NY Sin - Deuxième partie

La même nuit au poste de police. J’étais assis, les yeux rougis par mes pleurs fixant le vide.

Face à moi se trouvait mon vieil ami Jack. Il me regardait, ne sachant pas comment s’y prendre pour me consoler. Déjà à l’école de police les cours de psycho n’étaient pas son truc. Et puis je ne l’aidais pas vraiment… Je fuyais son regard et examinais les lieux. Des bureaux aussi vieux que moi -- si ce n’est plus -- qui trônaient en divers endroit d’une grande pièce. La poussière qui semblait se déposer à vitesse ahurissante sur chaque parcelle de surface inoccupée. Un mélange d’odeurs aussi variées que possible, du café vieux de trois semaines jusqu’à la sueur de l’agent de police obèse, essoufflé d’avoir monté les escaliers. Ces effluves auraient pu réveiller un homme dans le coma mais elles ne me faisaient aucun effet… La douleur, le chagrin agissaient sur moi comme un anesthésiant. Rien du monde extérieur ne pouvait m’atteindre. Plus aucune sensation, plus aucune pensée… Rien. J’étais désormais branché sur mode automatique.

J’entendais vaguement Jack me parler de ce que les enquêteurs avaient retrouvé à mon appartement.

Rien, en fait. Ni cheveux, ni fibres, aucune empreinte digitale. Personne n’avait remarqué quelqu’un de suspect, personne n’avait entendu les coups de feu. Le corps avait été découvert par un voisin qui venait rendre visite à Kate. Trouvant la porte entrouverte il était rentré et avait découvert le cadavre de Kate. La seule chose que les enquêteurs avaient retrouvée était deux balles en argent, retrouvées dans la main de Kate.

A ces dernières paroles je sortis de ma léthargie.

- Des balles en argent ?

- Oui… Deux balles de revolver en argent … un Glock 9mm pour être exact. Ta… Hum… Ta fiancée les tenait serrées dans son poing.

J’étais alors complètement sorti de ma léthargie par la surprise. Je pensais que Kate avait été assassinéepar un voleur qu’elle aurait surpris. Mais des images me revinrent à l’esprit… Lorsque je m’étais précipité dans l’appartement… la porte était grande ouverte mais aucun cadenas ne manquait, aucun d’eux n’avait été forcé… Aucun voleur n’était jamais rentré chez moi. Je revis le mur sur lequel s’étalait le sang de Kate. Plus j’y repensais, plus j’avais l’impression que ma femme avait été exécutée. Placée contre le mur, elle avait été froidement abattue par quelqu’un. Mais pourquoi tenait-elle ces balles dans la main ? Et pourquoi vouloir tuer Kate ? Tout cela n’avait aucun sens… aucun… à moins que…

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J’avais repris le volant de ma voiture, une vieille Mustang de couleur verte, qui avait avalé pas mal de kilomètres. Les mains crispées sur le volant, enfoncé dans mon siège en cuir, je regardais sans la voir la route qui défilait sous mes yeux.

Tristesse infinie qui s’était emparée de mon âme, haine éternelle qui s’était emparée de mon cœur… Si un Dieu regarde ce monde de haut, s’il se délecte de nos misérables vies, je lui poserais volontiers cette question : Pourquoi ?

Mais je ne veux plus croire en l’existence d’un Dieu depuis le jour où j’ai commencé à travailler chez les SWAT. Il y a trop de mal en ce monde pour permettre l’existance d’un être à la fois tout-puissant et bienveillant.

J’errais dans les rues de New-York, la lumière blafarde des lampadaires illuminant régulièrement mon visage marqué par cette soirée. Quelqu’un avait assassiné la femme que j’aimais. Pas un voleur, comme je l’avais d’abord cru. Mais un tueur à gages. La preuve ? Les deux balles en argent. Un message, une signature. Une signature peu connue des flics. Si je la connaissais moi, c’est parce que j’avais vécu dans le milieu de la mafia pendant près d’une année. J’avais infiltré une famille de New York et était devenu un homme de main apprécié du Patron de l’époque… Patron qui avait fini en taule, par mes bons soins.

Les deux balles d’argent, la signature du tueur à gage attitré de la pègre italienne qui avait fait main basse sur New-York. Les types de la famille l’avaient surnommé Bloody Silver. La police ignorait tout de ce type et peu nombreux étaient les mafiosi à connaître autre chose que son surnom… Seuls les grands de la famille savaient un peu plus de chose sur lui, bien qu’ils se montraient très évasifs sur le sujet.

