Les larmes dans les larmes...

Ambiance musicale
A écouter pendant la lecture


Il regarde le ciel gris et chargé de lourds nuages.

Il pleut. Il pleut toujours dans ces moments-là. On se demande pourquoi d'ailleurs... Est-ce que c'est Dieu qui pleure lui aussi ? Et pourquoi est-ce qu'il pleurerait ? Après tout, si aujourd'hui les gens pleurent, c'est qu'il y est bien pour quelque chose, non ?

Non. Il ne doit pas dire ça. Ce n'est pas correct, surtout vu la situation.

Il baisse son regard et regarde ses souliers. Ses belles chaussures de fabrication italienne s'enfoncent dans le bourbier qu'est devenu la terre depuis que les larmes célestes se déchaînent... Il les contemple, le cuir noir souillé par le marasme marron, les lacets gonflant, gorgés d'eau... Il sait que le cuir mouillé se craquellera en séchant, ne supportant pas l'eau, il sait aussi que ce sont des chaussures à quatre cents euros la paire... Mais il s'en fout. Royalement. Comment peut-on rester matérialiste dans un moment pareil ? Il serre les poings, le regard toujours fixé sur le sol et ses souliers. Une rage bouillonne en lui, une colère qu'il contient à grande peine, il ne reste calme que parce qu'il sait que ça ne servirait à rien... On ne peut rien faire durant une telle épreuve. Simplement attendre... Attendre que la colère passe, que l'amertume s'évanouisse, que la bile de dégoût soit ravalée.

Et il faudrait croire que c'est Dieu qui pleure aujourd'hui ?

Conneries...

Non, il faut qu'il arrête de penser comme ça maintenant. Il ne doit plus...

Finalement, après un effort qui a demandé toute sa volonté, il lève la tête et regarde droit devant lui.

C'est fou comme on pense que toutes les tombes se ressemblent avant de se retrouver à l'enterrement d'un proche.

Il laisse ses yeux errer sur la sombre assemblée qui se réunit devant le cercueil que l'on va mettre en terre. Vêtus de noir, comme le veut la coutume, ils ressemblent à des rapaces venus se repaître de la dépouille du mort.

Corbeaux...

Pas un ne l'aimait réellement. Il en est persuadé. Hypocrite assemblée. Pourquoi étaient-ils là ? Pleurer ? Larmoyer ?

Désolé les amis, mais le grand barbu de là-haut s'en charge très bien... Et croyez-le, il chiale bien comme il faut... Il a les chaussures enfoncées de cinq centimètres dans cette boue infâme parce que l'Autre n'a pas de Kleenex là-haut...

Oui, il sait, il faut qu'il arrête...

Non mais regardez-les... A déposer chacun leur tour une rose rouge sur le cercueil... Pourquoi pas des marguerites ? Non, encore mieux, des tournesols... C'est gai, c'est joyeux, c'est l'incarnation du Soleil le tournesol... Et vu le temps de merde qu'on se tape, autant mettre un peu de gaieté dans ce tableau macabre... Oui, on sait, c'est un enterrement, mais vous pensez que le pauvre type que vous enterrez aurait aimé que son enterrement ressemble à ça ?

Lui, il n'aurait pas aimé en tout cas... Mais on ne lui a pas demandé son avis après tout...

Le défilé des fleuristes se termine enfin. Le prêtre, qu'un aimable jeune homme tient abrité sous un parapluie s'avance et se tourne vers la petite foule, agglutinée sous les parapluies comme si la pluie était d'acide...

Comme si Dieu pleurait des larmes acides...

- Que s'est-il passé ?

Un vieil homme à la peau noir est adossé à un chêne. Il a les cheveux entièrement blancs, le contraste étant surprenant avec sa peau de charbon. Il regarde lui aussi l'enterrement, mais avec un léger sourire qui ne cadre pas bien avec le moment. Intriguant personnage qui parait tellement déplacé dans ce cadre...

- Alors ? Qu'est-ce qui s'est passé ? redemande-t-il.
- Quoi ?
- T'es un peu lent toi... Je te demande c'qui s'est passé ? Pourquoi on enterre quelqu'un aujourd'hui ?
- Oh...

Il regarde de nouveau vers la tombe, quittant le vieil homme des yeux.

- Accident de la route.
- Ouch... Ça finit généralement en charpie ce genre de trucs...
- Ouep...
- Ils ont dû avoir du mal à faire tenir les morceaux dans le cercueil sans qu'ils se baladent n'importe comment pendant le transport...
- ... Vous êtes immonde...
- Réaliste, je préfère.
- ...
- Comment ça s'est passé ?
- Pourquoi vous voulez savoir de telles choses ?
- Raconte-moi, et je t'expliquerai peut-être...

