Retour vers le passé - Partie 2

Max marche dans des rues qu'il n'a pas visité depuis des années. Il fait froid, il n'a pas bu son café, il est à peine 8h du matin... et pour couronner le tout, il a rajeunit.
Non, il doit rêver. Il se repince le bras.

AIE !

Bon, il va arrêter avant de se bleuir le bras d'hématomes. Déjà qu'on le prend pour un gamin de quatorze ans, il ne manquerait plus qu'on le prenne pour un gamin battu pour couronner le tout. Il essaye tant bien que mal de remettre les évènements dans le cours normal des choses... mais voilà, le cours normal des choses semble avoir décidé de décrire une superbe boucle. La vie est un long fleuve tranquille, hein ? Ben son fleuve à lui vient d'avoir l'idée saugrenue de retourner en amont... Ses pensées sont soudain interrompues, ce qui n'est pas un mal vu qu'il se préparait à se repincer.

- Ben alors, tu te mutiles dès le matin maintenant ?

Il sursaute, trois fois rien, deux ou trois mètres sur le coté. Il regarde l'adolescente qui vient de lui parler. Elle le regarde, l'air amusé. Elle a un bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles, avec des cheveux blonds qui en sortent et tombent sur ses épaules.

- Pardon ?
- Je disais, tu te... Hey, ferme la bouche, tu vas commencer à baver.

Dans un claquement sonore et la perte de quelques molaires, Max referme sa mâchoire.

- On... se... connait ?
- Ah oué, t'es vraiment pas réveillé toi ce matin...

Les rouages en manque de caféine se mettent doucement à tourner... Il remet en place des bribes de son passé et reconstruit le monde de ses quatorze ans.

- Léa... c'est toi ?
- C'est bien Max, tu te rappelles de mon prénom une demi-journée après notre dernière rencontre, le prof de maths ne pourra plus jamais se moquer de ta mémoire à trous...

Max se pince l'arête du nez et soupire.

- Si tu savais les tours que me joue ma mémoire...

Léa le regarde, un sourcil réhaussé jusqu'à à son bonnet.

- T'as vraiment du passer une sale nuit toi...
- Surtout un sale réveil en fait...
- Ta mère t'as encore fait des misères en te trainant hors du lit ?
- Non... non, pas vraiment...

Max soupire et regarde autour de lui. Peu à peu, les brumes de ses souvenirs s'estompent. Il reconnaît le café du coin qui avait fermé l'année de son bac, la station essence qui venait juste d'être construite. Le grand centre commercial n'existait pas encore, c'étaient encore des terrains vagues qui encadraient le chemin qui menaient au collège. Sa ville natale n'avait pas encore connu le boum économique qui quelques années plus tard allait provoquer la construction de bâtiments, d'immeubles ou de pavillons sur chaque terrain vague disponible.

- Bon, on y va ? Sinon on va encore être à la bourre et Mathas va se défouler sur toi...
- Mathas... Mathas... le prof de français ?
- Non, le vendeur de kebabs du coin de la rue... Bien sûr Mathas le prof de français, t'en connais énormément toi ?

Mathas... le prof qui était persuadé que Max finirait chômeur sans avoir jamais réussi à lire un livre en entier de sa courte vie de parasite de la société... Mathas, le prof qui lui avait pourri ses quatre années de collège... Sa Némésis, sa bête noire, son Achab...

- Putain de bordel de merde...
- Quoi ?
- J'ai vraiment besoin d'un café...


Retour vers le passé

Maximilien, Max pour les intimes, se réveille. D'un pas alerte, il roule hors de son lit dans une imitation de baleine échouée sur une plage. Il n'a jamais vraiment été du matin. Disons même que tant qu'il n'a pas bu son café, il ne sert à rien de lui fournir un environnement, il ne le remarquera pas.

