Le photographe...

Le clic caractéristique. Inaudible pour tous, à peine audible pour lui-même. Ça n'a pris qu'une fraction de seconde, même pas le temps de prendre une inspiration, meme pas le temps de cligner des yeux. L'obturateur a rempli son office, capturer l'éphémérité de l'instant, emprisonner le moment volé au temps... Hérétique défiant Chronos pour vivre sa passion, il passe son temps collé au viseur, snipeur artiste, tueur au déclencheur, prêt à shooter au premier mouvement qui attirera son oeil aiguisé.

Il a tiré. Une cible est entré dans son champ de vision, aérienne vision qu'il n'eut pas le temps d'apprécier. L'image n'avait pas encore atteint son cerveau, tout juste traversé la rétine que son doigt a déjà appuyé sur la gachette... Le coup est parti, a fauché la proie en plein vol et c'est seulement à ce moment là que son cerveau a reçu l'image. En même temps que l'appareil photo la recevait.

Souffle coupé, regard dans le vide, bouche entrebaillée... L'image reste imprimé sur sa rétine. Le temps qu'il reprenne ses esprits, et elle s'est envolée, cette apparition angélique, cette nymphe parisienne qui n'a fait que traverser le monde réel le temps d'une photo. Il regarde la rue de droite à gauche, la cherche du regard, se dévisse le cou à vouloir regarder dans tous les sens en même temps.

Mais rien.
Elle a disparu.

Il ne peut plus rester là, continuer à chercher de quoi faire de bonnes photos. C'est fini, il ne trouvera pas mieux que ce qu'il vient d'apercevoir. Il n'a qu'une seule pensée en tête, développer sa pellicule et savoir si la photo est bonne...

Oh mon Dieu, faites qu'elle soit parfaite...

-

Chambre noire pour lumière rouge, peur bleue pour vision dorée... Il s'enferme dans sa pièce, son laboratoire, son antre. Sa femme ne le dérangera pas, elle sait qu'il ne faut pas le déranger quand il est dans "sa" pièce. A peine rentrée de sa promenade, il a envoyé valser toutes ses affaires et s'est précipité dans la pièce de développement avec son appareil et un étrange regard... Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Il ne s'était jamais vu comme ça.

Fébrile. Ses mains tremblent. Son coeur joue une chanson qu'il ne connait pas, à mi-chemin entre le tango et la techno... Etrange... Petit à petit, le papier obscur se révèle dans le bac, les produits chimiques révèlent peu à peu les premiers contours incertains de la photo. C'est comme un peintre dont l'oeuvre se dessinerait trait après trait sous ses yeux à toute vitesse, d'abord les détails extérieurs, flous, puis des points de plus en plus précis. Certains détails commencent à apparaitre, tel un message écrit à l'encre sympathique qui se révèle à la lueur de la bougie...

Allons belle ange, révèle moi tes contours, ton visage, que cette lumière rouge soit la chaleur de la bougie qui illuminera ton regard sur papier glacé.

Des mèches claires. Une joue à croquer. Des oreilles délicatement ourlées. Oh, elle est déjà si belle. La bouche commence à se dessiner, charnue, pulpeuse, fruit mûr que l'on meurt d'envie de cueillir dans l'arbre. Son nez aquilin apparait lentement, appendice fragile, petit, droit... parfait. Puis arrivent ses yeux... Ooooh, ses yeux... La photo noir et blanc ne permet que de supputer qu'ils sont bleus. Si flamboyants, tellement intenses... Quelle inondation de sentiments à travers ce regard. On pourrait tout y lire, la détermination, la gentillesse, la légère timidité, la grâce et la beauté incarnée...

Il regarde cette photo. Longtemps. Des heures. Il est coupé du monde extérieur. Il n'entend même pas sa femme qui tape doucement à la porte pour le prévenir que le diner est prêt. Il ne l'entend pas plus quand elle se met à tambouriner de plus en plus fort, morte d'inquiétude après les longues heures qu'il a passé enfermé dans cette pièce.

Plus rien ne l'atteint. Plus rien ne l'émeut. Plus rien ne le touche.

Sauf elle.

Son ange. Son ange sans nom.

Il faut qu'il la revoie.

-

Le même endroit qu'hier. La même heure qu'hier. Il l'attend.

Il a quitté sa chambre noir il y a une heure à peine, après y avoir été enfermé pendant près de vingt heures. Il est sorti de la pièce et n'a même pas aperçu sa femme, roulée en boule sur le canapé, endormie après avoir passé la nuit à se ronger les sangs... Il n'a qu'un but.

Elle.
Elle, qui ne vient pas. Elle qui n'arrive pas. C'est l'heure pourtant... Elle DOIT repasser par ici... C'est vital ! Il faut qu'il la revoie !
Elle va venir. Il suffit d'attendre assez longtemps. Oui, assez longtemps.
Il s'adosse au mur et il attend.
Il attend. Il attend... Le temps s'écoule... S'écoule... S'écoule...
Il ne fige plus le temps, son appareil reste enfermé dans sa sacoche.
Et le temps continue de s'égréner... Longtemps... Très longtemps... Si longtemps qu'il ne sait plus depuis combien de temps il est là, debout dans la nuit parisienne... A attendre sans que rien ne vienne.

Il ne fallait pas défier Chronos. Le maître du temps peut être très susceptible...

3 Response to "Le photographe..."

  1. Anonyme Says:
    29 mai, 2005 15:10

    j'aime beaucoup ta prose, mehdi. Le thème de l'ange me plaît :)...Par contre, j'ai été un peu déçue par la chute: dommage, car j'adore l'atmosphère que tu distilles, entre rêve et réalité.
    Une au - tre, une au - tre!
    Lauren

  2. Med says:
    29 mai, 2005 15:25

    Tu n'es pas la première à me dire que la chute est trop... brusque :)

    Pour l'instant, je la laisse comme cela pour deux raisons :

    - Je voulais vraiment clasher sur la fin, faire une coupure net
    - J'étais au taf et j'avais 15 mns de retard sur ma fermeture :D

    Je la retoucherai peut-être un de ces quatre :)

    En tout cas, merci d'avoir pris le temps de lire ce petit texte :)

    (L'autre, faudra attendre demain :p Ou lire tes mails de cette semaine ^^)

  3. Anonyme Says:
    10 avril, 2007 18:12

    ALALA Non Non Non moi je l'aime bien cette chute, c'est parfait. J'attend la punition que m'infligera Chronos alors... j'ai peur :s ;)