Quelqu’un avait placé un contrat sur la tête de Kate. Quelqu’un avait commandité son assassinat. « Pourquoi ? » n’était pas la question qui me venait d’abord à l’esprit. « Qui ? » était bien plus important à mes yeux pour le moment…

Je savais qui allait pouvoir me renseigner… Don Matti… le Patron que j’avais fait coffrer voilà près de trois ans. Il saurait me mener à Bloody Silver. Et Bloody Silver me mènerait jusqu’au commanditaire.

J’arrêtais la voiture devant mon immeuble et grimpait quatre à quatre les marches jusqu’à mon appartement. J’arrachais d’un geste presque rageur les scellés de la police et pénetrait dans ce lieu sordide, puant la mort et suintant la folie humaine par chaque centimètre cube d’air. Je me dirigeai vers ma chambre, fermant les yeux pour ne pas revoir les trainées sanglantes le long du mur. Dans ma penderie, j’ouvris une petite malette en duralumine. Dedans, j’y pris des objets que j’avais juré de ne plus jamais toucher… Mon arme de service et les munitions allant avec, ainsi que ma plaque d’officier. Je me dirigeais à grand pas vers la sortie, tentant de stopper mon imagination qui me faisait entendre les derniers cris de Kate.

Le Don serait sûrement réticent à me parler de Bloody Silver… Mais j’avais quelques atouts en main…

J’armais mon arme et mit le cran de sûreté.

Je saurais le faire parler.

Il était de relancer la partie… L’as de pique allait venger l’as de cœur…

NY Sin - Première partie

La vie n’est qu’un simple jeu…

Voulez-vous jouer ?

C’est fini. Pour vous ce n’est que le commencement mais pour moi c’est la fin… La fin de tout. Je regarde ma main. Il reste une balle en argent, sur les deux que j’ai toujours eu depuis le début de cette affaire. La première a été utilisée. La seconde ne va pas tarder à l’être. Mais avant je dois finir ceci. Je dois le finir afin qu’il reste une trace de ce qui s’est passé… de ce qui s’est réellement passé. Il faut que le monde sache… Il faut que les gens sachent pourquoi j’ai fait tout cela.

Dehors la tempête fait rage, recouvrant New York d’un épais manteau de neige. J’ai l’impression que les cieux envoient cette neige pour éponger tout le sang que j’ai fait couler, pour occulter tout ce qui s’est passé. Cela ne sert à rien… J’ai souillé la blancheur pure de ce manteau par le sang de nombreuses personnes. Rouge sur blanc… le sang s’écoulant, se mélangeant à la neige, la faisait fondre car il est encore chaud. La neige qui tente de cacher les cadavres qui jonchent les allées de la ville où je suis passé, linceul immaculé pour des gens à l’âme noircie. Ils ne méritent pas cet honneur, tout comme moi je ne le mérite pas.

Cette tempête a longtemps fait écho à mes pensées et à mes actes… tourbillonante, voulant se déplacer mais restant sur place, ravageant tout sur son passage. Suis-je une tempête ? Après tout… j’ai agi comme elle.

Ici commence mon histoire, sur cette page que vous tenez entre vos mains. C’est ici que commence la partie…

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Mon nom est Alex… Alex Inley. Un nom banal comme on en entend tous les jours. Mais mon histoire n’est pas aussi banale que mon nom. Mon histoire a le goût du sang et des larmes, l’odeur de la poudre et de la mort. Mon histoire commence il y a trois jours. Trois jours seulement… J’ai l’impression que tout a commencé il y a des années.

J’étais journaliste d’investigation pour le journal NY News.Cela faisait deux ans que j’exerçais ce métier. Il me plaisait et me permettait d’oublier mon précédent travail : flic du département de police de New York, le fameux NYPD. La mort, la souffrance et l’horreur qui étaient liés à ce boulot m’écoeuraient. C’est pourquoi j’avais raccroché. J’avais laché ce job après une mission d’infiltration dans la mafia… Douce ironie… J’ai arrêté ce boulot parce que j’avais vu trop de sang et de morts… Et depuis deux jours j’étais retourné dans cette ambiance. Je tuais, le sang coulait, je tuais, le sang coulait, et caetera… Un cercle sans fin, une boucle infernale impossible à briser.

Restons concentrés. J’étais donc journaliste depuis deux ans. Je vivais avec ma fiancée, Kate, qui exerçait le même métier que moi. Nous avions un petit appartement sur la 8e avenue. C’était notre petit nid douillet, notre cocon où la folie de cette ville n’avait pas de prise. Jusqu’à ce soir-là.