Max, donc, se dirige d'un pas toujours alerte, et hésitant, vers la cuisine. La main contre le mur du couloir, les yeux encore mi-clos, il se guide ainsi jusqu'au graal caféiné.

Arrivé devant la cafetière, il appuie distraitement sur le bouton. Il prépare toujours son café la veille, sachant pertinemment qu'il est incapable de le faire au réveil. Il attend le bruit habituel du café en train de passer, le coude posé sur le plan de travail. Il croit entendre un bruit dans le salon. Max vivant seul, il se dit qu'il a du rêver. Après tout, il n'est pas ce qu'on pourrait appeler sans mensonge « réveillé ».


- Il en met du temps à passer ce café... maugréé-t-il.

Il entrouvre un oeil pour regarder la machine. Qui n'est pas la sienne. Il ouvre les deux yeux.


- Putain, c'est quoi ce délire ?
- Ne jure pas dès le matin Max !
- NOM DE DIEU ! hurle-t-il en se retournant.

Face à lui, une femme le regarde avec des yeux grands comme des soucoupes.

- Je t'ai fait peur ? Et arrête de jurer !
- M... Maman ?!
- Non, c'est la factrice, andouille...
- Mais... Qu'est ce que tu fais chez moi ?!
- Je te rappelle que c'est toi qui es chez moi...
- Hein ?
- Et depuis quand tu bois du café ?
- M... mais ça fait des années que j'en bois !
- Ah oui ? Tu as commencé jeune dis donc... et je n'ai jamais rien vu ? Arrête ton char...
- Mais qu'est ce que tu fais chez m...

Les yeux enfin grand ouvert, Max regarde autour de lui.

- Mais c'est pas ma cuisine !
- Ah non, c'est aussi la mienne...
- C'est quoi ce délire ?
- Bon, t'as fini tes idioties dès le matin, oui ? Active-toi un peu, tu vas être en retard à l'école sinon.
- A l'école ? Comment ça l'école ?
- Le collège... tu te souviens ?
- Mais je ne bosse pas dans un collège, tu le sais bien !
- Je sais surtout que tu as intérêt à aller prendre ton petit-déjeuner et ta douche fissa si tu ne veux pas que je t'envoie en cours en pyjama ! Allez, ouste, hors de ma cuisine.

Et la mère de Max de le jeter sans ménagement hors de la pièce. Max, hagard, tente de comprendre. Il regarde le salon. Il le connait. C'est celui de l'ancien appartement de ses parents. Celui de son enfance.


- D'accord... je suis encore endormi, je dois être en train de rêver... qu'est-ce que je fous ici ?
- TA DOUCHE ! hurle sa mère.
Max, ne sachant pas trop quoi faire, se pince. Et se fait mal. Donc il n'est pas en train de rêver. Il court vers la salle de bain.

- Ah ben tu vois quand tu veux, lâche sa mère, goguenarde.

Arrivé dans la salle de bain, Max allume la lumière et se fixe dans la glace.

- Putain de bordel de merde...

Le reflet qu'il a en face de lui... il le connait... mais... c'est impossible. Il voit sa mère passer la tête par l'entrebâillement de la porte.

- Il faut aussi que je te jette sous la douche ?
- Maman... J'ai quel âge ?
- Tu es trop vieux pour que je fasse prendre ta douche, si c'est ta question.
- Quel âge j'ai ?

Long soupir maternel.

- Tu as quatorze ans, Max.
- Non...
- Si... je t'assure que si. Et l'état civil fera de même.

Il regarde, ahuri, ce reflet qu'il ne connait que trop bien. C'est bien lui... mais à quatorze ans. Le seul souci, c'est que Maximilien a vingt-quatre ans, qu'il devrait se réveiller dans son studio parisien pour aller au boulot... et que sa mère l'admoneste pour qu'il aille au collège. En cours...

- J'ai rajeuni de dix ans...
- Ben tiens... si t'as la recette, je suis preneuse...

