"Allez..."

Allez, juste un...

Putain ça fait mal...

Juste un...

Non, non, non...

***

Sur le coup, ça n’a pas fait mal... C’était comme un manège, ce genre de trucs à sensations qu’on trouve dans n’importe quel parc d’attractions. Vous avez les tripes remuées, secouées dans tous les sens. Tout tourne autour de vous, vous ne savez pas où regarder parce que tout bouge, sens dessus dessous. La terre ferme n’existe plus. Tout n’est qu’un maelström de sensations vertigineuses, les couleurs se mélangent dans votre cerveau, plus rien n’a de sens. L’impression d’être dans une machine à laver en mode essorage. Ça secoue. Vous espérez que ça va s’arrêter un jour.

Puis ça s’arrête. Et là, c’est pas forcément bon.

Un choc. D’abord un cri de métal, puis une onde qui se répercute dans tout votre corps. Des cris. Pas de métal cette fois. Des cris humains. Peur ? Frisson ? Terreur ? Vous voltigez, vous vous cognez partout, vous sentez presque apparaître les hématomes sur chaque centimètre carré de votre corps. Les cris humains et inhumains se mélangent, c’est assourdissant. Là encore, vous désirez que ça s’arrête. Et comme avant, quand ça s’arrête, c’est encore pire.

La douleur. Partout. Pas une partie de votre corps qui n’est épargné. Bras, jambes, pieds, mains, nuque, visage, poitrine... Coupures, plaies, fractures... Sang, larmes, sueur... C’était pas prévu. C’était pas prévu. Les gémissements. Ceux du métal. Ceux des autres... C’est horrible les gémissements... Ça vous hante. Chaque nuit. Toute la vie. On ne les oublies pas les gémissements.

Surtout quand ce sont de vos amis.
Surtout quand tout est à cause de vous.

Puis la douleur s’estompe. Elle s’efface doucement. Mais ce n’est que la douleur physique qui s’estompe, celle de votre enveloppe charnelle. L’autre, elle ne s’estompe pas. Vous sombrez, mais elle est toujours là. Elle sera votre compagne pour toujours. Plus proche que n’importe quoi, toujours là pour vous, même si vous ne la désirez pas. Toujours. Toujours là. Vous sombrez dans un soupir de soulagement parce que les élancements de souffrance se taisent petit à petit.

Puis vous vous réveillez. Et là, vous souhaitez ne jamais vous être réveillé. Vous souhaitez tout, mais pas ça.

Aujourd’hui, je suis tétraplégique. Plus aucun de mes membres ne réponds à mes ordres. Je vis dans un fauteuil roulant. Ma tête est tenu à mon appuie-tête par un bande de tissu, je ne suis même pas capable de la tenir par moi-même. Je fais avancer mon fauteuil en soufflant dans une paille. C’est tout ce que je peux faire.

Ça et pleurer. Pleurer parce que j’ai été le plus chanceux des trois. Parce que vivre dans cet état, c’est une chance que je ne mérite pas. Et chaque nuit qui passe me le rappelle.

Les gémissements... Les gémissements qui se taisent petit à petit...

J’ai eu la “chance” de survivre... Survivre pour me sentir coupable toute ma vie.

Moi je suis tétraplégique. Sarah et Pascal, eux, ils sont morts.

C’est moi qui conduisait.


Allez... juste un verre... un dernier pour la route...

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