisers échangés par-dessus la Seine.

Elles coulent, elles ricochent, elles sèment leur mélodie des abords du fleuve jusqu'aux hauteurs de Montmartre. Portées par le vent, soufflées par la nuit, elles se glissent dans les ruelles de la vieille ville, elles sont gouttes gelées pour qui n'y prend pas garde, elles deviennent murmures romantiques pour qui sait écouter. De larmes de pluie, elles se muent en doux chuchotements dans le vent de minuit.

Coeur ému danse ce soir sur les notes égrénées d'une douce main par les larmes de la ville...

Elle danse, sur la pointe des pieds, dans sa robe blanche. Elle pleure, sur la pointe des cils, en caressant le ciel du regard. Ange de la nuit, elle virevolte de rue en rue, elle marche en équilibre sur le Pont-Neuf, danse dans un froissement d'étoffe sur le parvis de Notre-Dame et tourne sur elle-même dans les jupons de la Dame de Fer.

Sous la pluie parisienne coulent les larmes d'une petite fille bien agée. Mais toutes les larmes ne sont pas de tristesse, et les siennes abreuvent la Seine depuis de longues années. Bien des chansons ont résonné dans ces rues, bien des notes ont rebondi sur les murs de Paris.

Mais toujours, toujours cette petite fille, cet ange vêtu de blanc, s'est glissé dans la nuit pour jouer avec la pluie de Paris. Chef d'orchestre d'un choeur onirique, inspiratrice et muse tendrement glissée dans les bras de ceux qui savaient l'écouter, elle a été, est et restera cette petite fée de minuit que seul le regard amoureux peut entr'apercevoir entre deux gouttes de pluie nocturnes...

Ange, fille, fée, âme... de Paris.

Chut...

Chante ce soir pour moi petite fée ;
Rossignol de mes nuits, ivre de lumière
Enlasse de tes notes ce petit coeur envolé
Parti te rejoindre là haut, dans les airs.
Un simple souffle sur mon visage, comme un dernier
Soupir qui s'endort doucement sur ma peau
Caressant sensuellement ce petit coeur envouté
Une dernière fois, avant de laisser tomber le rideau
Las, tu t'endors et sur ton corps rougeoyant et fatigué
Etends la fraiche couverture de cette nuit tant aimée.