Ils se regardent tous deux, le vieil homme a un regard goguenard qui semble dire "Vas-y, t'y couperas pas de toutes façons."

Long soupir.

- Il est sorti de la route... Une... Une vieille clocharde traversait la route sur laquelle il roulait. Il faisait nuit, il n'y avait pas d'éclairage... et... et il avait un peu bu.
- Classique...
- Il a donné un brusque coup de volant... Mais je suppose que l'alcool n'a pas aidé, et il n'a pas été capable de maîtriser sa voiture... Il a percuté un arbre et sa voiture a pris feu...
- Effectivement, ça devait pas être beau à voir...
- Allez vous faire foutre ! On ne parle comme ça de quelqu'un qu'on est en train d'enterrer !
- Qu'on a enterré tu veux dire...

Le vieil homme désigna la procession qui quittait le lieu de l'enterrement... Aussitôt que les "invités" avaient quitté les lieux, les fossoyeurs commencèrent leur oeuvre. Le cercueil fut descendu au fond de son trou et des pelletés de terre commencèrent à résonner sur le cercueil. Quelle image dégoûtante. Cette vie, cette mort, que l'on cache à la vue de tous. Ce souvenir qu'on efface en l'enterrant six pieds sous terre, avec pour seule consolation un morceau de marbre à l'extérieur... Histoire de rappeler qu'un jour, dans le coin, il y a eu quelqu'un qui avait un nom, un visage, une existence. Et que maintenant ce n'est plus qu'un amas de chair putréfié que les vers et les asticots rongent lentement.

Et l'autre qui continue de chialer ! Ça va ! On a compris que tu étais triste !
Il fait peut-être une allergie... Il y a du pollen la-haut ? Il faudra vérifier... Dans ce cas, ça détruit le mythe du Dieu sensible au malheur de Ses créatures...

- Tiens tiens... dit le vieil homme. Une retardataire on dirait...

Toujours cette note moqueuse, goguenarde dans la voix. A croire qu'il prend son pied... Taré !

Il regarde la retardataire que le vieil homme a remarqué.

- Sarah !

Il se dirige à grands pas vers la tombe à la terre fraîchement retournée... Les chaises sur lesquelles les convives étaient assis sont désormais vides, donnant à l'endroit une allure cruelle, fantomatique et angoissante, comme peut l'être un parc d'attractions abandonné en pleine campagne, vide, étrange, où on s'attend à voir surgir un être étrange à chaque recoin.

La femme est assise au premier rang, face à la tombe qu'elle regarde fixement. Toute de noir vêtue, histoire de ne pas se faire remarquer, elle est pourtant la seule à avoir gardé sa rose dans les mains... Et celle-ci n'est pas rouge, mais bleue...

Il arrive près d'elle et s'assoit sur la chaise à ses côtés. Il se tait pendant les dix premières secondes... Puis les trois cents soixante suivantes.

Finalement, il parvint à entrouvrir la bouche, en tendant une main qu'il veut poser sur son épaule.

- Sarah, écou...

Mais elle se lève et esquive sa main. Elle s'avance vers la tombe et d'une voix chevrotante, percée de part en part par la tristesse et la douleur dit :

- Pourquoi, Philippe ? Pourquoi ?
- Je...
- Tu n'avais pas le droit de faire ça...
- Écoute... Je ne...
- Et moi maintenant ? Qu'est ce que je vais faire ?
- Sarah...

Elle tremble de tous ses membres. Elle est trempée jusqu'aux os, elle n'a pas de parapluie. Tant mieux, ainsi les larmes se mêlent à la pluie, son maquillage coule et on pourra dire que c'est la faute de la pluie... Qu'elle n'a pas craqué... Qu'elle est une femme forte... Elle n'aime pas montrer sa faiblesse.

- Je t'aimais Philippe...
- Mais moi aussi je t'aime Sarah !
- Pourquoi m'as-tu abandonné ?
- Regarde-moi... Regarde-moi Sarah...

Mais elle reste obstinément tournée vers la tombe. Un lourd silence s'installe, simplement troublé par le bruit des gouttes d'eau qui tombent sur l'herbe, qui percutent les feuilles des arbres et qui échouent dans la rivière de larmes...

Les larmes dans les larmes...

Sarah finit par se baisser et dépose la rose bleue sur la terre fraîchement remuée.

- Je t'aimais Philippe... Et je t'aimerais même au delà de tout ça...

Elle dépose un baiser sur le pierre tombale. Que c'est froid. Pourquoi le marbre semble-t-il être aussi froid que la mort elle-même ?

Elle se relève, et s'en va... Philippe ne la voit pas partir... Il pleure lui aussi. Il pleure parce qu'il vient de lire la pierre tombale de bas en haut, en même temps que son regard passait de la rose aux cieux.