Je rentrais du bureau. La nuit était avancée, j’avais dû rester au journal jusque tard pour boucler un article. Dans ces moments-là, Kate mangeait seule puis allait se coucher. Elle faisait souvent semblant de dormir lorsque je rentrais mais je savais qu’elle ne s’endormait que lorsque j’étais couché auprès d’elle, quand elle pouvait sentir ma chaleur contre elle.

J’arrivais en vue de notre immeuble. Je compris immédiatement qu’il s’était passé quelque chose. Plusieurs voitures de police étaient garées en travers de la rue. Leurs gyrophares illuminaient l’entrée de mon immeuble, tout comme ceux des ambulances. Les policiers avaient établi un cordon de sécurité. Mon cœur cessa de battre. Je sortis de ma voiture et me dirigeais en courant vers l’entrée de l’immeuble. Arrivé au cordon de sécurité, un policier me stoppa :

- Désolé monsieur, mais vous ne pouvez pas passer !

- Mais j’habite ici !! Que s’est-il passé ?? Je vous en prie, laissez moi passer !!

Parmi les policiers j’aperçus un homme que je reconnus immédiatement. Il s’agissait de l’inspecteur Jack Corgan. Nous avions fait nos classes ensemble à l’école de police. Je hurlais son nom :

- JAAACK !! JACK !!!

Il se retourna et me vit dans la foule, toujours retenu par le policier. Il se dirigea vers moi à grands pas et dit au policier :

- Laissez, il est avec moi.

- Merci Jack… Je t’en prie dis moi ce qui se passe… Est ce que ma fiancée va bien ?

- Tu habites ici Alex ? dit-il surpris.

- Oui… C’est vrai que cela fait un bail qu’on ne s’est pas vu…

- Quel appartement ?

- 5A…

- Seigneur…

Mon sang se glaça dans mes veines. Jack avait un visage décomposé. Il ne me regardait plus dans les yeux. Je m’élançai vers l’entrée de l’immeuble, bousculant les divers agents de police présents sur les lieux. Je priai de toutes mes forces pour que mon instinct se trompe. Il n’avait rien pu arriver à Kate, le Seigneur ne l’aurait pas permis… pas elle ! Mes pas résonnaient sur les escaliers, frappant le sol au rythme des battements de mon cœur.

BOM BOM BOM BOM…

Arrivé au cinquième étage je m’arrêtais. Il y avait des policiers plein le couloir. Non… Ce n’était pas possible… Ils se trouvaient tous en face de mon appartement. Je m’y précipitais, ne me préoccuppant ni des voisins qui essayaient d’apercevoir quelque chose, ni des policiers qui se demandaient pourquoi on m’avait laissé passer au bas de l’immeuble. Je rentrais dans mon appartement. Un flash crépita. Des hommes relevaient des indices aux quatres coins de l’appartement. Mais je ne vis rien de tout ça. La seule chose que je vis fut la trainée de sang sur le mur. Puis en baissant les yeux, au bas de cette trainée, je vis Kate. Elle avait les yeux grands ouverts, le visage crispé dans une expression de surprise. Deux trous rouges sur sa poitrine. Les deux impacts de balles.

Je pleurais. Je ne hurlais pas, je ne bougeais pas… je pleurais c’est tout. Que pouvais-je faire d’autre ? Elle était là, sous mes yeux… morte. J’aurais beau hurler ça ne la ramènerait pas.

Lentement mes jambes flanchèrent, je tombais à genoux. Tout était noir autour de moi. Je ne voyais plus que cette horrible trainée de sang et le corps de mon amour. Plus rien d’autre n’existait. Je ne ressentais rien, si ce n’est le chagrin, un chagrin si profond que j’aurais pu y tomber et m’y noyer à tout jamais si un autre sentiment ne m’avait servi de bouée.

La haine.

Trop jeune pour mourir

Les balles fusaient, déchiquètant les troncs d’arbres et faisant voler des échardes. Les mitrailleuses vomissaient leur flot meurtrier de balles, rafale après rafale. Jean courait, tentant d’echapper à cet essaim de balles. Le souffle court et du sang coulant d’une blessure à l’épaule, il tentait de s’enfoncer dans les bois. Mais les Allemands continuaient de le poursuivre. Il pouvait entendre les aboiements des chiens entre deux rafales. Les Allemands ne stopperaient la chasse qu’une fois Jean mort. Il savait ce qui l’attendait si jamais il était capturé… Après ce qu’il avait fait, les Allemands l’abattraient sur place, sans autre forme de procès.