Sa mère s'en va, le laissant seul face aux milles questions qui lui tournent en tête. Il réfléchit, il cogite, il a l'impression que son cerveau va exploser... Comment peut-il s'être endormi à vingt-quatre ans... et se réveiller à quatorze ? Mais tout ce qu'il trouve à dire, c'est :

- Putain de bordel de merde...

Les visages du métro - I

15/07/2008

Ligne 12

23h15


C'est la chanson d'un homme triste dans le métro. Pas besoin de notes ni de paroles, le regarder suffit à lire la partition triste qui se joue derrière ses yeux..
Son soupir est un violon qui se meurt, son coeur, un piano aux notes assourdies... Quant à son esprit, c'est une voix de Piaf, vibrante et touchante, qui murmure à l'oreille de sa raison avec des accents de passion.

Amoureux éconduit, amant délaissé, rêveur déçu ? Qui es-tu donc, petit homme à l'air triste dans les entrailles de Paris ? La tristesse sourd de ton regard qui se perd dans les fenêtres obscures du métro et éveille ma curiosité... Les vibratos de tes soupirs me paraissent des mélopées dans la fausse nuit du tunnel.

Comme pour répondre à ton humeur, les lumières de la rame clignotent puis s'éteignent. Le monde est plongé dans des ténèbres déchirées à intervalles régulières par les éclairs blafards des néons au dehors.

Ton regard ne bouge pas, tu reste perdu dans la contemplation de quelque chose que tu sembles le seul à voir et peut-être... à regretter...

Parmi les vallées

Il y a quelque part dans la proche banlieue parisienne une place, à cheval entre deux villes. Au milieu de ses petits commerces de quartier, nichée entre un fleuriste et un bureau de poste, on peut y voir une vieille porte, de fer forgé et de verre, surmontée par une licorne.


Entrez-y, et vous arriverez dans un petit hall d'un ancien hôtel. Le sol carrelé a été foulé par des millions de pied, les dessins esquissés par les carreaux ont vu passer tant de gens... Combien d'épaules ont effleuré la colonne centrale, combien de mains se sont posés sur elle, une valise à la main ? Avancez de quelques mètres, suivez le chemin que prenaient les grooms lorsqu'ils se chargeaient des bagages et vous guidaient jusqu'à l'accueil. Là, vous verrez une grande double porte en bois qui remplace l'ancien comptoir. Une sonnette devait trôner dessus et derrière, un homme au sourire affable vous accueillait. Derrière lui devait se trouver le tableau avec les dizaines de clés des différentes chambres.


A gauche, un vieil ascenseur, minuscule, juste assez grand pour deux personnes. Aujourd'hui encore lorsque l'ascenseur tombe en panne, on y accroche un petit panneau de bois à la calligraphie sinueuse qui annonce « Appareil en panne », un panneau abîmé par le temps mais d'un charme indéniable.


Délaissez l'ascenseur et posez votre main sur la rampe en bois qui lui fait face. Montez les marches et rendez-vous à l'étage, en vous essuyant les pieds comme le demande le petit panneau accroché sous une marche il y a plusieurs dizaines d'années. Grimpez au premier étage en laissant votre main glisser sur le bois de la rampe, lissé par les années de main qui ont fait de même Passez devant la chiche lumière qui point des vitraux aux fenêtres.

Arrivé au premier étage, on peut voir trois couloirs, menant aux plus petits appartements de l'immeuble. Sans doute les chambres les moins chères. Avec un peu d'imagination, on pourrait y voir les traces des hommes et femmes qui y sont passés. Un jeune provincial qui venait visiter la capitale et qui n'avait pas les moyens de se payer une chambre à Paris même. Un couple d'amants vivant un amour interdit par leurs familles. Un artiste, peut-être écrivain, venant tenter sa chance dans la capitale.

