Le sourire d'un coeur

Douceur...

Sa peau est si douce. Il se frotte doucement contre elle, sentant sa joue râpeuse d'une barbe de trois jours crisser contre la soie. Elle rit, ça la chatouille.

Il sourit et se laisse emplir de ce rire innocent. Il se dit qu'il n'y a pas plus belle mélodie au monde que ce simple rire. Aucun compositeur au monde, aucun musicien aussi doué soit-il ne saurait recomposer les notes éthérées qui modulent cette délicate et simple chanson qu'est son rire.

Il se rend compte que son coeur lui aussi sourit. Il ignorait cette sensation. C'est comme une vague de chaleur qui l'enveloppe de l'intérieur. Il se laisse emmitoufler par cette sensation ô combien agréable. Ses yeux se ferment dans un soupir de satisfaction.

L'impression d'être entier, pour la première fois de sa vie. Si chacun a un but sur cette planète durant sa vie, il vient de découvrir qu'il a accompli le sien. Peut-on dire que toute notre vie n'avait pour objectif que d'atteindre cet instant de plénitude, de paix total ? Il le pense en tout cas.

Il bascule doucement en arrière, l'attirant contre sa poitrine. Sa petite main continue de lui caresser distraitement le visage. Il sent son souffle chaud dans son cou, calme, régulier, métronome du bonheur.

Une main dans le dos, il la serre tendrement tandis que de l'autre il lui caresse les cheveux. Ils sont couchés dans le canapé du salon et le soleil parisien les réchauffe tous les deux.

Les grains de sable du temps s'allongent aux aussi, glissant de plus en plus lentement, savourant la quiétude de l'instant. Il est heureux, mais il aurait malgré tout un voeu à faire, un seul et unique souhait : que le temps se fige. Qu'il puisse profiter à jamais de sa chaleur, de son sourire et de son rire.

La respiration dans son cou se fait plus régulière, elle s'endort. Suave sensation qu'il savoure à plein coeur.

Il ne pensait pas aimer un jour comme ça. Cela lui ferait presque peur. Mais il écarte cette ombre noir aussi vite qu'elle est apparue. C'est maintenant qu'il faut profiter du moment, alors il laisse son propre souffle ralentir, devenir régulier et calme... Et sous ses paupières fermées, il s'endort à son tour.


C'est dans un sursaut qu'il se réveille. La nuit est tombée et le bruit de la ville nocturne a remplacé les soupirs de celle qu'il tenait dans ses bras.

Elle a disparu. Il la cherche pendant des secondes qui ont du mal à se remettre en branle, encore suspendues dans le sablier.
Et c'est à la lumière de la lune qu'il réalise.


Il ferme les yeux et se les frotte avec le dos des mains. Il se lève et ouvre la fenêtre, laissant le vent froid de la nuit s'engouffrer dans la pièce. Il s'assoit sur le rebord de la fenêtre et s'allume une cigarette. Il contemple Paris la belle, à demi endormie elle aussi, et le souffle régulier de la vie qui bat dans ses artères.


Il y a un trou dans son coeur, ce coeur qui ne sourit plus mais se rappelle. Qui se rappelle de la sensation qui l'a étreint pendant une illusion trop courte.


Un rêve... Un simple et foutu rêve...


Rien qu'un rêve. Et pourtant... Il lui manque quelque chose, il a perdu quelque chose. Il est idiot. Comment peut-on perdre ce que l'on n'a jamais eu ?

Il n'empêche qu'elle lui manque. Et tandis qu'il pose sa tête contre la chambranle de bois de la fenêtre, il se souvient de son dernier mot, échappé comme un dernier souffle d'entre ses petites lèvres endormies.


Papa...

Regard d'un soir

Nos yeux se sont croisés, l'espace d'un souffle, le temps d'un rien...
Et la trotteuse de la pendule s'est stoppée dans son élan mécanique. La respiration s'arrête, le pas se fige et les secondes se suspendent dans l'air du moment.


Nous nous regardons. Et dans ce minuscule laps de temps, tout revient... C'est comme un roulement de tonnerre qui résonne dans l'horizon et qui vient me frapper sans que je m'y attende. Je résonne, je vibre, le fracas fait trembler mes os.


Je ne m'y attendais pas... Pourtant nous nous connaissons si bien. J'aurais dû m'y attendre, tu ne penses pas ?


Le temps se débloque, tout doucement, comme lorsqu'on se sépare d'une amante après l'amour. A regret, la trotteuse cliquète et entre dans une nouvelle seconde.


J'entends le bruit de mes bottes foulant le carrelage. Le bruit sec de la semelle fait echo à ce temps qui reprend ses droits dans un claquement de fouet.


Nos regards se croisent et je me souviens du passé. De ces dernières paroles, de ces mots si durs...


Tu n'as pas voulu comprendre... Tu as fermé les yeux, ta conscience et ton instinct devenant rempart de ce que je t'avais annoncé ce soir là.

Je me suis faché. Tu t'es énervée. Je suis parti.


J'ai compris ta réaction... Je l'ai accepté. Ce n'est pas simple à entendre... J'espère depuis ce jour que tu as pu comprendre. Et là, dans cette infime seconde où nos yeux s'observent tandis que nous nous croisons, je sens que tu réalises. Peut-être est-ce du à ma tenue, que tu vois pour la première fois. Rouge et noir... Un véritable clin d'oeil à Stendhal...


Tandis que nous nous frôlons, tes dernières paroles me reviennent en mémoire.


« Non, je ne suis pas fier de ce que tu es... Ç a me terrifie même... »


Tu as un sourire triste, tu baisses les yeux et tu continues ton chemin.
Je continue le mien, sans chercher à t'arrêter.

La trotteuse reprends ses droits et son chemin, elle aussi. Tous les trois, nous avançons.


Mes bottes résonnent sur le carrelage, en résonnance avec tes talons qui s'éloignent.


Tu m'as vu tel que je suis, tu as vu ce que je suis devenu. Je sais que tu as toujours peur, je sais que tu es toujours fachée.


Mais dans ce demi-sourire teintée de tristesse, je l'ai vu poindre. Un bourgeon, encore minuscule et timide mais qui est la promesse d'une floraison future...

Oui maman, je l'ai vu et je l'ai senti, ce début de fierté.
Ton fils est pompier. Et ça te terrifie.

Mais ce soir, me voyant en uniforme, tu as commencé à réaliser. Et la fierté de mère s'est éveillée pour accompagner cette peur qui te tenaille le soir.


Et ça, c'était la plus belle seconde de ma vie.



Icy
16/09/2007
A Christian et sa maman