Jean se rappella les instants de cette journée… tout ce qui s’était passé, tous les éléments qui, une fois imbriqués les uns dans les autres, l’avaient conduit à cette course effrénée dans les bois. Tout avait commencé la veille…

*********

Cela faisait maintenant deux ans que Jean s’était engagé dans la résistance. Il avait effectué toutes sortes de missions : sabotages de lignes de chemin de fer, transport d’armes… Mais ce que cet homme lui demandait, laissait Jean dans l'étonnement.

Le voulait-il ? Jean se battait depuis déjà deux ans contre cette vermine qui gangrénait
son pays. Il ne révait que d’actes héroiques pour sauver son pays. Il se voyait eliminant les Allemands comme on écrase un insecte, la volonté de repousser l’ennemi lui donnant une energie nouvelle.

Quel idiot il avait été ! A lui seul il ne pouvait pas renverser la machine nazie… La cruauté humaine ne peut être vaincue par un seul homme. Jean l’avait compris cette nuit là… mais trop tard… Il avait déjà dit oui à l’homme.

*********

L’homme lui avait donné les consignes ainsi que le matériel. Les batteries anti-aériennes n’étaient pas sous une garde très importante. La zone étant relativement calme, les Allemands n’avaient pas jugé bon d’augmenter la surveillance. Grande erreur. Il agit le lendemain de sa rencontre avec cet homme.

A la nuit tombée, Jean se trouvait à la lisière de la forêt. Dans son sac : une paire de cisailles, des explosifs et un détonateur. Il attendit que le garde fasse sa ronde avec son chien. Une fois la voie libre il s’était faufilé en rampant jusqu’au grillage. Là il s’était servi des cisailles pour découper le grillage.

Une boule d’angoisse grossissait dans sa gorge. Il avait de plus en plus de mal à respirer. Il s’arrêta quelques instants et resta couché sur le dos à regarder les étoiles. Le printemps était bien installé mais les nuits restaient encore froides. Il pouvait voir son souffle former de légères volutes blanches. La nuit parée de sa robe de diamants l’enveloppait, comme une mère enlace son enfant. Grâce à elle, il allait pouvoir réussir sa mission. Reprenant son souffle, il traversa le grillage. Le garde était rentré dans sa guérite, fatigué par le monotonie de sa garde. Un mirador surveillait la zone, mais le projecteur avait tendance à s’arrêter de bouger, signe que le garde allemand s’endormait à son poste.

Jean remarqua une forme non loin de lui. Sombre et hideuse, ses canons pointés vers le ciel, la batterie anti-aérienne attendait sa proie, comme un aigle guettant son déjeuner. Jean se dirigea vers la batterie. Il entendit des éclats de voix et se figea instantanément. Réaction stupide car il se mettait ainsi à la merci des tirs ennemis s’il se faisait repérer. Mais les voix qu’il avait entendu provenait d’une caserne non loin de lui où les soldats jouaient aux cartes et discutaient. Jean pouvait les voir rire à travers une fenêtre. Heureusement, la nuit protectrice l’enveloppait toujours de son manteau réconfortant, le dissimulant aux regards des Allemands.

Il arriva près de sa cible. Son cœur battait à tout rompre, comme s’il voulait quitter sa poitrine. Jean se força à rester calme. Il inspira longuement. Il sortit la charge d’explosifs de son sac et la plaça en plein cœur de la batterie. Il la relia au détonateur comme lui avait montré l’homme la veille. Il repartit alors en sens inverse et retourna au grillage, tout en déroulant le cable du détonateur. Il devait se placer derrière le grillage et faire exploser le batterie. Ainsi il pouvait fuir sans aucun problème.

Mais le destin en décida autrement.

Jean reculait, le plus rapidement et surtout le plus silencieusement possible. Mais soudain il réalisa une chose… Le cable du détonateur était trop court… beaucoup trop court. Il ne pourrait jamais atteindre le grillage avec le détonateur, il manquait au moins cinquante mètres de cable. Sa respiration se coupa. Son cœur s’arrêta de battre. Il ne pouvait plus faire exploser la batterie en étant à l’abri. Et s’il le faisait maintenant il lui faudrait au moins six secondes pour atteindre le grillage. Les Allemands seraient sortis de leur baraquement en deux fois moins de temps.

Jean se trouvait face à un dilemme. Soit il laissait tomber la mission et rentrait chez lui en essuyant l’affront de l’echec. Soit il tentait le tout pour le tout. Il actionnait le détonateur, détruisait la batterie anti-aérienne mais risquait sa vie.

Mais une fois encore ce fut le destin qui décida.

Une explosion se fit entendre au loin, bientôt suivie de deux autres. Les batteries anti-aériennes voisines venaient d’exploser grâce à d’autres résistants. L’alarme, assourdissant hurlement, résonna dans tout le camp. En quelques secondes les soldats étaient sortis, l’arme au poing. Jean se figea de peur. Les hommes, tournés en direction des explosions ne l’avaient pas encore aperçus.

