Persona non grata

Un personnage, qu'est-ce ?

Celui que l'on créé, que l'on façonne comme Dieu aurait créé l'homme. Et comme Dieu qui aurait créé l'Homme à son image, celui qui créé un personnage y met une partie de lui, plus ou moins importante.


Il y a aussi le personnage qu'on incarne, celui qui est joué par les acteurs, au cinéma comme au théâtre. C'est l'inverse qui se produit alors, on fait soi un être différent de nous. Pourtant, cette part de nous-même va quelque peu déteindre sur le personnage, plus ou moins en profondeur selon le talent d'acteur...

Mais le personnage, lui, qu'est-il réellement ? Quelle est la part de lui qui va s'emparer de nous, que ce soit celui que l'on imagine ou celui qu'on incarne ? N'est-il qu'un simple masque, puisqu'il tire son nom des persona, masques que portaient les acteurs dans l'Antiquité ? N'est-il donc qu'un costume que l'on enfile le temps d'une représentation ?

Peut-être est-il bien plus que ça, un être qui échappe à son créateur tout comme l'Homme aurait échappé à Dieu. Qui contrôle le personnage ? L'acteur ? A quel point-il est maître de cette enveloppe non pas charnelle mais imaginaire qui le drape, jusqu'où un écrivain est-il maître de la destinée de ses personnages ? Ne serait-ce pas les personnages qui prendraient en main leur vie, leur histoire, leur aventure, et le narrateur ne serait-il pas qu'un témoin chargé de recueillir ses pérégrinations et d'en tenir les annales ? Ai-je donc la certitude que la vie du héros coule de ma plume et non que ma plume coule de la vie du héros ?


Et s'ils étaient libre, ces personnages, s'ils se rebellaient, pourrais-je les empêcher de s'en prendre à leur Dieu, cet auteur malhabile qui n'a qu'une maigre plume défraichie pour se défendre ? Oh, je doute, je crains... Je ne peux être certain de leur pouvoir. Il pourrait bien être plus grand que le mien. Et moi qui les ai maltraité, leur ai fait vivre mille malheurs, succomber à mille douleurw et verser mille larmes, que ferais-je s'il leur venait l'idée de se venger de ce tyran cruel qui dans une mégalomanie galopante croit avoir tout contrôle sur eux ?

Et si...
Et si l'Argan de Molière était un exemple de cette rebellion ? Ne dit-il pas, ce malade imagine, que si ce Molière qui se joue des medecins tombait un jour malade, il le « laisserai mourir sans recours ». Notre Jean-Baptiste a peut-être bel et bien été victime de cet habit d'Argan qu'il endossa lors de sa dernière représentation... Incarnant cet hypocondriaque, qui a prononcé ces tristes mots « Crève, crève, cela t'apprendra une autre fois à te jouer de la Faculté » ? Est-ce Molière, acteur ? Ou bien Argan, personnage, qui aurait parlé de sa propre voix ? Serait-ce alors pour cette dernière raison que le maître du théâtre disparut alors, quelques heures après cette réplique, mourant quasiment sur les planches lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire ?


Est-ce réellement la tuberculose qui a emporté Molière ? Ou est-ce là le fait d'un hypocondriaque qui, ulcéré qu'on se moque des médecins, mit fin aux jours de celui qui s'incarnait en lui pour mieux les ridiculiser ?

A toi personnage, es-tu coupable de ce déicide ?

Et si coupable tu es, que dois-je craindre de ceux à qui j'ai donné le paradis pour mieux leur faire goûter l'enfer ?