Epitaphe pour un épigramme...

[Atelier d'écriture] - Sujet : Vous lisez un épitaphe "Ce sera pire si j'attends la nuit, il faut que je m'enterre aujourd'hui". Une vieille dame qui jardine sur la tombe d'à coté vous explique le pourquoi de cette étrange phrase.


"Ce sera pire si j'attends la nuit, il faut que je m'enterre aujourd'hui".

- Drôle d'épitaphe n'est-ce pas ?

Le jeune homme se tourna vers la voix sereine, bien que légèrement chevrottante, qui l'avait interpellé. Une vieille dame se relevait péniblement en s'appuyant sans ménagement sur la pierre tombale d'où elle arrachait les mauvaises herbes.

- Pardon ?
- Je disais : drôle d'épitaphe, n'est-ce pas ? confirma-t-elle en époussetant ses jupons noirs. Vous le connaissiez ? demanda-t-elle dans un sourire.
- Ah ! Non, non... J'aime simplement me promener à la recherche de quelques épitaphes qui sortent de l'ordinaire. Vous savez, du genre "Sa dernière blague était à mourir de rire" ou bien "Ici, les huissiers ne viendront pas me chercher"...
- Hahaha ! Je vois... Et que pensez-vous de celle-ci ?
- Je dois vous avouer qu'elle me laisse quelque peu perplexe.
- Vous voudriez connaitre l'explication ? demanda-t-elle en réarrangeant les bouquets de la tombe d'à côté.
- Vous la connaissez ?
- Disons que oui... Monsieur Une était une connaissance, ce charmant Luc était quelque peu excentrique mais c'était un amour... Nous avions beaucoup de mal à nous voir de son vivant, nos emplois du temps respectifs ne concordaient que très rarement, il travaillait de nuit et moi de jour. Pour être tout à fait franche jeune homme, nous avions le béguin l'un pour l'autre...

Le jeune homme surprit une fugace trace rouge sur les joues de la vieille dame.

- Mais nous passions notre temps à nous courir après, manquant l'autre de peu à chacun de nos rendez-vous. C'était très frustrant, nous ne parvenions que trop rarement à nous retrouver au même endroit en même temps. Et là encore, c'était pour de trop courts moments et nous devions nous quitter la mort dans l'âme. Imaginez la tristesse de deux coeurs qu'on sépare. Un jour, excédé par un énième rendez-vous manqué, Luc décida de démissionner, ne voulant plus travailler de nuit, ne plus me manquer...
- D'accord... Je comprends la première partie... Mais la seconde ? Pourquoi devait-il s'enterrer ?

La vieille dame eut un rire chaleureux.

- Il travaillait dans les cieux jeune homme, tout comme moi à l'époque, la pauvre vieille Madame Oleil que vous avez devant vous... Et dans notre métier, quand vous quittez les cieux, il faut disparaitre et se réfugier en terre !

Quelque peu surpris par cette déclaration, le jeune homme quitta la vieille dame des yeux et se concentra à nouveau sur la tombe, l'esprit tentant vainement de comprendre le sens caché de cette phrase. Il remarqua que l'épitaphe était surmonté d'un cercle et d'un croissant entremêlés. Sous l'épitaphe, il pouvait lire le nom : L. Une. Sans quitter la tombe du regard, le jeune homme dit dans un sourire :

- C'est amusant... Ecrit comme ça, on dirait la tombe de la Lune !

Après quelques instants de réflexion, il dit en se tournant vers la vieille dame :

- Mais dites-moi, quel métiez faisiez-vous donc ?

Sa question se perdit dans le vent automnal, la vieille dame n'était plus là. Etonné, il regarda autour de lui, sans voir personne. Il tourna autour de la tombe dont s'occupait la vieille dame et finit, ne sachant pas quoi faire d'autre, par lire la stèle. Sous un dessin, un cercle et un croissant entremêlés, on pouvait lire :

"Les cieux sans toi ne brillent plus du même éclat. Il faut que je m'enterre à tes cotés."
S. Oleil

Les rouages s'imbriquèrent les uns dans les autres, dans un éclair de compréhension qui ne fit qu'obscurcir les choses en mettant en lumière l'impossibilité de la chose. Le jeune homme comprit que le cercle et le croissant étaient un Soleil et une Lune, enfin réunis après tant d'années et de trop rares éclipses...