Un café. Noir s'il vous plait...


Il est assis à la terrasse d'un café près de la fontaine Saint-Michel. Le temps est menaçant, ce qui fait qu'il n'y a pas foule. En fait, il est seul à la terrasse, hormis une femme à la table d'à coté. Il boit un café, lentement, laissant de longues minutes entre deux gorgées. Entre chaque, il soupire à fendre l'âme. Ce qui est assez ironique trouve-t-il.

Il regarde les passants vaquer à leurs occupations comme un enfant regarde un fourmilière en pleine activité.


- Excusez-moi, vous auriez du feu s'il vous plait ?

Il regarde la femme qui se penche vers lui, ses longs cheveux bruns tombant entre leur deux tables.


- Bien sûr...


Il tend un briquet et allume la cigarette qu'elle porte à ses lèvres.

- Merci !
- Je vous en prie...
- Ces trucs là me tueront...

Il la regarde droit dans les yeux.

- Je ne pense pas non...

Il se remet à sa contemplation, de nouveau dans un soupir.

- Dure journée ?

Il tourne la tête et la regarde. Elle lui rend son regard, une lueur de curiosité dans l'oeil. Il pourrait lui répondre d'un grognement, pour couper court à toute conversation. C'est ce qu'il fait d'habitude, il n'a pas pour habitude de papoter aux terrasses des cafés. Ceci dit, il n'a pas pour habitude non plus de rester assis à une terrasse de café.

- Dure vie plutôt...
- Ah ça... ce n'est pas rose tous les jours...
- En ce qui me concerne, ce serait plutôt noir tous les jours...
- Ah oui ? Sale boulot ?
- Vous pouvez le dire...
- Que faites-vous dans la vie ?
- Hmmm... Disons que je travaille avec les morts...
- Pompes funèbres ?
- En quelque sorte.
- En effet, ça ne doit pas être marrant tous les jours...
- Rarement en fait... et ça commence à me peser.
- La joie d'aller au travail à reculons hein ?

- Exactement... Alors aujourd'hui, j'ai décidé de me mettre en grève.

- Votre employeur ne risque pas de le remarquer ?
- Je suis mon propre patron.
- Vos clients alors ?
- Ils ne l'ont pas encore remarqué... Notez, je pense qu'ils vont très vite s'en rendre compte et ça risque de faire du bruit...
- Pourquoi avez-vous décidé d'arrêter maintenant ?
- Je fais ce travail depuis trop longtemps je suppose... C'était intéressant, voir amusant au début... Mais au bout d'un certain temps, on se lasse de tout.
- Allons, ne vous découragez pas... Il ne faut pas se laisser abattre dans la vie.
- Ou dans la mort, rétorque-t-il goguenard.

Elle rit doucement à la boutade.

- Il n'y a pas de sot métier parait-il... Le vôtre est aussi utile que tous les autres. Il arrive un moment dans la vie de chacun où l'on doit faire appel à vos services. Et là, on est bien heureux de vous trouver, non ?
- Les gens sont rarement heureux de me trouver, vous comprendrez aisément pourquoi... Mais il est vrai que tout le monde finit par passer chez moi un jour. C'est peut être pour ça que je me lasse. C'est toujours la même rengaine, à peu de choses près... Il n'y a plus de surprise.
- On ne sait jamais ce que demain nous réserve... Votre prochain client pourrait bien être plus intéressant que les autres, sait-on jamais ?
- Hmmmm... Peut-être bien...
- Essayez une approche différente de d'habitude avec votre prochain client... C'est ce que je fais au boulot quand je me commence à me lasser, j'essaye de réinventer ma manière de travailler...

Il se tourne sur sa chaise pour lui faire face, intéressé.

- Et ça marche ?
- Jusqu'à ce que cette nouvelle approche me lasse à son tour... et là j'en essaye une nouvelle.
- Vous croyez que ça pourrait marcher dans mon travail ?
- Pourquoi pas ? La mort est un métier comme un autre.
- Vous avez peut-être raison...

Elle dépose quelques pièces sur la table pour régler sa note et se lève.

- La vie est trop courte pour se laisser aller à la déprime...
- Je trouve la mienne bien longue parfois... mais vous avez raison ! Je vais essayer une nouvelle approche !

Il règle sa note et se lève à son tour.

- Merci mademoiselle... Je crois que vous venez de relancer mon intérêt pour le travail.
- Mais c'est avec plaisir, dit-elle en riant. Bonne journée.
- A très vite, lache-t-il.

Elle s'avance pour traverser le boulevard au passage piéton en jetant un regard en arrière pour lui dire au revoir. Son geste est interrompu par le klaxon tonitruant d'un bus. Elle voit le bus foncer sur elle et ferme les yeux une demi-seconde, apeurée. Quand elle les rouvre, elle voit le bus la frôler.
Tétanisée, elle se rend compte qu'elle a arrêté de respirer. Le bus freine bruyamment, faisant crisser ses pneus.
Debout à ses cotés, l'homme la regarde sans mot dire.