Soudain ce fut comme le jour ! Jean baignait dans une clarté éblouissante, la main devant les yeux pour se protéger. Il ne comprit pas tout de suite d’où venait cette lumière. Soudain une voix éclata : Alarm !! Alarm !! Et Jean comprit instantanément : Le mirador ! Le soldat avait pointé le projecteur sur lui. La nuit était redevenue silencieuse. Le temps parut se figer, tout allait au ralenti. Il entendit les bottes crisser sur le gravier, les cliquètements des armes que l’on arme et les aboiements des chiens que les soldats sortaient du chenil. Il vit les Allemands sortis de la caserne se retourner comme un seul homme et le regarder en armant leur fusil. Et il vit sa main se poser sur le détonateur… et appuyer dessus.

L’explosion retentit, illuminant le ciel nocturne. Le souffle renversa le mirador qui s’écrasa au sol, écrasant quelques soldats allemands qui se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. L’onde de choc frappa Jean en pleine poitrine, le jetant à terre. Il se releva le plus rapidement possible, s’attendant à voir fondre sur lui une nuée de soldats. Mais eux aussi avaient été renversés par le souffle. Certains, trop près de la batterie, avaient été tués sur le coup. Leurs corps gisaient au sol, certains en feu. Après tout il n’avait eu que ce qu’il méritait, pensa Jean. Mais c’était la première fois qu’il voyait la mort frapper si près de lui. Et cela s’imprima dans son esprit jusqu’à la fin de sa vie.

Jean s’élança vers le grillage. Il n’entendit rien pendant quelques secondes. Puis la pluie de balles se déchaina. Les graviers autour de lui sautaient, les balles frappant le sol. Il sentit une douleur fulgurante dans l’épaule. Il porta sa main à sa blessure. La retirant, il vit qu’elle était pleine de sang. Une balle venait de lui traverser l’épaule.

Il arriva enfin au grillage. Il se jeta à terre, se glissant dans l’ouverture qu’il avait faite il y avait à peine cinq minutes. Pourquoi cela lui semblait-il plus ancien que ça ?

Il s’élança dans les bois, les Allemands sur ses trousses. Sa blessure le ralentissait, car très douleureuse. Il entendait les chiens qui accompagnaient ses poursuivants. Les coups de feu éclatèrent à nouveau, faisant exploser l’écorce des arbres autour de lui.

Jean pensa. Fait étonnant vu qu’il risquait en ce moment sa vie. Il se demandait si ce qu’il avait fait allait servir à quelque chose. Il se demandait si cela en valait la peine. Une vie pour en sauver des millers d’autres ? Beaucoup auraient accepté ce sacrifice. Mais dans le feu de l’action seule votre vie compte, seule votre vie vous importe ! Vous vous fichez pas mal de la vie de milliers d’inconnus. Après, avec le recul, vous vous dites que cela en valait la peine. Mais lorsque vous êtes pourchassés dans des bois par une fraîche nuit de juin, lorsque vous sentez que vous vivez peut-être les derniers instants de votre vie, que vous inspirez peut-être les dernières bouffées d’air de votre vie, alors là, vous ne pensez qu’à vous. Telle est la mentalité humaine…

Telles étaient les pensées de Jean lorsqu’une rafale le faucha dans le dos. Il s’arrêta, surpris, puis il tomba à terre, sentant la vie le quitter rapidement. Dans un ultime effort il se mit sur le dos. Et à travers les feuillages des arbres il regarda les étoiles, saphirs dans la robe de la Nuit. Un calme surprenant l’avait envahi. C’était une belle nuit pour mourir. C’était le bon jour pour mourir.

Les soldats allemands se massaient autour de lui, des rictus de satisfaction illuminant leur visage. Mais Jean s’en fichait. Il mourait… Mais il mourait heureux… Ses paupières s’allourdirent, se fermant lentement. Dans un dernier souffle, il murmura :

- Joyeux… anniversaire… Jean…

Jean mourut le jour de ses 19 ans, le 5 juin 1944, non loin des côtes normandes… Trop jeune pour mourir. Quelques heures plus tard, le 6 juin 1944, le débarquement allié commença en Normandie. Des avions alliés bombardèrent les lignes ennemis et larguèrent des parachutistes, sous le feu des défenses anti-aériennes ennemies.

Mais les batteries qui se trouvaient près du cadavre de Jean restèrent muettes… à jamais.


Icy
22/07/2002