Montez les deux étages suivants, et vous trouverez le même schéma de couloirs. Des chambres pour hommes d'affaire de passage. Foulez le linoléum qui était peut-être de la moquette autrefois, étouffant les pas des femmes de ménages venant nettoyer les chambres. Au-dessus du troisième étage, les appartements sont moins nombreux mais plus spacieux. Les suites.


Combien de maitresse ont attendu ici le retour de leur homme marié, venant les rejoindre le temps d'un week-end adultère ? Imaginez le groom menant les valises de la demoiselle jusqu'à sa suite, recueillant un billet de cent francs pour sa discrétion et partant avec un sourire entendu.


Avec un brin d'imagination, cet ancien hôtel regorge de souvenirs, de fantômes du passé, fragments éthérés d'un temps qui fut. En fermant les yeux, on entendrait presque les pas sourds d'un majordome sur la moquette, les rires étouffés ou les éclats d'une dispute se glissant sous le pas d'une porte.


Continuez votre visite si vous le désirez, et imaginez le passé. En ce qui me concerne, je m'arrêterai au troisième étage, dans une de ses petites chambres transformées en studio. Un jour, je partirai d'ici. Et ce jour-là, ce ne sont pas les souvenirs d'un groom, d'une femme délaissée ou d'un serviteur que je verrais. J'entendrais les rires qui s'échappent de la chambre 24, les soupirs amoureux ou le silence paisible de moments heureux. J'aurais un petit soupir en fermant cette porte en bois pour la dernière fois.

Car c'est dans ce petit studio que j'aurais vécu de bien belles années de ma vie d'étudiant. Et là, nul besoin d'imagination pour se souvenir. Il me suffira de fermer les yeux et de penser à ceux qui ont partagés des moments avec moi dans cette appartement.

Je pense que ce jour là, je sourirai.

Le choix

Il l'attendait sur les marches du Sacré-Coeur, le regard perdu vers Paris. Comme souvent sur la butte Montmartre, un vent ébouriffait les cheveux des touristes, des couples enlacés et des guitaristes qui égayaient la nuit. Un sourire au coin des lèvres, il l'attend. Elle est en retard, comme d'habitude... mais cela ne l'étonne plus. En attendant il rêvasse, son esprit se perdant dans le dédale des rues parisiennes qui s'étendent à ses pieds, tapis rouge pour un rêveur comme lui. Il regarde autour de lui et sourit intérieurement de voir ce haut lieu du massacre des Communes être devenu l'un des endroits élus par les romantiques de tout genre. Une juste revanche du destin, tout du moins c'est ce qu'il aime à croire.


Le vent tourne soudain, comme un soupir venant du Sacré-Coeur. Et dans ce souffle, une fragrance qu'il reconnait, comme un murmure à son coeur.

Elle est arrivée.

Elle s'assoit à coté de lui, dans un froissement de jupes.


- Bonsoir toi, dit-elle en l'embrassant sur la joue.
- Salut mademoiselle...

Il tourne légèrement son visage et la regarde. Elle ne sourit pas en lui rendant son regard. Elle s'inquiète. Ce qui n'a rien d'étonnant... Quand on dit « Il faut qu'on parle » à sa compagne, il est de coutume que cela n'augure rien de bien bon...


- Pourquoi m'as-tu fait venir ici ce soir ?
- Pour clôturer notre histoire là où elle a commencé.

Il se tourne entièrement vers elle et sourit tristement.

- Pour te quitter...

Clair, précis, sans appel. Il a tourné mille et une phrases dans sa tête mais il a choisi celle-ci. Autant être clair dès le début.


Comme il s'y attendait, elle ne réagit pas. Masque marmoréen sous la chevelure de feu. Seule une légère tension sur sa joue trahit le fait qu'elle serre les dents.

- Pourquoi ? Tu ne m'aimes plus ?

La voix est froide, dure, comme un pic à glace.

- Si.
- Donc tu m'aimes mais tu me quittes.
- Oui.