- Nom de dieu, soupire-t-elle... C'était moins une !
- Vous aviez raison. Une approche différente rend le travail plus intéressant...
- Que voulez-vous dire ?

Ils sont interrompus par des cris. Quelqu'un dans la foule lance un « Appelez les pompiers ! ». Elle se tourne vers l'endroit d'où semble provenir ce cri pour rassurer les gens, leur dire qu'elle n'a rien. C'est alors que son regard tombe vers l'avant du bus, où une silhouette étrangement familière git, la tête ensanglantée et les yeux grands ouverts fixés sur elle. Elle s'arrête de nouveau de respirer en voyant la chevelure brune auréolée d'une flaque de sang qui ne cesse de s'étendre.


La main de l'homme se pose sur son épaule...

- Et si nous y allions Sarah ? Vous êtes ma première cliente de la journée et j'ai pris un retard monstrueux. Je vais continuer de suivre votre conseil, le travail est nettement plus intéressant avec cette méthode.

Elle le regarde avec des yeux arrondis par l'effroi.

- Allons, ne soyez pas étonnée comme ça. La Mort est un homme comme les autres. Il lui arrive de se lasser aussi...

Confessions

J'aime...


Rêver dans le train avec de la musique dans les oreilles.

Être galant.
Sourire sans raison.
Marcher dans Paris.

Voir une femme dans le train, tenant amoureusement un bouquet tout juste offert contre son coeur.

Fumer une chicha en écrivant.
Marcher sous la pluie.

La demi-seconde avant le premier baiser.

Me réveiller et sentir une peau douce contre la mienne.
Faire pleurer les gens qui lisent mes textes.

Voir des couples valser dans la rue, sans raison.

Aimer.
Être romantique.

Ecrire à mon fils ou à ma fille.

Pleurer devant un beau film.

Rire avec mes amis.
Me laisser emporter par une musique.

La séduction.



J'aimerais...

Savoir jouer de la guitare.

Être édité.

Retomber un jour amoureux.

Avoir une fille.

Savoir jouer du piano.

Pardonner à ceux qui font ce que je ne ferais pas.

Ne jamais arrêter de rêver.

Jouer du piano pour le mariage de ma mère.

Continuer de faire pleurer les gens à travers mes textes.

Ne plus être déçu par les gens.

Partir à l'étranger.

Ne jamais arrêter de sourire à la vie.

Arrêter d'être parfois maladroit.



Cri du soir

Une claque.
Ça fait mal.
On encaisse.

On avance.
Une autre claque.
Ça fait encore plus mal.
On titube. Mais on reste debout.
Et sans qu'on s'y attende plus qu'aux deux premières, encore une autre claque.

Là, le genou ploie, il touche le sol.

Même pour une nature optimiste, ça fait mal.

Trop de coups, trop rapidement. Pas le temps de les gérer comme d'habitude.
Un genou à terre, des larmes qui pointent, qu'on retient.
Un genou à terre, des larmes qui percent, qu'on abandonne.

Un poing se referme dans le sable.
Ce n'est pas moi.
Pas ça.
Pas à terre.
Les larmes, oui !

Mais des larmes de joie, des larmes de plaisir, des larmes devant la beauté d'un livre.
Mais pas des larmes pour ça.

Ce n'est pas moi.
Un genou à terre. Pas deux.
Jamais.
Relève-toi.

Ne pas tomber.
Rester debout.
Avancer.
Relever la tête.

Tu l'as si souvent répêté.
Ecoute tes propres conseils désormais.
Debout !

Oui, relève toi, ce genou ne touche déjà plus le sol.
Comme ça.

Les yeux droits devant.
Crache ton encre, hurle ton encre, laisse couler les larmes noires.

Mais plus de larme. Plus de chute.
Un homme vit debout. Pas à genoux.

Il y a toujours pire ailleurs.
Et mieux plus loin.
Tu es un rêveur.
Alors ne les laisse pas briser tes rêves.
Lève-toi. Avance.
Encore et toujours.

Les petits...

Et si c'était ça le véritable bonheur ?
Ni le succès, ni le pouvoir, ni l'argent

Tristes bassesses de nos heures,

Honnies par les sages aux petits ans.
Oui, ce son cristallin qui résonne en l'air

Une pluie de verre oubliée de nos pairs

Sans sarment, sans âge et sans lien,

Ile de paix pour l'âme qui tend sa main

A ceux qui jouissent sans penser à demain.

Saltimbanques de la vie, enviés aux coeurs d'airain

Malins sans le vouloir, ils ont tout compris

Enfants sur le manège, dans la joie et les cris.