"Tu nous laisses seuls dans les ténèbres de la tristesse, mais ton souvenir éclairera nos pas sur le noir sentier de nos jours... Repose en paix, fils, aimé et ami..."

"15 septembre 1979 - 18 octobre 2005"

"Philippe Namida"

Une main se pose sur son épaule. Il regarde à travers le voile de ses larmes le vieil homme qui lui sourit... Il n'est pas moqueur cette fois. Il est triste, il sourit tristement... Il comprend...

- Ça va aller mon gars... Ça va aller... Il est temps d'y aller...

Philippe hoche la tête et regarde une dernière fois vers la femme dont il ne peut voir que le dos mais dont il devine les larmes qui coulent encore, écho de ses propres larmes.

Sarah disparaît à son regard lorsque les blanches ailes du vieil homme, aussi blanches que ses cheveux, se referment sur lui. Dans un court éclat lumineux, tous deux disparaissent de ce cimetière où personne ne les avait vu, où personne ne pouvait les avoir vus...

12 Response to "Les larmes dans les larmes..."

  1. Anonyme Says:
    06 juin, 2005 22:25

    ...

    Rah ^^

    Musique... texte... frisson... larme.

    Beau...

  2. Anonyme Says:
    07 juin, 2005 17:24

    "la pluie , c'est les larmes ds anges qui tombent sur la terre"

    mais pour quoi pleurent ils ?

  3. Med says:
    07 juin, 2005 22:04

    Va savoir mon Koby, va savoir...

  4. Anonyme Says:
    08 juin, 2005 08:40

    Loool

    En fait tu lui as posé une grosse colle Kob et il n'avait pas prévu ce coup..

    Et là, il vient de se rendre compte qu'il aurait effectivement pu développer cet aspect mais comme il ne veut pas passer poour un bacleur..

    [QUOTE@icy] Va savoir mon Koby, va savoir...[/QUOTE]

    :evil:

  5. Med says:
    08 juin, 2005 11:15

    La colle, non... C'est pas vraiment l'a-propos dans mon texte, les larmes des anges. Je parle d'un Dieu larmoyant, non pas des anges tristes.

    J'aime beaucoup la phrase de Kob mais elle n'a pas de signification dans mon texte :) (D'ailleurs Kob, tu cites, ça vient d'où cette phrase ?)

    Mais si Monsieur Fantomas a envie d'expliciter son opinion voir, soyons fous, d'organiser une critique (positive ou négative) constructive et intelligente, le bacleur en serait très heureux :)

  6. Anonyme Says:
    08 juin, 2005 12:11

    T'es pas au courant que fantomas est une femme ?

    -_-

    Gros naze

    Fantomas voulait dire que tu te rattrapes aux branches de bonzaï pour répondre à Kob au dépourvu..

  7. Med says:
    08 juin, 2005 12:22

    J'attends toujours une critique plutot qu'une réflexion sur un commentaire lancé par dessus la jambe :)

  8. Anonyme Says:
    08 juin, 2005 12:35

    Mais il n'y a rien à dire de plus..

    Pourquoi chercher à polémiquer sur une petite moquerie, et non une reflexion, lancée par dessus la jambe ??

    Jpeux lancer un parpaing stu préféres...

    ---____---

    http://www.iceteks.com/forums/uploads/post-21-1097897308_mariopwnedjpg.jpg

    (alors moi et les href=.., c'est pas mes copains alors copy/past est ton ami, merci de ta compréhension :) )


    Vraiment, t'es 2 de tension....

    :***

  9. Med says:
    08 juin, 2005 12:43

    Beach :D

    J'te hais :D

    Moi qui pensais avoir hérité d'un freak...

  10. Anonyme Says:
    08 juin, 2005 20:55

    je ne sais pas d'ou vient la phrase, je l a eu comme ca un jour.

    Elle est juste belle et collais au texte.

    Simplement c est pratique de dires que les anges pleurent a notre place des fois.

  11. Anonyme Says:
    15 juin, 2005 13:21

    Tout simplement magnifique...
    On est doucement bercé par la musique sans vraiment comprendre ce qui se passe, et c'est simplement après que l'on réalise...
    Lentement... Imperceptiblement...

    C'est sans doute un des plus beaux ecrits qui m'ait été doné de lire, et je peux l'avouer sans honte, une goutte de tristesse a perlé sur ma joue pour aller s'ecraser sur ma barre d'espace.

    Magnifique.

  12. Med says:
    16 juin, 2005 08:47

    Merci beaucoup pour ce commentaire fort élogieux Jonah...

    Si ce texte a bel et bien fait perler une larme au coin de tes noeils, c'est qu'il a accompli sa fonction première : faire vibrer quelque chose chez les gens, une corde, quelle qu'elle soit...

    Content je suis ^^