Elle inspire et bloque son souffle. Elle se contient. Il apprécie le geste étant donné son comportement habituellement emporté. Il inspire à son tour et dit :

- Pour être précis, je t'aime mais je te laisse partir.
- Ah, parce que j'ai envie de partir ?

- Tu ne te l'avoues pas... mais oui, tu serais mieux sans moi.
- Tu joues à Caliméro là ou quoi ?

- Oh non, je ne joue plus... au contraire. Ce soir, pour la première fois depuis que nous sommes ensemble, je vais être moi-même.

Elle lui jette un regard noir, son regard si particulier qui a tendance à faire taire les gens. Mais ce soir, il ne pourra pas se taire.

- C'est quoi aimer pour toi ?
- Ah, on joue aux devinettes maintenant ?

Sarcastique...

- Non. On ne joue plus. Réponds-moi.
- Alors je vais te répondre, monsieur le lyrique... Aimer, c'est avancer à deux dans la même direction, affronter les problèmes de front et faire face aux difficultés de la vie.
- Orphée et Eurydice...
- Quoi ?
- Non, rien... continue s'il te plait.
- Je ne vois rien à ajouter.
- C'est ça pour toi l'amour ? Et comment ça se traduit au quotidien alors ?
- Aimer au quotidien ? Mais j'en sais rien moi, t'en as de ces questions !
- Alors je vais te répondre... Pour moi, aimer c'est vivre avec un sourire en permanence sur les lèvres. Aimer c'est être prêt à décrocher la lune pour l'autre, juste pour le voir sourire. Aimer, c'est être prêt à danser à n'importe quel instant, juste pour vibrer et rire avec l'autre. Aimer ne doit pas être un devoir mais un plaisir...
- Conneries de fleur bleue...
- Tout à fait... Tu mets le point sur le noeud du problème.
- Ben voyons... tu m'expliques ?
- Je t'offre des fleurs, tu te demandes ce que j'essaie de me faire pardonner. Et quand je t'avoue qu'il n'y a rien, tu hausses les épaules. Quand je t'enlace, tu me demandes ce que je veux. Quand je t'embrasse dans la rue, tu crains le regard des autres. A la Saint-Valentin, je me mets en quatre pour te préparer des surprises. Et tu m'offres un nécessaire à cuisine.
- Tu ne comprends rien à l'amour des femmes...
- Non, je nie le fait que l'amour puisse être celui des femmes...
- Ah, les femmes ne peuvent pas aimer selon toi ? Le coupe-t-elle.
- Tu vois, tu te jettes sur la première raison sans chercher à comprendre... Non, je ne nie pas que les femmes peuvent aimer. Je nie le fait qu'elles aient une façon d'aimer et les hommes une autre. Pourquoi devrait-il y avoir un amour féminin et un amour masculin, avec leurs règles et leurs codes ? Car c'est ce que tu penses, non ?
- Les hommes et les femmes n'aiment pas de la même manière.
- Donc je devrais t'aimer comme un homme et accepter que tu m'aimes comme une femme ?
- Oui ! C'est comme ça que les choses marchent, que les couples marchent.
- Alors plutôt être cul-de-jatte, car je ne veux pas d'un amour comme ça. Pour moi l'amour, c'est pareil pour tout le monde. Vivre avec des paillettes dans les yeux. Ce n'est pas accueillir l'autre à son retour du boulot pour qu'il mette les pieds sous la table en regardant le journal télé. L'amour ne devrait pas être une affaire d'union de forces face à la dureté de la vie...
- Tu es trop romantique...
- Peut-on l'être trop ?
- Oui ! Quand on attend la princesse en se prenant pour un chevalier sur son blanc destrier ! Ouvre donc les yeux, ce n'est pas ça la vie !
- Ah non ? Et qui en a décidé ainsi ?
- Mais ! C'est comme ça et puis c'est tout ! Tout le monde vit comme ça !
- Et sous prétexte que la majorité des couples fonctionnent comme ça, je devrais renier ce que je pense pour me conformer au moule ? A ce moule qui provoque deux divorces pour trois mariages ?
- Ah voilà, on arrive au fond du problème... Tu ne veux pas t'engager, comme la plupart des enfants de divorcés.
- Tu n'as qu'à moitié raison. Oui, je réagis en enfant de divorcé. Mais cela ne veut pas dire que j'ai peur de m'engager.

- Tu cherches à me convaincre ou à te convaincre là ?
- Ni l'un ni l'autre. Je suis déjà convaincu et je ne chercherai pas à te convaincre. Je ne t'ai pas demandé de venir pour te faire changer ta vision des choses, je n'en ai aucun droit. Je t'énonce juste un état de fait. J'ai la tête dans les nuages quand toi tu as les pieds sur terre. Si je veux t'emmener quelque part pour te faire une surprise, tu refuses jusqu'à ce que je te dise où l'on va.
- Tes justifications sont foireuses... Si tu ne m'aimes plus, dis-le plutôt que de te chercher des excuses.
- Que tu me croies ou non, je t'aime. Et c'est pour ça que je te quitte.
- Logique implacable...
- Je te quitte parce qu'on ne pourra jamais s'aimer de la même manière... Je me change pour te faire plaisir, je me renie, je me transforme en une personne que je n'aime pas. Et ça, je le refuse...

Elle hoche la tête, serrant de nouveau les dents...

- Et si moi je changeais ?
- Je refuserai.
- Ben tiens...
- Te demander de changer, ce serait accepter ce que je refuse moi-même. De quel droit ferais-je ça ?
- Et si tu faisais une connerie en me quittant ? Si tu le regrettais dans deux jours, deux semaines ou deux mois ? Tu crois que je t'attendrai ?
- Non... Mais il y a parfois des erreurs que l'on doit commettre. Pour apprendre, pour avancer... pour grandir.
- Tout ça, ce ne sont que des conneries de pseudo-romantique... Tu te donnes un genre. C'est comme me quitter sur le lieu de notre premier rendez-vous, ça rime à quoi ?
- Tu vois ? C'est pour ça que ça ne peut pas marcher. Tu penses que je joue un beau rôle pour me glorifier alors que je ne fais qu'être enfin moi-même. Quant au lieu... Et bien appelle ça une énième connerie de romantique. Je trouvais ça plus juste de fermer la boucle là où on l'avait commencé.
- Je ne t'attendrai pas, tu le sais ça ?

Il se lève, ferme les yeux et laisse la brise l'embrasser.

- Je le sais. Et je ne te ledemande pas.
- Alors c'est fini ?
- Tu n'auras aucun mal à trouver un mec qui te convienne... Mais ce ne sera pas moi, ça ne peut pas être moi.
- Et tu ne comptes faire aucun effort ? Pour sauver ce qui peut l'être ?
- Le prix à payer serait de m'oublier et de me plier à tes canons. Et je m'y refuse. Je préfère endosser le rôle du méchant et tu t'empresseras de te jeter dessus et de me conspuer.
- Et si la femme de tes rêves n'existait pas, hein ? Celle qui sera aussi romantique et insouciante que toi ? Tu finiras vieil homme, seul ?

Il hausse les épaules.

- Si elle n'existe pas, j'aurais passé de bons moments à la chercher et à la rêver. C'est mieux que rien...
- Naïf... et idiot.
- Peut-être... mais moi. Et pouvoir regarder sa vie en songeant qu'on a suivi sa propre route et non celle des autres... ça mérite bien ça.

Et sa route il prit, descendant doucement les marches, solitaire dans la foule d'amoureux. Mieux vaut être seul que mal accompagné dit l'adage. Si on lui avait demandé son avis, il aurait dit qu'il vaut mieux vivre un rêve seul que de marcher à deux dans la grisaille du monde, des oeillères sur le coeur.